vendredi 26 avril 2019

L'estrange malaventure de Mirella


Prix Vendredi 2019


Oyez, oyez, bonnes gens de France, voici un livre tout à fait moderne en costume d’époque, en l’occurrence la médiévale, qui conte dans une langue de jadis l’étonnante histoire de Mirella, une fillette presque jeune femme qui n’eut pas froid aux yeux face aux hommes, aux rats, à la peste et à la Mort en personne.

Vous connaissez sans doute l’histoire du joueur de flûte d’Hamelin, vieille légende d’un attrapeur de rats dont les frères Grimm firent un de leurs plus célèbres contes. Je vous ai d’ailleurs présenté il y a presque un an l’adaptation qu’en réalisa Clémentine Beauvais avec son album Ameline, joueuse de flûte, illustré par Antoine Desprez.

Cette fois, Flore Vesco entend bien toiletter complètement cette légende et raconter à sa manière la véritable histoire aussi tragique mais beaucoup plus guillerette des enfants d’Hamelin. 

Quoique fort moyenâgeuse, la ville d'Hamelin, dont le bourgmestre n’a pas inventé l’eau chaude, s’est dotée de l’eau courante. Dès leur plus jeune âge et en toute saison, les petits orphelins de la ville courent en effet de la rivière aux maisons et retour, portant sur leurs épaules de lourds seaux d’eau qui approvisionnent les habitants du lieu. Le tout contre médiocre logis et mauvaise pitance, mais Mirella, qui fait partie de cette équipe plutôt garçonneuse, assume cette corvée depuis sa plus tendre enfance avec un entrain communicatif, qu’elle parvient même à mettre en chansons.

L’été caniculaire où les rats commencent à envahir la ville et apportent bientôt avec eux la peste et la mort est aussi celui où la jeune Mirella dans sa quinzième année commence à intéresser les hommes de tout poil. Elle a beau cacher ses formes naissantes sous des haillons et son abondante chevelure rousse sous un large foulard bien serré, sa beauté dont elle ignore tout, de cette ignorance dont les filles de ce temps-là doivent faire rapidement un savoir de survie, lui vaut bientôt des rencontres aussi bonnes que mauvaises. Comment la petite orpheline effacée va devenir la sorcière bénéfique de Hamelin, c’est ce que conte ce formidable roman d’apprentissage qui nouera le destin de Mirella à ses origines inconnues mais bientôt dévoilées.

Le talent de Flore Vesco éclate dans ce roman comme la féminité de Mirella. On rit, on tremble, on a peur, mais on sait au fond de soi que la petite héroïne va devenir une géante de cœur et d’esprit et mater comme en se jouant les rats, la peste, les hommes et la Faucheuse. Telle une tornade de vie, la timide Mirella des débuts finit par tout emporter sur son passage. Et nous avec elle.

Flore Vesco a réinventé pour nous une langue médiévale savoureuse qui claque à chaque page comme un étendard joyeux, donnant aux aventures de Mirella ce goût fort en bouche de l’amour de lire qui nous entraîne à sa suite, aussi irrésistible qu'une flûte d'opérette. Attention ! Sans l’afficher le moins du monde, ce roman est féministe en diable : c’est-à-dire qu’il risque de donner envie à toutes les petites filles de devenir des femmes un peu sorcières et à tous les petits garçons de regretter ne pas pouvoir en être, ni maintenant ni plus tard…

Écouter cette chronique (extrait lu à 3:10) :

L’estrange malaventure de Mirella – Flore Vesco – l’école des loisirs – 2019 (223 pages, 15,50 €)

vendredi 12 avril 2019

Dix battements de cœur



Deux enfants dans le Blitz. 

Quand on entame la lecture d’un roman qui s’apprête à traverser la Seconde guerre mondiale, on évalue plus ou moins consciemment la probabilité que ses principaux protagonistes ont de lui survivre. Qui sera encore là au dernier mot du livre ? 

Dans le cas de Dix battements de cœur, le roman de N. M. Zimmermann paru en février dernier à l’école des loisirs, la question se pose d’emblée avec les deux enfants qui ouvrent le récit. Isabella White est la fille d’un riche avocat londonien. Andrew Chapel est le fils de l’associé de son père. Du plus loin que se souvienne Isabella, Andrew a toujours été à ses côtés, en compagnon de jeu mais aussi, plus étrangement, en serviteur dévoué de tous ses instants. Et cela a toujours paru naturel à Isabella, comme il était naturel que Mr Chapel fût le dévoué associé de Mr White. Un pacte très ancien de plusieurs siècles lie une famille à l’autre. La logique même – cruelle, de classe, de destin – voudrait qu’Isabella survécût à Andrew. Prenons les paris. 

En 1932, Isabella a 6 ans, tout va bien. Jamais elle sans lui ni lui sans elle. A la vie à la mort. C’est d’ailleurs au péril de sa vie qu’Andrew sauve Isabella à un carrefour. Mais cet ordre des choses va-t-il pouvoir résister à l’entrée en guerre, dans le Londres des années 39-40 ? En quelques mois, la vie des deux enfants au seuil de l’adolescence, et, avec la leur, celles de toute la jeunesse anglaise, vont être bouleversées. 

