vendredi 16 décembre 2016

Le pays qui te ressemble


La dernière fois, je vous ai annoncé que nous parlerions de la famille, et je vous avais présenté Dysfonctionnelle, d’Axl Cendres. Je continue aujourd’hui.

Avec son roman Le pays qui te ressemble, Fabrice Colin, a lui, tenté et réussi une échappée des terres imaginaires et science-fictionnelles dans lesquels il a construit jusqu’ici l’essentiel de son œuvre. Et le résultat est une suite de péripéties souvent hilarantes, bâties autour d’un secret de famille. Pourquoi les deux jumeaux de 15 ans, Jude et Lucy, s’embarquent avec leur père pour un long voyage assez pittoresque et mouvementé, financé entièrement par leur grand-mère, l’excentrique Marilyne ?. C’est ce que Lucy, promue narratrice par Fabrice Colin, raconte. Le père, qui vient de perdre sa femme, ignore pendant les trois quarts du livre le but exact de cette expédition, que lui cachent ses enfants et sa belle-mère au prix de contorsions alternativement comiques et dramatiques. Un peu dépressif, il se laisse mener à Rome, Montreux, Oxford, Hong-Kong. Fabrice Colin noue progressivement les fils de l’intrigue. 

En fait, c’est une quête, voire une enquête que conduisent les jumeaux et leur grand-mère. Que cherchent-ils exactement ? Vous le saurez en lisant le livre. Si cette famille-là fonctionne et dysfonctionne, c’est évidemment en raison du deuil qui vient de la frapper : l’épouse et mère vient de disparaître. Mais c’est aussi parce que ce deuil en cache un autre, ce fameux secret de famille qui est le ressort de tant de romans. Il y a un fantôme, fantôme que deux psychanalystes, Torok et Abraham, ont défini un jour de la meilleure façon qui soit : « le travail dans l’inconscient du secret inavouable d’un autre. » 

Un dernier conseil avant que je ne vous lise un extrait : surtout, évitez la quatrième de couverture, qui détruit en quinze lignes une grande partie du suspense habilement mis en place par l’auteur. 

Au début du livre Lucy est chez sa psy. En fait Lucy est ici ce qu’on appelle « le patient désigné », celui qui, dans une famille, se soigne à la place de tous les autres qui en auraient bien plus besoin, père, mère frères et sœurs !

Le pays qui te ressemble - Fabrice Colin - Albin Michel Jeunesse - 2015 (304 pages, 14 €).

Pour réécouter cette chronique sur RCF Loiret (extrait lu à 2:24) :


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vendredi 9 décembre 2016

Dysfonctionnelle



Puisque nous sommes dans le temps de Noël, je vous propose, à partir de trois livres assez différents, de vous montrer au cours des semaines à venir quel parti les auteurs pour la jeunesse tirent du thème de la famille. Je vous dois un avertissement liminaire : littérairement parlant, celle-ci ne se conforme pas forcément au modèle « Un papa, une maman » que la Manif pour tous a tenté naguère de faire breveter. Est-ce la nécessité d’éprouver des personnages dans des situations plus romanesques ? Toujours est-il que les auteurs contemporains, sans renier ce qui fait l’ancrage vital de la plupart des enfants et adolescents, ne peuvent pas ne pas prendre en compte la diversité nouvelle des configurations familiales, décomposées, recomposées, pour le meilleur et pour le pire.  Ce pourquoi la famille reste envers et contre tout le lieu de vie tout à la fois le plus tendre, le plus tragique et le plus comique.

Commençons aujourd’hui par la famille « dysfonctionnelle ». Dysfonctionnelle, c’est le titre d’un roman, paru en 2015 chez Sarbacane. La dédicace qu’y a inscrite son auteure, Axl Cendres vaut tous les résumés : « A toutes les familles dysfonctionnelles qui ne marchent pas « comme il faut » mais qui tiennent debout quand même. » C’est l’histoire d’une tribu bigarrée, quatre filles (aînées) et trois garçons, kabylo-polako-judéo-catholiques. C’est aussi la rencontre entre Sarah, une princesse des beaux-quartiers et une bergère surdouée de Belleville, la narratrice. La bergère en question, Fidèle, dite Fifi, ex-Bouboule car elle a abusé du Nutella dans sa jeunesse, a été dotée par sa créatrice d’une folle énergie qui la fait passer par tous les états de la matière. 
La traversée, de l’enfance à l’entrée dans la vie adulte, est mouvementée. Les univers ethnico-religieux se télescopent dans un joyeux foutoir, pied-de-nez à une laïcité coincée. Le tragique de l’Histoire ressurgit périodiquement : de la mémoire brûlée des camps nazis qui hante périodiquement la mère, juive polonaise convertie au catholicisme aux atrocités du GIA dans l’Algérie des années 90. Au bilan des genres, les filles s’en tirent plutôt mieux que les garçons. L’amour supporte tout, y compris un paternel proéminent derrière le comptoir de son bar Au Bout Du Monde, aussi fidèle que bancal (nombreux passages par la case prison), musulman modèle kabyle, saucisson et sauvignon compris. C’est l’une des rares figures masculines qui ne soit pas démonétisée, avec laquelle Fifi entretient des rapports aussi fusionnels que virils. Au dénouement, happy end, la rencontre de l’intelligence et de la beauté aura facilité grandement les choses. Dysfonctionnelle est un conte de filles entre fées ou un conte de fées entre filles. Vous choisirez la formule qui vous convient quand vous l’aurez lu.

En podcast sur RCF Loiret (écoutez un extrait du livre à 2:59) :



Dysfonctionnelle - Axl Cendres - Sarbacane X' (306 pages, 15,50 €)

vendredi 2 décembre 2016

Le bain de Berk



Dans son livre consacré à l’album, intitulé sobrement Lire l’album [1], Sophie Van der Linden note que ce qui est sans doute le premier livre placé entre les mains d’un enfant, bien avant qu’il ne parle et a fortiori qu’il ne lise, est d’emblée une école de l’image. L’enfant apprend d’abord à lire les images, qui sont les premières à lui faire signe, bien avant les chiffres et les lettres.

Cet album, souvent, va être tenu à quatre mains : deux petites, encore maladroites, pressées de se glisser entre les feuilles, en avant, en arrière, de les froisser - « attention ! » - voire de les déchirer - « oh non, regarde ce que tu as fait ! » - et deux grandes qui aident l’enfant à apprivoiser ce drôle d’objet coloré, dépliant, qui semblait inerte lorsqu’il était sagement posé sur son étagère, en deux dimensions, mais qui tout à coup s’ouvre en 3D, s’anime et se multiplie, aussi fragile qu’un papillon, aussi inusable qu’un galet. Notons au passage une première caractéristique de l’album qui découle de cette situation : il a deux destinataires, un enfant  et un adulte. L’album doit donc s’adresser et plaire aux deux et son créateur aura dû, pour y parvenir, déployer son art à deux niveaux d’écriture, aussi bien d’ailleurs dans le registre des mots que dans celui des images.

Deuxième caractéristique de l’album : il y a un rapport d’interdépendance entre les images et le texte. Cette interdépendance s’exprime de plusieurs façons, elle n’est presque jamais de simple redondance entre le texte et l’image, tenus pourtant de s’illustrer l’un l’autre. L’image « dit » parfois des choses que le texte ne peut articuler ; de son côté le texte peut délimiter l’image, la compléter ou en révéler certains aspects absents ou invisibles. Texte et image sont comme deux puissances qui se sont alliées et se fondent dans le livre, sans jamais se confondre. D’ailleurs entre texte et image, il peut y avoir une distance, ironique, celle qui s’exerce à plein dans la caricature de presse mais qui prend généralement des teintes plus douces dans l’album. Le texte est aussi une sorte de guide au royaume des images : c’est Roland Barthes qui formule le plus clairement cette fonction : « Le texte, écrit-il, dirige le lecteur entre les signifiés de l’image »[2].

