vendredi 19 mai 2017

Les porteurs #1 - Matt

Quand j'aurai 16 ans, je choisirai mon sexe.




Le bandeau du livre l’annonce : « à 16 ans, il faut choisir ». Entouré des symboles des sexes masculin et féminin, l’injonction est claire : dès les premières pages, C. Kueva, l’auteure, nous fait entrer dans un monde où les enfants naissent et grandissent hermaphrodites jusqu’au moment où ils doivent opter, à l’âge de seize ans, pour un sexe ou pour l’autre. Depuis la grande catastrophe nucléaire, commémorée tous les ans le 26 avril par une minute de silence, il y a donc une césure dans la vie de chacun, un avant et un après la « Seza » : Seza, c’est le nom donné à la cérémonie qui marque le passage à la vie adulte, sexuée. Des cours sont dispensés pour aider chaque jeune à prendre sa décision, parfois déjà mûrie par les relations amicales nouées dans la neutralité de l’enfance et de la pré-adolescence.

Tout cet aspect de la vie est régulé de près par le corps des Sanits et un Centre de planning hormonal, le « CPH », celui-là même qui se charge de déclencher en quelques semaines la puberté choisie. Dans cette société, on ne naît pas homme ou femme, on le devient, et la formule prend son sens le plus fort. Nous suivons l’itinéraire de trois amis, une Gaëlle déjà fille, son ami Matt qu’elle aime et qui se prépare à choisir d’être garçon, et Flo qui vient d’opter pour le sexe féminin mais se pose des questions sur la pertinence de l’orientation qu’elle a prise.

Les choses se compliquent dès le début du roman, quand, à la suite de sa prise de sang annuel, Matt apprend qu’il est Porteur, raccourci pour nommer l’anomalie génétique STYX qui le frappe : les Porteurs rejettent le traitement hormonal qui permet la sexuation. Matt va rester neutre pendant quinze à vingt ans, incapable de se reproduire, voué à une vie sociale diminuée, soumis de surcroît à un traitement lourd censé combattre cette déficience génétique.

Quand il apprend la nouvelle, Matt s’effondre, malgré le soutien de ses parents, de son frère aîné. C’est Gaëlle qui va l’aider à faire face, en se lançant sur la piste des médecines alternatives et en l’entraînant dans ses recherches. Recherches qui vont vite s’avérer dangereuses pour les jeunes gens, tant elles heurtent de puissants intérêts et peut-être des secrets d’État jusqu’ici bien gardés. Dans ce monde où tout semble si bien organisé, peut-on résister et à quoi exactement ?

Une trilogie nous est promise. Avec ce premier volume, l’auteure C. Kueva, parvient à rendre son univers du genre choisi parfaitement plausible. Elle amène progressivement le lecteur à se poser pour lui-même cette question un peu déconcertante : et si j’avais eu le choix, moi aussi, serais-je devenu homme ou femme ?


Dans le passage que je vous lis à la fin de ma chronique, Flo est devenue Floriane. Mais elle vient confier ses doutes à son Référent, qui l’a aidée à préparer sa Seza et à choisir d’être une fille :

En podcast sur RCF (écoutez un extrait à 2:55)

Les porteurs - C. Kueva - éditions Thierry Magnier (250 pages, 14,90 €)

vendredi 12 mai 2017

Dans les rêves de grand-père


La semaine dernière, je vous parlais de la mort de papi vue par une petite Emma qui prêtait sa voix à l’écrivain Mikaël Ollivier dans Mange tes pâtes !

Dieu merci, tous les papis ne sont pas morts ! Il en est encore un, bien vert, Jean Perrot, universitaire réputé, spécialiste de littérature pour la jeunesse, qui vient de publier, peut-être en guise de travaux pratiques après avoir longtemps critiqué ceux des autres, un album illustré par le grand Jean Claverie. Les deux Jean ont en effet uni leurs talents pour entrer Dans les rêves de grand-père, c’est le titre du livre. Celui-ci nous conte l’arrivée de Davidou dans le fracas du monde. Le regard étonné et inconditionné d’un grand-père sur son petit-fils laisse pointer tantôt « un sourire en coin » tantôt l’inquiétude devant « une ombre qui grandit ». 

