vendredi 22 février 2019

Hugo aime Joséphine




Hugo aime Joséphine : le titre du dernier livre de Sophie Dieuaide annonce clairement la couleur. Une histoire d’amour au collège. Le schéma est classique : une nouvelle arrive dans sa classe de Cinquième peu après la rentrée et pour Hugo, Joséphine devient sur le champ la plus belle fille du monde. Même s’il ne sait pas encore désigner du mot fatidique ce qu’il éprouve, ses copains vont rapidement lui faire comprendre qu’il est « tombé amoureux ». Ah oui, au fait, pourquoi en français on « tombe » amoureux alors qu’en chinois on « monte » amoureux ? Ce n’est pas le moindre des mystères qu’Hugo va devoir élucider.

 La vie d’Hugo n’est pas simple. D’abord, il a une grande sœur Clarisse, certes plutôt gentille, mais qui a tendance à fouiller dans ses affaires et à ressortir des vieux dossiers sous le nez des parents. C’est comme ça que ses opinions problématiques sur les filles, exposées dans un devoir-punition de CM2, vont se diffuser au collège où il va rapidement passer pour le « macho » de service. Une fronde de ces demoiselles contre Hugo s’organise, menée par Magali, qui devient sa pire ennemie. Autre point délicat pour Hugo : Samuel, son meilleur copain, n’est pas non plus insensible au charme de Joséphine, et autant Hugo paraît timide et introverti, autant Samuel est expansif et à l’aise avec les filles. Pour Hugo, la concurrence s’annonce rude. Il va devoir se documenter sur l’amour et sur les filles pour se mettre à niveau. Jusqu’à faire les tests de "Lili, le magazine 100 % girls".

Pendant ce temps-là, Joséphine la magnifique confie à son journal intime ses premières impressions d’où il ressort que Samuel et Hugo, les deux potes, ont bien attiré son attention. Qui va l’emporter ? Ce n’est sa préoccupation première qui est plutôt présentement de s’adapter à son nouvel environnement. Elle vit en appartement avec sa mère et sa grand-mère et cette dernière tient une grande place, peut-être même une TROP grande place dans la vie de Joséphine. Heureusement, elle dispose d’un refuge tout à fait inaccessible pour sa grand-mère.

De son côté, Hugo le timide va commettre une énorme gaffe. Non content de lire des magazines girly, il va vouloir passer aux travaux pratiques et s’entraîner avec Élodie à dire « je t’aime » à Joséphine. Ce qui ne va malheureusement pas échapper à Joséphine. Comment va-t-il se sortir de ce mauvais pas ?

Sophie Dieuaide nous promène avec humour et naturel dans le vert paradis des premiers sentiments amoureux, comme si elle ne l’avait pas quitté. Le collège en est le théâtre, aussi inévitable qu’impitoyable. Ayant confié la narration à Hugo, elle a eu l’idée de faire entendre la voix off de Joséphine à travers son journal intime, illustré, qui surgit de temps à autre en contrepoint au récit que fait Hugo de ses émois, tâtonnements et déboires successifs.

Ajoutons que la maquette du livre, sous une couverture pelliculée à rabats, est très soignée,  truffée de fac simile de pages arrachées à des cahiers d’écolier ou de sms sans lesquels aucune vie adolescente ne peut plus être racontée. On trouvera même quelques leçons de vocabulaire : quand les situations se compliquent, les mots doivent suivre, et Hugo a parfois besoin d’un dictionnaire.

Écouter cette chronique (extrait lu à 3:10) :



Hugo aime Joséphine – Sophie Dieuaide – Didier Jeunesse (156 pages, 12 €) - 9 ans et +.

vendredi 15 février 2019

Les filles


D'Agnès Rosenstiehl, beaucoup d'entre nous connaissent surtout Mimi Cracra, cette petite fille qui de 1975 à 2005 a sauté à pieds joints dans toutes les flaques que sa créatrice lui dessinait pour le mensuel Pomme d'Api. On se souvient notamment de Mimi Cracra fait des patouilles, qui éclaboussait ses jeunes lecteurs et lectrices. Avec Mimi Cracra, notre autrice-illustratrice rompait avec les petites filles sages et créait dans la LJ un type féminin actif et aventureux. Mimi Cracra, elle est comme ça, autre titre d'une longue collection, pourrait résumer la force fantaisiste avec laquelle cette jeune héroïne a imposé son caractère.