Troisième caractéristique de l’album. L’interdépendance du texte et de l’image que je viens d’évoquer a partie liée avec le rapport de dépendance de l’enfant à l’adulte. Si l’image est accessible à la simple vue, l’écrit est un trésor encore caché que seul peut délivrer la voix de celui qui sait lire. C’est donc avec le concours de l’adulte, qui peut d’ailleurs être une grande sœur ou un grand frère, que l’enfant met en place sa lecture du monde via l’album, ou plus exactement sa découverte du monde en tant que chose à décrire, à mettre en paroles, paroles qu’il saura un jour retrouver dans les mots. L’apprentissage de la lecture commence donc bien en deçà de la rencontre des mots écrits : dans la face à face avec l’image. C’est ainsi que l’enfant de nos contrées apprend à se représenter une girafe et à dire le mot « girafe » bien avant qu’il puisse en croiser une dans la vie réelle. Ce monde imaginaire, qui s’enrichit tous les soirs et flotte au-dessus de son lit avant qu’il ne s’endorme, se constitue peu à peu en lui, paroles et images entrelacées, sons et couleurs, enrichi de tout ce qui est perçu avant même de pouvoir être nommé.

Cet imaginaire en voie de constitution est à la racine de son autonomie à venir et de sa curiosité, en bref de tous ses apprentissages futurs. Hors de l’album, point de salut. Cette autonomie vis-à-vis de l’adulte s’ébauche très tôt, quand l’enfant commence à se raconter des histoires dans sa tête, en jouant seul ou avec d’autres. Et quand il se saisit lui-même des livres pour « lire comme un grand » lors même qu’il en est encore incapable et qu’il ne fait que mimer cette activité.

Ces bonnes paroles étant dites, passons aux travaux pratiques et ouvrons l’album de Julien Béziat, intitulé Le bain de Berk, publié en septembre dernier par Pastel, filiale belge de l’école des loisirs. Ou plutôt : examinons-le. Sur la couverture, il y a de l’eau, beaucoup d’eau, d’où émerge un bec jaune, deux yeux, une tête coiffée d’un bonnet. Au dos, sur ce qu’on appelle la 4ème de couverture, cinq paires d’yeux nous dévisagent, émergeant de ce qui semble être le bord d’une baignoire, ce que confirme le petit texte exclamatoire qui sert d’appât au jeune lecteur en lui faisant soupçonner une bêtise, texte à dire d’une voix bien adulte : « Mais qui a encore mis de l’eau partout dans la salle de bains ! ».

C’est bien évidemment la porte d’une salle de bains que l’on ouvre en tournant la page pour entrer dans le bain de Berk le canard. L’incipit de l’album, en français ses premiers mots, annonce en même temps un drame et une structure narrative complexe : « L’autre jour, un truc terrible est arrivé dans mon bain. C’est Berk, mon doudou, qui me l’a raconté ». Le narrateur, vraisemblablement un enfant, rapporte une histoire que lui a racontée son doudou. Les doudous, comme chacun sait, parlent. La baignoire apparaît par la porte entrebâillée. Sur un bord sont posés trois jouets de bain inertes, comme tous les jouets de bain du monde. Les deux pages suivantes déploient les acteurs du drame à venir : non pas trois mais quatre jouets de bain et le doudou Berk posé à la hâte sur le bord d’en face. L’histoire va réveiller ses cinq personnages mais je ne vous révélerai pas la suite, vous laissant la découvrir. Je dirai seulement que Julien Béziat développe un récit proprement haletant, qui se termine dans un éclat de rire… éclaboussant, c’est le moins qu’on puisse dire. Vous relirez ce livre cent fois sans vous lasser.

Je n’ai qu’un conseil à donner à celui qui lira l’histoire Le bain de Berk à voix haute : qu’il s’entraîne auparavant en répétant plusieurs fois :
« gléglégligliglangleuglin », « chéchéchichichancheuchin » et « blébléblibliblanbleublin »

Le bain de Berk - Julien Béziat - Pastel (40 pages, 13,50 €)

En podcast sur RCF Loiret (je vous raconte - comme je peux - l'album à 3:43...) :







[1] Lire l’album, Sophie Van der Linden, L’atelier du poisson soluble, 2006.
[2] In L’Obvie et l’Obtus, Essais critiques III, p. 31 cité par Sophie Van der Linden, p. 90

vendredi 25 novembre 2016

iM@mie


En matière de littérature pour la jeunesse, choisir un livre à lire ou à offrir n’est pas plus facile que dans le monde des grands. Mais comme dans celui-ci, les prix décernés chaque année peuvent permettre de repérer les bons livres sortis, sinon toujours les meilleurs. Certes il n’y a pas le battage médiatique qui accompagne chaque automne les prix Goncourt, Renaudot ou Femina. Mais certains prix jeunesse se distinguent par la qualité de leur jury ou par le procédé de désignation des lauréats. Trois exemples parmi d’autres : les Prix Sorcières sont attribués chaque année par un jury de libraires professionnels, regroupés au sein de l’Association des libraires spécialisés jeunesse ; le prix des Incorruptibles, lui, se veut comme son nom l’indique, libre de toute influence et ce sont les jeunes eux-mêmes qui votent pour le livre qu’ils ont préféré : ils étaient plus de 400 000 en 2015-2016 ! Ajoutons que tous les ans, début décembre, se tient le salon du livre et de la presse jeunesse, aussi connu sous le nom de salon de Montreuil. Y sont décernés désormais des « pépites » - auparavant c’étaient des « totems » - choisies cette année parmi une sélection de 36 titres répartis en 8 catégories (il y a aussi des documentaires et des livres audio). Partout en France, beaucoup de salons du livre organisent localement des prix qui ont deux fonctions : faire lire les jeunes et attirer les auteurs présélectionnés…

Si je mentionne aussi le prix Chronos, c’est que l’auteure dont je veux vous parler aujourd’hui l’a reçu en 2016 pour son livre iM@mie. C’est un prix de littérature original qui s'attache, je cite, à « faire réfléchir les jurés sur le parcours de vie et la valeur de tous les temps de la vie, les souvenirs, les relations entre les générations, la vieillesse et la mort, les secrets de famille ainsi que la transmission des savoirs. » Dans iM@mie, l’auteure, Susie Morgenstern, la plus américaine des Françaises, se livre largement dans le personnage d’une grand-mère chargée par sa fille d’accueillir Sam, un ado bien doué mais trop accro aux jeux vidéo pour envisager raisonnablement de préparer chez lui son bac de français. On n’est pas sérieux quand on a 16 ans. Bien tranquille dans sa retraite niçoise, Martha pèse le pour et le contre. Certes elle s’entend très bien avec Sam, mais avoir ce jeune Parisien à demeure nuit et jour, hériter la responsabilité de le conduire jusqu’au bac, elle ne sait pas si c’est le rôle d’une grand-mère, si elle tiendra le coup, si même elle le souhaite. En bref, selon la l’expression qu’affectionne Susie elle-même, Martha hésite à la perspective de devoir « grand-merder » à temps plein.