Les pères sont mobilisés. Au confort de la grande maison de Fleet Street, au pied de la cathédrale Saint-Paul, succède le froid et les privations dans la rude campagne d’Oxford, où les mères envoient Isabella et son inséparable Andrew pour les mettre à l’abri chez une tante, Mrs Cole. Ils vont y faire connaissance d’autres gamins, recueillis eux aussi, dont Winter et Rosie. Winter n’a qu’une idée : fuguer avec sa petite sœur et revenir à Londres. En arrivant à ses fins, au prix d’un drame, il va provoquer le retour d’Isabella et Andrew à Londres. 

Cette première rupture préludait à un nouvel effondrement, plus grave. A partir de septembre 1940, Hitler a lancé ses bombardiers à l’assaut de Londres. La mère d’Andrew est grièvement blessée et supplie Mrs White de quitter l’Angleterre avec les deux enfants. Abigail, enceinte, décide d’émigrer au Canada en emmenant sa fille et Andrew, malgré les risques que les U-boot allemands font courir aux navires alliés. Mais Andrew ne veut pas abandonner sa propre mère. Les deux adolescents, soudés par leur pacte, vont s’entendre pour fausser compagnie à Mrs White au moment de l’embarquement et rester à Londres, malgré le danger.

Zimmermann décrit des enfants livrés à leur instinct de survie dans une capitale régulièrement bombardée de nuit. C’est le Blitz. Isabella et Andrew vont retrouver Winter à la tête d’une bande de petits orphelins qui vivent, dans un squatt, de rapines dans les maisons détruites. Ils n’ont pas beaucoup d’autre choix que de s’agréger au petit phalanstère. Londres est devenue une jungle. On se croirait au temps de Dickens et d’Oliver Twist, où Winter aurait joué les Fagin. 

Zimmermann brosse avec une grande force narrative le tableau hallucinant de Londres sous les bombes et la résilience étonnante des enfants dont les mondes familiers s’évanouissent pourtant les uns après les autres. Au fil des chapitres la situation se tend pour les deux adolescents comme elle se dramatise pour le pays. Andrew s’efforce de protéger Isabella qui, elle-même, craint que si elle meurt, Andrew ne disparaisse lui aussi en raison de leur intime alliance. Lors d’une énième alerte, ils se réfugient dans une station de métro qui va être frappée de plein fouet… 

Écouter cette chronique (extrait lu à 3:37) :

Dix battements de cœur – N.M. Zimmermann – l’école des loisirs – 2019 (349 pages, 17 €)

vendredi 5 avril 2019

Snap killer



Après un premier roman policier, Stabat murder, où Sylvie Allouche nous avait présenté une jeune commissaire, Clara Di Lazio et son équipe, l’autrice remet en selle ses personnages. Il s'agit cette fois du meurtre d'un adolescent, mis en scène d'une façon particulièrement macabre, dans la cour de son lycée. C'est le gardien qui a découvert son corps le dimanche matin en sortant faire pisser son chien…

Potentiellement, il y a donc un millier de coupables, entre les 980 lycéens, les enseignants, le personnel administratif. L’enquête ne s'annonce pas simple, au pays des multiples embrouilles adolescentes.

Le roman d’ailleurs prend une sorte de faux départ, six mois plus tôt, avec l'histoire aussi courte que dramatique d'une jeune fille, Garance, victime de cyber-harcèlement et qui se suicide dès la page 33. Affaire non élucidée à l’époque.

Le lecteur, informé de cet élément, a une longueur d'avance sur la commissaire et va donc attendre patiemment que celle-ci fasse le lien entre les deux affaires, ce qui ne tarde pas.

Entre temps, Liliana dite Lilo, une nièce perdue de vue depuis un certain temps fait une irruption spectaculaire dans la vie déjà bien mouvementée de sa tante Clara. Que faire d'elle ? La renvoyer chez sa mère à Saint Malo d'où elle vient de fuguer ? Après une concertation délicate avec sa sœur Lisa, Clara décide de garder Lilo quelque temps à Paris et charge Louise, sa jeune assistante, de lui faire découvrir la  capitale.

Au fil de l'enquête, plusieurs suspects se détachent et s'avèrent être des fausses pistes comme dans un classique roman policier. Mais pour Clara, les choses prendront un tour vraiment dramatique, au point de lui faire péter les plombs, quand sa nièce est enlevée.

Sylvie Allouche conduit son roman à toute allure dans Paris, sirène et gyrophare allumés. Avec Clara, elle confirme le portrait d'une femme flic aussi explosive que professionnelle, et entourée de collègues aux tempéraments suffisamment trempés chacun dans son style pour supporter, dans tous les sens du verbe, leur patronne. 

Autant dire que Snap killer se lit d'une traite comme tout bon polar et qu'on attend de pied ferme les prochaines enquêtes de la commissaire Clara Di Lazio, avec Clément, Louise, Nathan et Gauthier…

Écouter cette chronique (extrait lu à 2:11) :


Snap killer – Sylvie Allouche – Syros - 2019 (298 pages, )


Le Soleil, la Lune et toi.

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