Agnès Rosenstiehl a raconté comment sa fascination pour l'antiquité égyptienne l'avait conduite à dessiner ses personnages de profil et à mêler dessin et texte.

Son oeuvre considérable, qui compte un millier de livres, ne se réduit pas aux aventures de Mimi Cracra. A ses débuts, dans les années 70, son court compagnonnage avec le mouvement féministe l'a amenée à dessiner quelques albums publiés par les Éditions des Femmes, fondées par Antoinette Foulque. De la coiffure, La naissance, Les filles, ont proposé de nouvelles représentations du féminin, des petites filles et de la place nouvelle qu'elles prenaient dans les jeux au côté des garçons.

Ces albums qui étaient devenus introuvables sont aujourd'hui réédités par un éditeur engagé, La ville brûle. Réédition, car à lire Les filles, on se demande si l'audace ingénue de son autrice aurait trouvé aujourd'hui preneur dans un monde de l'édition jeunesse parfois frileux et obligé de se garder de toutes sortes de ligues ou d'officines promptes à dégainer pétitions vertueuses et campagnes de dénigrement.

L'album Les filles commence en effet comme des jeux interdits entre une fille et un garçon, à cet âge où l'on se demande encore ce que l'autre moitié du monde a que l'on n'a pas et où cette curiosité commande quelques explorations mutuelles. "Moi, je suis une fille, tu connais ?"
La suite de l'album répond à la question "quand je serai grande", que le petit garçon a voulu rabattre sur un "tu feras comme ta mère" provocateur. La fille déploie alors en quelques pages toute la palette de ses jeunes ambitions qui, au final, semblent subjuguer le garçon. "Dis, et les garçons, raconte..." Mais ceci est une autre histoire.


Les filles - Agnès Rosenstiehl - La ville brûle (56 pages, 14 €)

vendredi 8 février 2019

21 printemps comme un million d'années



La maladie, menaçante parce que parfois mortelle, est un ressort dramatique que la littérature pour la jeunesse ne se prive pas d’utiliser. Au point que les anglo-saxons, toujours à l’affût d’un genre à cataloguer, ont inventé le terme légèrement péjoratif et intraduisible de « sick-lit », écho à la « chick-lit », en clair, la « littérature de poulettes » tout aussi décriée par une certaine critique.

Avec son nouveau roman au titre à rallonge, 21 printemps comme un million d’années, Camille Brissot s’est aventurée dans ce genre, que Love story jadis et Nos étoiles contraires plus récemment ont su illustrer. Dans un précédent roman que je vous ai présenté ici même, La maison des reflets, elle avait imaginé que des personnes endeuillées puissent retrouver le cher disparu et discuter avec son hologramme, mû de façon parfaitement réaliste par une puissante intelligence artificielle. 

Ici, les « 21 printemps » sont ceux de Juliette, une jeune fille condamnée par une maladie implacable que notre autrice ne détaille pas. Aucun aspect morbide ne transparaît d’ailleurs dans son récit. Ce qui l’intéresse, ce n’est pas la souffrance ou la mort elle-même, mais ce que sa perspective prochaine peut déclencher comme réactions et comportements chez une adolescente. Camille Brissot confie la narration à Victor, un ami d’enfance, qui revit pour nous ce qu’ont été les trois dernières années passées avec Juliette. Il y a d’ailleurs un récit dans le récit, puisque Victor raconte l’histoire de Juliette à des enfants qui l’ont connue dans l’hôpital où elle a été soignée avec eux.

Camille Brissot a campé une héroïne dynamique, que la perspective de sa mort prochaine n’a pas abattue. Au contraire. Elle fatiguerait presque son entourage, peut-être pour secouer et faire oublier la peine qui étreint chacun en silence devant cette belle jeune fille déjà condamnée. Juliette ne souffre heureusement dans les premiers temps d’aucun symptôme qui handicaperait sa vie. Mais elle est évidemment conduite à remanier complètement ses priorités dans ce temps, court mais indéterminé, qui lui reste. Victor suit comme il peut le tourbillon Juliette, subit ses crises de vie et ses absences, ses provocations et ses pudeurs brutales. 