En une série de très courts chapitres, qui ressemblent aux vignettes extraites d’un journal intime, Susie nous conte les relations affectueuses et tumultueuses d’une mamie avec son petit-fils. Car bien sûr, Martha a dit oui à sa fille et Sam débarque chez elle, sans ordinateur ni portable, pour un long sevrage d’électronique. Pour sa cure, il est bien tombé : sa grand-mère, veuve depuis vingt ans, n’a jamais touché un ordinateur de sa vie et n’a même pas la télé. Mais elle aime la musique – Sam est pianiste - fait très bien la cuisine – Sam est un ado gourmand - et sa maison est tapissée de livres – Sam en a un certain nombre à lire pour son examen. Tout ceci pourrait bien compenser cela.


C’est d’ailleurs à un drôle d’échange que nous assistons entre la grand-mère et le petit-fils, une sorte de corruption croisée et pourtant vertueuse, d’où chacun va tirer des bénéfices inattendus. Comment Sam va découvrir que, contre toute attente, sa vie ne se réduit pas à passer le bac, comment Martha va s’extraire de son long veuvage en forme d’hivernage, vous le saurez en lisant iM@mie. Jeunes et moins jeunes en prendront de la graine.  Mamies et papys, vous découvrirez comment et pourquoi on peut devenir des i-mamies et des i-papys, i comme internet, bien sûr. Et Susie Morgenstern vous administrera une nouvelle fois la preuve que la littérature pour la jeunesse est, à tous les âges, un vrai remède à la mélancolie.

iM@mie - Susie Morgenstern - l'école des loisirs (199 pages, 14,80 €)

Un portrait de Susie Morgenstern ? Cliquez ici.

En podcast sur RCF Loiret (écoutez un extrait du livre à 3:41) :

mercredi 23 novembre 2016

Sauveur & Fils, saison 2

Sur le front de la vie




Les « vacances » des lecteurs furent un peu longues depuis la sortie de la saison 1, le 13 avril dernier. Mais nous sommes en septembre et les consultations reprennent enfin rue des Murlins, dans le cabinet de Sauveur Saint-Yves, psychologue clinicien. Ella et Sauveur, eux, se retrouvent après la coupure de l’été, non sans émotion, partagée : en principe, un thérapeute n’a pas de patient préféré mais nous savons déjà que Sauveur est faillible et c’est d’ailleurs par et pour ses failles qu’il est aimé. Pour lui, chaque jour de la semaine a donc un prénom. Le lundi c’est Ella.

C’est grâce à Ella-Elliot que cette deuxième – et non seconde – saison se raccorde en douceur avec la première. Le lecteur qui découvrirait Sauveur en ce 9 novembre deviendra vite familier de la tribu qui s’est constituée autour de lui, sans avoir à lire le volume précédent.

D’autant que la dite tribu va s’enrichir de nouveaux personnages, côté clientèle et côté « VéPé », cette « vie privée » dont Lazare, le jeune fils de Sauveur, a été un acteur-clé pendant la saison 1. C’est lui, rappelons-le, dont la curiosité nous a entrouvert la porte du cabinet de Sauveur. Mais nous n’avons plus besoin de ce jeune témoin pour suivre les thérapies en cours et nouvelles, racontées par un narrateur plus omniscient que jamais. Omniscience bienvenue car vie professionnelle et vie privée de Sauveur s’emmêlent de plus en plus, débordé qu’il est par ses amours régulièrement contrariées par son métier, ses hamsters prolifiques et des squatters qui tapent l’incruste chez lui : le jeune Gabin, qui se verrait bien adopté et Jovo, un vieux légionnaire SDF qui lui aussi élirait volontiers domicile fixe rue des Murlins, fût-ce dans la cave. L’adresse est bonne, qu’on se le dise ! Le rythme des semaines, qui forme les chapitres, a été gardé au seuil de cet automne 2015, où nous allons découvrir aussi que Gabin est un fan de The Eagles of Death Metal…

Il y a dans la saison 2 comme une nouvelle fluidité. Roman choral diront certains ou plutôt désormais : roman « fluminal ». Tout y communique, êtres et situations, parce que le courant de la vie emporte Sauveur et ceux qui deviennent de plus en plus les « siens » dans une sorte de fleuve plus fort que tous les principes thérapeutiques et tous les cloisonnements sociétaux. Au seuil de la retraite, l’institutrice de Paul et Lazare, que nous voyons se débattre dans sa classe, vient trouver chez Sauveur un remède à ce qu’elle pense être son obsolescence pédagogique. Pendant qu’une famille de réfugiés syriens est interviewée par Louise pour La République du Centre, notre psy entreprend d’en soigner la fille, Raja, traumatisée par les exactions de Daech.


La vie avance son front têtu, simultanément blessé et guéri. Ouvrant les bras de son récit, Marie-Aude Murail pousse une nouvelle fois devant elle son petit monde qui se débat, diversement violenté, jusqu’à un concert qui n’est pas encore celui auquel tout le monde pense, un an après. Il faudra attendre le printemps 2017 et la saison 3 pour savoir ce que la musique peut vraiment sauver.

Sauveur & Fils, saison 2 - Marie-Aude Murail - l'école des loisirs (320 pages, 17 €)

vendredi 18 novembre 2016

Les 50 ans de Pomme d'Api


L’an passé, l’école des loisirs fêtait ses cinquante ans. Cette année, c’est au tour des éditions Bayard de célébrer le cinquantenaire de Pomme d’Api. Ce mensuel, destiné aux enfants de 3 à 7 ans a été créé en 1966. Distribué au départ à la sortie des églises, visant un public auquel personne n’avait pensé et pour cause, celui des enfants qui ne lisent pas encore tout seuls, son succès a été immédiat. Les fondateurs, Yves et Mijo Beccaria, étaient issus de l’Action catholique, d’un christianisme engagé et ils s’appuyaient sur des vues pédagogiques modernes, celles de Maria Montessori en particulier : apprendre en jouant, en utilisant tout son corps et pas seulement sa tête, etc. Les années 70 ont vu Bayard développer une gamme de périodiques couvrant progressivement tous les âges de 0 à 20 ans : Les Belles Histoires, Astrapi, J’aime Lire, Okapi, Je Bouquine, Phosphore, autant de titres dans lesquels des générations successives ont acquis et consolidé le goût de la lecture.

Petite parenthèse : cette réussite éditoriale de Bayard sera clonée quasiment terme à terme à partir de 1980 par une maison toulousaine concurrente dénommée Milan Presse. Patrice Amen, l’un des quatre fondateurs et ancien président du groupe, souhaitait, en dépit de son patronyme, créer une presse laïque, vierge de toute référence religieuse. Ce sera le lancement de Toboggan, concurrent direct de Pomme d’Api. Suivront d’autres succès de presse puis d’édition, comme Copain des Bois. Mais Bayard aura le dernier mot en absorbant le groupe Milan en 2004, tout en lui laissant une large autonomie qui perdure à ce jour.

Aujourd’hui, Pomme d’Api, pour revenir à lui, tire à plus de 100 000 exemplaires chaque mois, chiffre qu’il faut multiplier par 10 pour mesurer son audience véritable. Pour beaucoup d’enfants devenus aujourd’hui adultes et parents, leur première bande dessinée a été Petit Ours Brun, le héros intemporel créé dans Pomme d’Api par la gouache de Danièle Bour en 1975. Quarante ans après, « P-O-B » comme disent les spécialistes, est toujours présent et dans le numéro de novembre 2016, déjà paru, il rentre de l’école avec son papa. Trop sage, Petit Ours Brun ? Ses aventures font l’objet sur Internet de multiples détournements, des plus malicieux aux plus trash, preuves supplémentaires qu’il est bien un personnage culte de la petite enfance.