La méditation de Jean Perrot se déploie dans une prose poétique, comme autant de tableaux qui composent au final un art d’être grand-père, dans un monde où l’amour est désormais seul à ignorer les frontières. De façon originale, l’auteur a introduit deux graphies dans son texte : ce qui est destiné à l’enfant est en caractères romains et ce qui est davantage destiné à l’adulte, du moins dans un premier temps, en italiques. La lecture à voix haute se nourrira et se renouvellera de ces variantes possibles et comme dans tout album, du contrepoint des images : quand Jean Perrot écrit en italiques un mot plus compliqué comme « générations » qu’on pourra ne pas lire, Jean Claverie dessine de dos, unis face au soleil couchant, le grand-père et sa canne, le père et le petit-fils déjà adolescent. Car mots et dessins tracent aussi un chemin de croissance, celui de l’enfant qui grandit, celui aussi que projette pour lui un grand-père qui sait déjà qu’il n’accompagnera pas jusqu’au bout son petit-fils.


Pour illustrer le procédé qu’a employé Jean Perrot, je vous lis à la fin du podcast les deux versions du poème « Veille de ton grand-père ». Jean Claverie a représenté un adolescent dans un cimetière, sans doute recueilli devant la tombe de son grand-père, dans un futur imaginé par ce dernier :

En podcast sur RCF Loiret (écoutez deux extraits à 2:32)


Dans les rêves de grand-père - Jean Perrot (illustré par Jean Claverie) - Albin Michel Jeunesse (48 pages, 14 €)

vendredi 5 mai 2017

Mange tes pâtes !


« Ce matin, ils ont mis papi dans un grand trou ». Le grand-père d’Emma vient de mourir et sa petite-fille, qui n’a pas sa langue dans sa poche, se pose des tas de questions, à voix haute. Et pour une fois, papa, qui a d’habitude réponse à tout, semble caler, autant que maman, Mamie, et Mme Delcroix l’institutrice. Il y a des pourquoi qui sont veufs de parce que. Mais cela n’impressionne pas Emma qui poursuit son enquête. Le jour de la Toussaint, la visite au cimetière en compagnie de ses parents et de Mamie est l’occasion pour Emma d’être confrontée aux deux versions de l’après. Pour Mamie, qui est croyante, papi est « là-haut ». Mais pour papa, comme il l’explique à sa fille, après, il n’y a « rien » et, comme en réponse à ce « rien » qui intrigue Emma, il compare étourdiment la mort à un sommeil sans rêves. Pas étonnant que la petite fille ait du mal à s’endormir ce soir-là…

En quelques pages incisives, Emma fait son chemin. Mikaël Ollivier a su trouver les mots les plus simples pour dire la mort à hauteur d’enfant, même si la voix raisonnable de l’écrivain se superpose parfois à celle de sa jeune narratrice et à son questionnement insatiable, qui fournira au livre une chute comique. C’est dire que Mange tes pâtes ! – c’est le titre de ce petit livre – vaut pour lui-même mais qu’il entre aussi dans la série de ces textes de circonstance, qui pourront aider un enfant à exprimer ses sentiments et ses interrogations après le décès d’un proche.

La collection « petite poche » de l’éditeur Thierry Magnier mérite bien son nom. Ses livres, d’une quarantaine de pages, tiennent dans le creux de la main, sont écrits en gros caractères et leur apparence devrait rassurer un lecteur débutant que les textes trop longs effraient encore, mais sûrement pas les idées qui sont de tous les âges. Dans la dernière livraison de l’éditeur, on trouvera aussi un président qui s’invite à table, un garçon qui rêve d’une fille qui rêve d’un garçon, et d’autres charmants invités qui se transforment peu à peu en cruels envahisseurs.


Mais revenons à Emma…

En podcast sur RCF Loiret (écoutez l'extrait à 2:19)


Mange tes pâtes - Mikaël Ollivier - éditions Thierry Magnier, collection "petite poche" (44 pages, 3,90 €)

Les Mille vies d'Ismaël

 C'est un peu étrange de penser qu'on est au bout de sa vie alors même qu'on ne l'a pas encore commencée. C'est pourtant...