Camille Brissot a fait de ses 21 printemps un roman curieusement optimiste, moyennant certes quelques impasses sur la vraie vie des malades. On aurait voulu connaître Juliette, on est troublé comme Victor par son impétueux chant du cygne. Et on se demande si on ne devrait pas vivre comme Juliette, dans ce temps qui nous reste à nous aussi.

Écouter cette chronique (extrait lu à 2:34) :



21 printemps comme un million d’années – Camille Brissot – Syros (22 pages, 14,95 €)

vendredi 1 février 2019

Judaïsme, Christianisme, Islam, c'est quoi ?




On sait que beaucoup d’esprits positivistes voudraient en finir avec les religions qui ne seraient autre chose qu’un ensemble de superstitions contradictoires, et autant d’entraves au progrès et de menaces pour la paix. La chose n’est pas nouvelle, mais il reste heureusement difficile d’enterrer un cadavre qui remue encore.

Il est indéniable que si l’on se place du simple point de vue culturel, patrimonial, la méconnaissance crasse dont les jeunes générations, prises dans leur ensemble, font preuve vis-à-vis du « fait religieux », expression que Régis Debray popularisa naguère, inquiète tous ceux qui sont en charge de l’éducation, enseignants en première ligne. Des pans entiers de l’histoire, de la littérature et bien sûr de l’art deviennent hermétiques à leurs élèves. Le christianisme est sans doute le premier à souffrir de cette rupture dans la transmission, rupture dont le diagnostic est âprement discuté, pour ne prendre que l’exemple des catholiques, entre ceux qui en imputent la responsabilité au concile de Vatican II et voudraient restaurer un avant nourri de nostalgie et ceux qui voient dans la figure du Christ celui-là même qui a initié cette sortie de la religion, encore inaccomplie à leurs yeux.

Cette ignorance au regard des religions entretient l’incompréhension des différentes traditions entre elles, au risque évident que cette méconnaissance se transforme en méfiance, en peurs voire parfois en haines. C’est pourquoi, il faut saluer toute tentative visant à présenter les grandes religions, du moins celles les plus présentes dans notre aire culturelle et dont l’héritage transparaît de façon évidente ou diffuse dans notre environnement immédiat.

Avec Judaïsme, Christianisme, Islam, c’est quoi ? l’éditeur Bayard jeunesse propose aux plus jeunes - « à partir de 8 ans », dit la couverture - un exposé concis des trois grands monothéismes nourris aux mêmes racines. Présentés dans leur ordre d’apparition historique, les trois traditions religieuses ne font pas l’objet d’exposés dogmatiques ou catéchétiques. Ce qui est mis en avant, c’est ce qui se manifeste aux yeux des autres dans la vie des croyants de chaque religion : les étapes initiatiques, les fêtes, le sens qu’elles revêtent pour chaque communauté. Chaque notion est traitée sur une double page, introduite par une question simple : « Qu’est-ce qu’une synagogue ? », « Qu’est-ce qu’une église ? » « La mosquée, qu’est-ce que c’est ? ». A côté de quelques explications simples, des enfants ou des adultes témoignent en deux phrases de ce que chacune des traditions décrites représente pour eux.

Le collectif d’autrices et d’auteurs est épaulé par des illustratrices et illustrateurs dont la variété des styles, inégaux, maintient l’attention. En quelque 70 pages, chacun trouvera des informations utiles pour mieux comprendre chaque religion, jusque dans son exotisme. Les fêtes dans le judaïsme sont bien détaillées. J’ai été étonné qu’il y en ait finalement si peu du côté musulman et que l’Ascension soit omise côté chrétien. Chaque croyant trouvera sans doute, de son point de vue, que l’exposé a été simplifié. Mais l’essentiel y est et suscitera la curiosité et on l’espère, la compréhension de l’autre.

Écouter cette chronique (extraits lus à 3:12) :


Judaïsme, Christianisme, Islam, c'est quoi ? - Bayard jeunesse - (77 pages, 16,90 €) à partir de 8 ans.

Les Mille vies d'Ismaël

 C'est un peu étrange de penser qu'on est au bout de sa vie alors même qu'on ne l'a pas encore commencée. C'est pourtant...