Ces revues pour la jeunesse, vous pouvez les découvrir et même les feuilleter sur les sites internet de Bayard ou de Milan ou chez votre marchand de journaux habituel. Aux approches de Noël, si vous ne savez rien offrir à vos petits- enfants - « qui ont déjà tout » vous lamentez-vous déjà - pensez qu’un abonnement à un mensuel ciblé pour leur âge sera un cadeau apprécié, qui leur rappellera en outre chaque mois, surtout si vous vivez au loin, qu’ils ont un papy ou une mamie qui pense à eux.

Bon, puisque vous avez été sages cette semaine, je vais vous lire, non pas un extrait, non, TOUTE une histoire de POB. Celle-là, je l’ai ressortie de ma bibliothèque. Je la racontais à mon fils Benjamin quand il avait cinq ans, il en a aujourd’hui 39 puisqu’il est né en même temps que J’aime Lire, ce qui ne nous rajeunit pas. C’est une histoire dramatique, qui s’intitule « Petit Ours Brun est fâché avec maman », en 7 images, comme toutes les histoires de POB depuis que POB existe.

Soyez bien attentifs. On est à la radio et pas à la télé. Il faut donc que je vous fasse aussi les images. Le drame se noue dans la cuisine. Maman est aux fourneaux et tourne la tête vers POB qui vient de débouler dans son dos :
-        -  Maman, un bonbon, s’il te plait, je veux un bonbon.
Vous aurez noté que notre petit ours national est bien élevé : il a dit « s’il te plait ». Pas sûr pourtant que ça suffise. De fait, la maman retourne ostensiblement à ses casseroles et énonce clairement :
-         - Non, Petit Ours Brun, on va dîner.
Vlan, une fin de non recevoir aussi brutale qu’unilatérale. Le POB ne se démonte pas. Il tire sournoisement par derrière sur les cordons du tablier de maman ours et lance :
-         - Je veux un bonbon, t’es pas gentille.
Pendant que maman, sans montrer trop d’agacement, renoue son tablier, POB porte l’estocade :
-         - Je t’aime plus, je veux une autre maman.
Est-ce que maman va se démonter, s’effondrer en sanglots, se mettre à genoux devant POB ? Pas du tout, ce monstre d’indifférence ose lancer à son petit ours adoré cette très froide réplique :
-         - Cherche une autre maman Petit Ours Brun.
A quoi POB répond du tac au tac par le cahier des charges de la maman idéale :
-         - Je veux une maman qui donne des bonbons, une maman qui gronde pas.
 -  Et quoi encore ? interroge la maman qui, un genou sur le carrelage, s’est enfin mise à hauteur de son ourson et lui pose la main sur l’épaule.
Danièle Bour a laissé le dernier mot à POB :
-         - Une maman toujours gentille.


C’était, exceptionnellement cette semaine, une histoire COMPLÈTE de Petit Ours Brun, de Danièle Bour, parue il y a fort longtemps dans Pomme d’Api, le magazine mensuel de Bayard destiné aux enfants de 3 à 7 ans, qui fête cette année ses cinquante ans.

Petit Ours Brun est fâché avec maman - Danièle Bour - Centurion jeunesse

En podcast sur RCF Loiret (écoutez une histoire ENTIÈRE de POB à partir de 2:49) :

vendredi 4 novembre 2016

Renommer


Où passe la frontière entre la littérature pour la jeunesse et la littérature pour les « grands », dite générale ? Ni les éditeurs ni les auteurs et encore moins les prescripteurs ne sont d’accord sur son tracé. Sans doute est-elle mouvante et chaque nouveau livre la redessine à sa façon. On invente parfois de nouvelles classifications pour la déplacer : les anglo-saxons ont ainsi créé la catégorie « young adult » pour essayer de surmonter leur puritanisme qui, joint à leur protectionnisme culturel, leur interdit de traduire en anglais bon nombre de romans français d’aujourd’hui. « Jeune adulte », c’est sans doute plus valorisant pour le lecteur que « vieil ado » ! En 2004, un colloque s’était tenu à Cerisy sur cette question des limites. Il s’intitulait : « Littérature de jeunesse, incertaines frontières ». Une chose reste sûre : les livres pour la jeunesse se reconnaissent partout au fait qu’ils peuvent être lus par tout le monde et donc partagés entre toutes les générations.

C’est une autre certitude littéraire que nous fait partager l’école des loisirs en publiant ces jours-ci le nouveau livre de Sophie Chérer, intitulé Renommer. Au commencement de toute forme de littérature sont les mots, mais si l’on ne veut pas se payer de mots, justement, il faut sans doute se demander comment les mots eux-mêmes ont commencé, remonter à leurs premiers balbutiements, lorsqu’ils n’étaient encore que des racines qui se promenaient, indécises,  entre les langues, hésitant à se fixer dans l’une ou l’autre. Juste avant Babel. C’est à quoi s’emploie notre auteure, accompagnée par les illustrations décalées et joliment ironiques de Philippe Dumas.

Sophie Chérer introduit sa promenade dans le trésor des mots  en évoquant une rencontre avec des élèves de 6ème. Interrogée par l’un d’eux sur ce qu’elle était en train d’écrire, elle s’est mise à leur parler d’étymologie et de la fabrique des mots. C’est sans doute l’écoute passionnée qu’elle a suscitée qui l’a convaincue qu’elle était en train d’écrire un livre pour la jeunesse, aussi nécessaire qu’une quelconque fiction et qui fera aussi, n’en doutons pas, le régal des professeurs de français.


Sophie Chérer fait bien plus que nous promener dans une sorte de dictionnaire personnel. Qu’elle évoque l’économie, la nature ou la société, ses convictions sociales, sa foi même, surgissent au détour des mots qu’elle tourne et retourne comme un jardinier bêche la terre : crise, pollution, laïcité, religion, pour ne donner que quelques exemples, retrouvent les couleurs d’une révolte nécessaire face à toutes les langues de bois qui ont laissé pâlir leur sens. A retrouver ainsi la saveur de mots, les pays d’où ils viennent, peut-être allons nous mieux les accueillir et entendre ce qu’ils ont à nous dire, non seulement du passé, mais aussi de notre avenir.

Renommer - Sophie Chérer (illustrations de Philippe Dumas) - l'école des loisirs (278 pages, 16,50 €)

En podcast sur RCF Loiret (écoutez un extrait du livre à 2:40) :


vendredi 28 octobre 2016

L'amour, le Japon, les sushis et moi


Il faudra bien que je vous parle un jour des mangas, ces bandes dessinées importées du Japon, dont les Français sont les premiers consommateurs, immédiatement derrière les Etats-Unis : ne me demandez pas pourquoi ! Pour le moment, commençons par nous familiariser avec les mœurs du pays du Soleil levant en découvrant le livre de N. M. Zimmermann, intitulé L’Amour, le Japon, les sushis et moi. Cette jeune auteure pour la jeunesse, tombé amoureuse à 12 ans du Dracula de Bram Stoker, a depuis commis une dizaine de livres sur les vampires et autres terreurs du même acabit avant de se décider 1°/ à étudier le japonais 2°/ à aller passer un an à l’université de Nagoya pour travailler ses kanji et son accent nippon ni mauvais.

C’est ce séjour qui a nourri son dernier roman. Celui-ci narre les aventures d’une Française de 15 ans plongée brutalement par sa mère, chercheuse expatriée, dans le système scolaire local et confrontée plus largement aux us et coutumes d’un pays durement exotique. La narratrice, dénommée Lucrèce, découvre peu après la rentrée que les clubs dans son lycée, comme bien d’autres choses, n’ont malheureusement rien de facultatif. Pressée par son professeur principal de s’inscrire, elle choisit, à l’arrache, le Club des amateurs de sushis, devenant son 5ème membre. 

Bien que Lucrèce les ait sauvés de la dissolution, car, selon le règlement du lycée, un club doit comprendre au minimum 5 membres, Oda, Miki et Saya l’accueillent plutôt froidement, surtout quand elle pose la question qui fâche : « Qu’est-ce qu’on fait ? » Aucun des trois n’a l’intention de lever le petit doigt pour confectionner des sushis ou quoique ce soit d’autre et Ryu, le second garçon, est aux abonnés absents. Comment la Française va-t-elle parvenir à remuer tout ce petit monde ? Ah, oui, il y a aussi le mot Amour dans le titre. Sachant que c’est Oda qui a invité Lucrèce à rejoindre le club, mais que Ryu s’avère être son voisin d’immeuble, qui donc va l’emporter ?
Zimmermann conte avec une verve aussi comique que caustique le choc culturel franco-japonais. Lucrèce a un petit frère, Maximilien, qui voit des monstres partout dans l’appartement et qui est  flanqué d’un chien trouvé et affreux, appelé pour cette raison Trobeau. S’ajoutent donc, au récit d’acclimatation d’une adolescente, l’intrigue quotidienne d’une famille monoparentale puisque le papa, perdu quelque part dans l’Himalaya, en a laissé les rênes à une tête chercheuse bien plus fantaisiste que ne le sont sa fille, son fils et son chien réunis.

En lisant L’Amour, le Japon, les sushis et moi, vous saurez tout, tout, tout sur le Japon.

L'amour, le Japon, les sushis et moi - N.M. Zimmermann - Albin Michel Jeunesse litt' (416 page, 15,90 €)

En podcast sur RCF Loiret (écoutez un extrait du livre à 2:26) :

vendredi 21 octobre 2016

Papa sur la Lune



Au seuil de la littérature, alors que l’écrit est encore pour le tout-petit « une source close, une fontaine scellée », telle la fiancée du Cantique des cantiques, c’est l’image qui lui fait signe et lui dit : « Viens, entre chez moi sans peur ». « Chez moi », c’est-à-dire dans la forêt des contes, dans l’univers des albums : autant de portes colorées qui vont conduire doucement l’enfant jusqu’au monde des lettres.

Confortablement installés, l’enfant sur vos genoux, ou assis dans son lit et vous à côté de lui, ouvrez grand le livre et commencez la lecture à voix haute, cette clé de tous les apprentissages ultérieurs. Une petite main vous arrête parfois, corne la page, revient en arrière, s’attarde sur une image. Lui dit « sa » et vous, vous reprenez : « chat », renouant inlassablement avec le fil interrompu du récit. Les enfants réclament souvent le même album, la même histoire, puisant dans cette répétition l’assurance que leur donne aussi leur doudou. C’est cette répétition qui va fonder leur désir de nouveau, qui sera un jour indéracinable.

Alors que les mots ne sont encore que des signes muets, la beauté des images les précèdent. Et il faut bien avouer que nous sommes gâtés par ces immenses artistes que sont les illustrateurs, femmes et hommes, si nombreux et si divers aujourd’hui.

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Ce n’est pas un album récemment paru que j’ai choisi de vous présenter. Papa sur la Lune, d’Adrien Albert, a été publié par l’école des loisirs en avril 2015. Mais il conte l’histoire intemporelle d’une petite fille, Mona, qui va passer son week-end chez papa. De ce déplacement bien ordinaire, que vivent chaque semaine des milliers d’enfants dont les parents sont séparés, Adrien Albert a fait un voyage aussi spécial que spatial : bien obligé, puisque papa est parti habiter… sur la Lune.

Maman a préparé soigneusement le départ : combinaison, fusée, vaisseau, capsule et… doudou, rien ne manque à cette mission Apollo hebdomadaire. A l’arrivée sur la Lune, le week-end chez Papa tient sur une page de neuf cases, dans lesquelles l’enfant peut identifier autant de moments de sa vie là-haut : « Mona fait de la patinette », « Mona joue avec Papa », « Papa sèche les cheveux de Mona », etc. Et déjà, c’est dimanche soir, il faut revenir sur Terre.

D’une situation devenue banale, mais pas toujours facile à vivre, Adrien Albert a su faire un conte moderne et décalé, habillé de couleurs optimistes, tantôt vives, tantôt pastel, où chaque acteur, père, mère et enfant met du sien pour que tout se passe au mieux, en dépit de l’éloignement. La ligne claire du dessin fait penser irrésistiblement à l’album d’Hergé, On a marché sur la Lune.


Et quelle émotion de se tenir près d’un tout-petit, un si bel album entre les mains. Allez, vous êtes bien calés tous les deux ? Pour cette fois, c’est moi qui lis, vous allez peut-être m’entendre tourner les pages…

Papa sur la Lune - Adrien Albert - l'école des loisirs (36 pages, 12,70 €)

En podcast sur RCF Loiret (je vous lis l'album à 2:50 mais... sans les images !) :

vendredi 14 octobre 2016

Le club des millionnaires express



Saluons Mediaspaul, la maison d’édition religieuse québécoise, qui lance en France, sous le label Libertad, une collection destinée à la jeunesse. Elle en a confié les rênes à Bertrand Ferrier, l’un des meilleurs spécialistes français du domaine, auquel il a consacré naguère une thèse universitaire passionnante intitulée Tout n’est pas littérature !  publiée en 2009. Sa présence à la tête de Libertad est, en soi, la promesse d’ouvrages décoiffants. Le label nous annonce d’ailleurs des livres liiiiibres, avec quelques « i » de trop, déclinés en zinattendus, zilarants et zincroyables, avec autant de « z ». La cible ? Les jeunes de 9 à 13 ans, filles et garçons, ceux du moins que l’école et internet n’ont pas encore dégoûtés de la lecture.

Les trois premiers titres, Ézoah, de Maxime Fontaine et Bertrand Ferrier soi-même, Le secret du coquillage, de Nataly Adrian et Le club des millionnaires express , de Dan Gutman, viennent de paraître le 15 septembre.

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N’allez pas seriner à Mademoiselle Gina Tumolo, 11 ans, que l’argent ne fait pas le bonheur. Au seuil d’un été qui s’annonce ennuyeux, Gina, qui lorgne vers le fabuleux destin de Bill Gates, n’a qu’un rêve : devenir millionnaire. Si possible avant la rentrée prochaine. Quand on habite aux Etats-Unis, quoi de plus légitime et de plus impérieux ? Gina s’impose donc rapidement en pédégère de l’entreprise qui va la rendre riche, en s’adjoignant comme vice-président Rob, une sorte de baron perché du même âge qu’elle et qui parle comme un livre. Quincy, dix ans, une bavarde pas toujours compréhensible quand elle s’exprime, va hériter le contre-emploi idéal pour elle : directrice de la communication. C’est enfin parce que Gina n’arrive pas à les faire dégager que les jumeaux pots-de-colle, Eddie et Teddy Bogle, 16 ans à eux deux, sont engagés dans l’aventure estivale, complétant ce club de futurs – très jeunes - millionnaires.

Dan Gutman est américain et auteur d’une centaine de romans pour la jeunesse dont un bon nombre consacrés au base-ball, qui n’auraient qu’un intérêt ethnographique pour des petits Français. Le club des millionnaires express, en revanche, relève d’une thématique universelle qui tracasse très tôt les enfants, avec le lancinant problème de l’argent de poche, nécessaire mais jamais suffisant. On ne révélera pas ici dans quelle entreprise l’ambitieuse Gina mène son quintet, ni comment. Mais le fait est que nos cinq zozos vont parvenir à mettre en ébullition la petite ville de Farmington, qui se morfondait au fin fond de l’État du Maine, et entrevoir un instant gloire et richesse.


Gina est la narratrice pétulante de ce livre et les dialogues inventés par Dan Gutman, caustiques à souhait, font souvent mouche, méritant le label zilarant affiché en couverture. En arrière-plan, la satire d’une opinion prête à gober la moindre salade, assaisonnée par les media avec le plus parfait cynisme, pourra faire réfléchir utilement les jeunes et moins jeunes lecteurs aux petits travers de l’information à l’ère des folles rumeurs et des soupçons complotistes.

Le club des millionnaires express - Dan Gutman - Libertad (168 pages, 13 €)

En podcast sur RCF Loiret (écoutez un extrait du livre à 2:56) :

mercredi 12 octobre 2016

Zapland


Après les livres ?


Zapland est un pays de nulle part pas loin de chez nous, où vit Tanee, 8 ans. Nous sommes en 2054 et il n’y a plus de livres. Du coup, apprendre à lire pour choisir son sachet de soop est devenu plus ou moins facultatif. Les parents de Tanee, pas inquiets pour un sou, laissent encore deux ou trois ans à leur fille pour y parvenir, grâce aux méthodes pour le moins ludiques de son instit’, Madame Poincom, 82 ans au compteur. Laquelle est proche de la retraite, rassurons le SNI !

Marie-Aude Murail a écrit Zapland après deux ans d’inventaire personnel et familial et 300 pages de « mémoires », déposées au fond d’un tiroir. Elle s’était alors demandé avec un brin d’angoisse si elle réécrirait jamais pour la jeunesse. D’ailleurs avait-on encore besoin de livres et donc d’écrivains ? Sous son humour et son apparente légèreté, Zapland porte donc les traces de ces doutes intimes et de ces interrogations d’époque, nourris sur le moment par le visionnage répété de Fahrenheit 451, de François Truffaut, et la relecture du livre de Ray Bradbury.

C’est grâce à ce texte court, mettant en scène un clone à peine futuriste de Romarine – l’illustration est d’ailleurs due à Frédéric Joos qui a su camper si bien L’Espionne dans J’aime Lire - que Marie-Aude a pu renouer avec l’écriture pour autrui et, quelque temps plus tard, entamer la série des Sauveur & Fils.

Au fond, Zapland est peut-être un conte d’avertissement à l’usage… des écrivains, à l’approche de la tornade numérique qui pourrait les emporter, eux et leurs livres ! Mais Marie-Aude Murail n’a pas voulu abandonner ses lecteurs, petits et grands, sur une note pessimiste : on leur laissera découvrir la chute de ce récit. En devenant archéologue du livre malgré elle, Tanee a peut-être trouvé sa vocation.

Il n'est évidemment pas fortuit que ce livre, écrit au moment où l'école des loisirs célébrait son cinquantenaire, soit dédié à Jean Delas, co-fondateur de la maison d'édition et pour qui "lire est le propre de l'homme".

vendredi 7 octobre 2016

Jésus, comme un roman


L’avantage, avec la littérature pour la jeunesse, bien des auteurs vous le diront, c’est que les livres ne disparaissent pas du jour au lendemain des rayonnages des libraires. Jean Delas, l’un des confondateurs de l’école des loisirs, aime à répéter qu’il n’édite pas des best-sellers mais des long-sellers, des titres qui restent au catalogue et qui se vendent sur 5, 10 parfois 20 ans. C’est particulièrement vrai dans le cas des albums. Car il n’est pas rare que des jeunes parents rachètent à leurs enfants ceux qui les ont bercés quand ils étaient eux-mêmes tout-petits. Mais c’est aussi vrai pour certains livres destinés aux premiers lecteurs voire aux adolescents.
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Comme c’est la rentrée des KT et des aumôneries, je veux vous parler d’un de ces « long-sellers ». Publié par Bayard il y aura bientôt vingt ans, Jésus comme un roman est le résultat d’une commande passée par l’éditeur catholique à Marie-Aude Murail, l’auteur pour la jeunesse bien connue. A l’époque, Bayard souhaitait offrir aux jeunes lecteurs quelque chose qui n’existait pas : une sorte de biographie de Jésus  destinée à ceux qui, vierges de toute éducation ou culture religieuse, ne savent strictement rien du fondateur du christianisme. Nous en croisons tous les jours. Marie-Aude Murail a relevé le défi, constatant d’emblée que les quatre évangiles, « avec leur narration en patchwork, leurs nombreux personnages et un contexte historique mal connu sont d’une lecture peu accessible aux jeunes d’aujourd’hui. »

Après quelques essais et tâtonnements, l’auteure a décidé, plutôt que de raconter une énième « vie de Jésus », de plonger le jeune lecteur dans un récit d’aventures qui commencerait par où les évangiles se terminent, à la manière d’un roman policier construit en flashback : « un cadavre a disparu, qu’en ont-ils fait ? ». Tout en restant au plus près du texte des Ecritures, elle a choisi l’apôtre Pierre comme narrateur de cette histoire. C’est donc un récit inédit au « je », l’écrivaine s’étant glissée dans la peau du plus tourmenté des disciples. En 22 courts chapitres tendus, conclus par un épilogue, nous suivons Pierre sur les clairs chemins de Galilée, du premier qui s’intitule Disparu ! au dernier : Vivant.

Au moment de la sortie de son livre, Marie-Aude Murail a raconté à France Inter les circonstances particulières dans lesquelles elle avait composé cette histoire : « Je l’ai d’abord écrite, disait-elle, parce que ma mère était en train de mourir et que j’avais besoin de m’entendre dire : « N’aie pas peur ». Je l’ai écrite aussi parce que les enfants, mes enfants, nos enfants, peuvent à leur tour avoir besoin un jour que quelqu’un, sur la route, les accompagne et leur redise les mots d’amour d’un certain Jésus. Si ce quelqu’un, c’était moi, je n’aurais pas été écrivain jeunesse pour rien. »

Dès sa sortie, Jésus comme un roman a reçu le prix jeunesse 1998 du syndicat des libraires de littérature religieuse. Il a été traduit en allemand, en espagnol, en néerlandais et en italien.

Maintenant, je vous propose d’écouter Pierre. Il est chez lui, prostré, quand Jean entre brusquement. Nous sommes au matin de la résurrection, mais ni Pierre ni Jean ne le savent encore et notre jeune lecteur non plus :

(l'extrait lu est à 3:09)


Jésus, comme un roman - Marie-Aude Murail - Bayard (133 pages, 10,90 €)

vendredi 30 septembre 2016

Songe à la douceur


Peut-être désespérez-vous de comprendre ce qui se passe dans la tête de vos enfants, de vos petits voire de vos arrière-petits enfants ? Avec leurs écouteurs bien enfoncés dans les oreilles, les yeux rivés sur leurs écrans, le portable précieusement vissé dans la main gauche, sont-ils encore accessibles ? Ils semblent avoir plongé dans un monde qui vous échappe définitivement. Serez-vous encore capables de les rejoindre ?
Je vous propose une expérience. Ouvrir une porte qui vous conduira jusque dans leur cœur. Cette porte, ce sont des livres, qui sortent pas dizaines chaque jour, et qui leur sont spécifiquement destinés. La littérature pour la jeunesse, car c’est d’elle qu’il s’agit, est le miroir dans lequel vous allez les retrouver, et vous avec eux, miraculeusement rajeunis. C’est aussi aujourd’hui, une des plus dynamiques et des plus inventives, n’en déplaise aux Goncourt et autre Renaudot.

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Un exemple entre tous ? En cette rentrée, ClémentineBeauvais publie Songe à la douceur, une invitation au voyage intérieur, qui emprunte son titre au poème de Baudelaire. C’est une histoire d’amour en deux temps, inspirée très librement de l’Eugène Onéguine, d’Alexandre Pouchkine et de celui mis en musique par Tchaïkovski. Mais il n’est nul besoin d’avoir jamais lu Pouchkine ou entendu Onéguine pour se laisser entraîner par ces jeunes héros contemporains, Olga et Tatiana, les deux sœurs, et leurs deux amis, Eugène et Lensky. Comment s’aime-t-on, trop tôt mais irrésistiblement, à 14 ans, à 17 ans ? Et si l’amour, contre toute attente, repasse les plats dix ans plus tard, va-t-on pouvoir se « re-aimer », et de quelle nouvelle façon ?

Clémentine Beauvais a eu l’audace d’écrire un roman en vers libres, comme son prestigieux modèle slave. Quoi de neuf en amour, à l’ère obsédée du téléphone portable et des sms ? Que reste-t-il des premiers émois moulinés à l’alexandrin numérisé ? Amours, amitiés, dans quelles couveuses urbaines naissent, grandissent et meurent aujourd’hui les sentiments ? Et, derrière ces apparences modernes, y a-t-il quelque chose de vraiment changé au royaume des couples ?

Accrochez-vous à la lecture. Ça va très vite, ça zappe, ça virevolte, ça textote. Vous serez peut-être perdus à un moment ou à un autre, entre l’avant et l’après, hier et aujourd’hui, les dialogues et les fors intérieurs, les voix djeunes et les voix off. Mais rassurez-vous, Clémentine Beauvais vous tient fermement la main et ne vous lâche pas. Même si vous avez un peu mal au cœur dans ses montagnes russes, laissez vous emporter, vous arriverez à bon port, un peu étourdis, mais définitivement ravis, comme je l’ai été.


D’ailleurs je ne résiste pas au plaisir de vous laisser quelques instants supplémentaires en compagnie d’Eugène : Clémentine Beauvais lui a prêté sa plume, moi je prête ma voix à Clémentine, vous savez, cette « voix haute » avec laquelle il ne faut surtout pas renoncer à lire des histoires, aux petits comme aux grands, encore et toujours :

(l'extrait est à 3:05) :

Songe à la douceur - Clémentine Beauvais - Sarbacane (240 pages, 15,50 €)

lundi 18 avril 2016

Tous les héros s'appellent Phénix


Il était une fois un parâtre...


Nastasia Rugani n’a que 28 ans. Elle a été biberonnée au Hollandais sans peine (de Marie-Aude Murail) par sa maman, et elle a très peur de l'ogre. Un jour, la ficelle de son cerf-volant l’a tirée jusqu’en Amérique où elle a installé ses personnages. Nastasia est un écrivain.

Il y a un grand lac, gelé l’hiver car il fait très froid, deux sœurs inséparables, on ne sait pas si c’est l’aînée qui protège la cadette ou l’inverse. Mais c’est la première, Phénix qui raconte. Papa est parti un 1er juillet sans explications. Depuis cette disparition, maman, pardon Erika, car Phénix ne peut pas dire « maman », s’est réglée sur mère minimum. Jusqu’au jour où M. Smith, professeur d’anglais, récupère les deux filles en panne de vélo, dans la nuit noire. C’est Sacha qui n’a peur de rien, même pas du méchant loup qui croque les enfants, qui arrête la voiture. Et le gentil professeur d’entrer dans la maison et de charmer tout le monde. Erika retrouve le sourire. Mais peu à peu, Jessup - c’est le prénom de M. Smith, mais Cha a décidé aux beaux jours de l’appeler Jésus - Jessup-Jésus donc, qui ressemblait au début à un grand frère, va se transformer hideusement, comme dans un conte.

Nastasia Rugani conte avec une précision diabolique le lent et progressif enfermement de Phénix dans un silence terrifié qui la coupe progressivement de tout et de tous : les études, ses amies du collège, et même sa mère, aveuglée et souvent absente. Les coups pleuvent, aléatoirement, sans raison. Phénix dissimule les marques comme elle peut, invente des chutes, ment pour protéger Cha encore épargnée. Comme papa est loin, lui qui s’est pourtant enfin manifesté, comme ses cartes-postales semblent impuissantes. Qui va sauver les filles de leur bourreau, pervers à deux visages ? Phénix pourra-t-elle renaître ?

Histoire d’une emprise et d’une maltraitance, Tous les héros s’appellent Phénix est un roman dur, un quasi-polar, écrit sans graisse, tendu comme une gifle. Mais il provoque le lecteur à une intense empathie. Nous sommes aux côtés de l’héroïne, à lui souffler de fuir, à souffrir avec elle jusqu’à crier grâce, pour elle et pour tous les enfants semblablement martyrisés, à redouter, lecteur impuissant, un dénouement atroce comme un fait divers. Heureusement, Nastasia Rugani fait poindre un amour timide sur cet hiver américain et trace le portrait solaire de deux sœurs qui s’aiment avec une rare intensité. Ce lien-là semble indestructible.

mercredi 13 avril 2016

Sauveur & Fils, saison 1

Lecture pour tous

 

Après un silence de trois années, qu’elle a consacrées à la mise en ordre de riches archives familiales, Marie-Aude Murail remonte au front. Si 3000 façons de dire je t’aime, en 2013, rendait hommage au théâtre, Sauveur & Fils s’inscrit plutôt dans la lignée de Vive la République ! et de Papa et maman sont dans un bateau, en faisant défiler dans le cabinet d’un psychothérapeute la société qui nous entoure. Il s’ensuit une chronique tonique du monde contemporain, avec ses ados en mal d’école – et d’écoute de la part des adultes - ses familles décomposées et recomposées, les incertitudes de genre, les folies douces et les plus dramatiques, et bien sûr l’amour qui se faufile chaque fois qu’une porte s’entrouvre et qu’un esprit sort du brouillard ordinaire de l’existence.

Usant à l’envi des pouvoirs immenses du narrateur omniscient, l’auteure multiplie les angles de prise de vue sur les clients de Sauveur Saint-Yves. Lazare, le jeune fils de Sauveur est un de ces points de vue, depuis le jour où il a compris qu’il pouvait écouter discrètement le feuilleton des séances hebdomadaires, par la porte qui fait communiquer le cabinet avec la « VP », la vie privée du psychologue. Comme « no man is an island », et encore moins un homme sans passé, un Sauveur-dans-le-civil se dévoile aussi peu à peu, hors du cabinet, père, veuf et Antillais fort séduisant.

Il n’y a pas de « personnage secondaire » - fût-il un simple hamster - chez Marie-Aude Murail, c’est une des caractéristiques de son art romanesque, repérée depuis longtemps. De là la densité et la tension d’un livre, ici tout en dialogues et voix intérieures, économe en descriptions. Nulle servitude dans cette écriture faite de libres paroles qui se répondent. De semaine en semaine, on suit les jeunes et moins jeunes patients, dans l’intimité du cabinet de consultation et dans cette vie dite « réelle » qui les y ramène périodiquement comme vers un foyer de sens. L’émotion est souvent au rendez-vous. Et l’ensemble se lit le sourire aux lèvres. Comme si rien de grave ne pouvait se produire tant qu’on se parle.

La « saison 2 » déjà bouclée devrait paraître à la rentrée prochaine. En attendant la saison 3, en cours d’écriture. Marie-Aude Murail renouerait-elle avec la série, après les Mésaventures d’Émilien, Nils Hazard chasseur d’énigmes, Golem (chez Pocket), la trilogie Malo de Lange, ou, pour les plus jeunes, l’Espionne (chez Bayard) ? Elle semble en tout cas confortablement installée, et pour un bon moment, dans le canapé de Sauveur Saint-Yves, psychologue clinicien. Et nous avec elle.


Sauveur & Fils, saison 1 - Marie-Aude Murail - l'école des loisirs (331 pages, 17 €)

samedi 12 mars 2016

Shanoé


Louise a été touchée dès son plus jeune âge par la fée Électricité, qui ne lui a pas été très bénéfique. Au point de contraindre ses parents, en désespoir de cause, à venir s’enterrer dans un château délabré, situé dans un trou perdu qui, pour des raisons inexpliquées, est inaccessible à quelque onde que ce soit. Les spécialistes appellent ça une « zone blanche ». Délivrée des smartphones, de la WiFi, de toutes les nuisances éthérées et de leurs maux associés, Louise semble renaître. N’ayant pas grand-chose à faire, elle se met à écrire, sans qu’elle sache très bien ce qui la pousse à prendre le stylo. Comme inspiré par l’endroit, l’immense demeure, un récit étrange sort de sa plume de façon un peu automatique.

Par Louise, la zone blanche se peuple progressivement d’ombres venues du passé. Le grenier, la cave, une grange oubliée au fond du parc livrent peu à peu des objets et des vestiges qui veulent raconter l’histoire des anciens occupants. Pour s’en délivrer ? La plume de Louise a-t-elle le pouvoir d’exorciser le château ? Le père et la mère, l’un agent littéraire et l’autre artiste peintre, très occupés, virevoltent autour de leur fille, sans vraiment la voir, soulagés qu’elle revive, mais inquiets de l’isolement social où l’enferme sa maladie. Ils la sentent confusément s’éloigner d’eux et d’elle-même, quand l’arrivée impromptue d’un réalisateur américain et de son équipe de tournage bouleverse le château et ses occupants. La magie du cinéma se mêle à la magie des lieux, achevant de troubler les frontières entre les époques, entre le réel et la fiction, et réveillant les morts. Le roman s’emballe, crescendo et finit en tornade, aux sens propre et figuré.

Dans Shanoé, Lorris Murail marie la peur très contemporaine des ondes radio-électriques et les vieilles superstitions qui entourent les « gypsies » et leurs pouvoirs. Très bien écrites, les 334 pages se lisent d’une traite. La description de la tempête finale, surnaturelle, est dantesque. Est-ce à cause de la « focalisation zéro » du roman ? On a du mal à s’attacher à Louise, héroïne malgré elle, receveuse d’une histoire qui la dépasse, ballottée à la lisière du fantastique. Et l’épisode cinématographique ressemble à une greffe qui n’aurait pas pris, trop tardive et trop étrangère à ce que Louise aurait pu nous dire si sa voix n’avait pas été étouffée in fine par la clique prédatrice d’Hollywood.


Shanoé - Lorris Murail - Scrinéo (334 pages, 16,90 €)

samedi 5 mars 2016

Comme un feu furieux

Dans la nuit du secret


Avec Comme un feu furieux, Marie Chartres  nous glisse, beaucoup plus doucement que son titre ne l’indique mais non moins fermement, dans une maison où nous percevons progressivement une absence. Nous sommes à Tiksi, port russe de l’océan Arctique, gelé dix mois sur douze. C’est la nuit polaire et chez lui, le père a imposé à ses enfants comme une seconde nuit : les lumières restent éteintes, sauf celles nécessaires pour les repas, pour que Lazar fasse ses devoirs… Galya est la sœur cadette, responsable du petit frère mais aussi la narratrice. Une narratrice qui, c’est le comble, ne sait pas grand-chose, prise dans une troisième nuit, celle du secret, prise comme l’océan immobilisé, qui lâche parfois un cri inarticulé. Besoin de se réchauffer. Dans sa chambre, le grand frère Gavriil est cloitré. Lui n’est pas absent : il s’est absenté. Pourquoi ? Entre lui et son père taiseux, qui travaille dans le sombre du jour et dans la nuit du noir, Galya cherche une sortie. L’absence, lourde, s’est glissée dans tous les cœurs qui s’aiment mais ne savent plus se parler. Qui va briser la glace ? Et si Galya décidait, elle aussi, de s’absenter ? Que deviendrait Lazar ? Et Josiah le bon chien ? Et Gavriil qui se terre ? Et Papa, qui ne montre rien ?

Marie Chartres écrit dans le noir un roman qui nous éclaire peu à peu. Nous cherchons la même chose que la narratrice, nous suivons ses pas, elle s’impose peu à peu comme notre seul recours, notre unique guide dans cette famille, dans cette ville de froid et de neige. Au point que sans elle, nous serions perdus. « Et la nuit à la nuit transmet la connaissance » (Psaume 19), guidée par quelques éclairs de poésie, jusqu’à se faire lumière et vie.

Comme un feu furieux - Marie Chartres - l'école des loisirs (165 pages, 14 €)

jeudi 4 février 2016

La guerre des mercredis

Un ado vitaminé !



Assigné à lire des pièces de Shakespeare et à les restituer tous les mercredis après-midi, pendant que ses camarades se rendent, qui à la synagogue, qui au catéchisme, le jeune Holling Hoodhood, seul de son espèce presbytérienne semble condamné à un drôle de tête-à-tête avec Miss Baker pendant toute l’année scolaire 1967-1968. Que lui veut cette étrange professeure dont le mari vient d’être expédié au Vietnam avec la 101e Division aéroportée ? A-t-elle jeté son dévolu sur Holling pour en faire son souffre-douleur ? Une sorte d’attachement méfiant se noue pourtant au fil des semaines entre l’élève et l’enseignante.

Holling ne comprend pas trop non plus ce qui se trame avec Mery Lee, cette fille de sa classe qui semble se rapprocher dangereusement de lui. Pour son malheur, Holling a aussi une famille normalement aimante : un père, l’architecte le plus coté de Long Island, qui a déjà décidé que son fils lui succéderait, une grande sœur très Flower Power qui rue dans les brancards et n’a pas trop envie d’être vue avec son débile de petit frère et une mère qui, comme toutes les mères, essaie de faire tampon entre tout ce petit monde…

Les choses vont encore se compliquer pour Holling quand il va devoir, sous peine de mort, fournir toute sa classe en choux à la crème de chez Goldman avec seulement 3,29 $ d’argent de poche, sans oublier de nettoyer la litière de Sycorax et Caliban, les deux énormes rats en cage de la 5ème, qui n’aspirent qu’à la liberté. Bref, la vie de collégien, même enrichie de citations de Shakespeare, n’est pas de tout repos. D’autant que pendant ce temps-là, l’Amérique rapatrie tous les jours les cercueils d’une jeunesse embourbée dans une guerre lointaine et sans issue et que, dans le silence de la haine raciale et des complots politiques, les destins parallèles de Martin Luther King et de Bob Kennedy vont être scellés.


Gary H Schmidt réussit un roman d’apprentissage extrêmement drôle jusque dans sa gravité. Holling Hoodhood nous aspire irrésistiblement dans sa vie quotidienne. Son tendre fatalisme et sa vitalité désespérée ne sont pas sans rappeler celles d’un autre pré-ado célèbre en France, l’Émilien de Marie-Aude Murail. Émotions et fous rires garantis. Bravo aussi à la traductrice, Caroline Guilleminot, qui a su rendre avec une précision millimétrée un récit au « je » sous understatement permanent.

Le Soleil, la Lune et toi.

  Si vous pensez que la Terre est plate et si votre femme croit que le Soleil tourne autour d'elle (la Terre), et surtout si vous avez d...