vendredi 29 janvier 2021

La Revue des livres pour enfants


Peut-être vous êtes vous déjà demandé comment choisir un livre destiné à un jeune ? Le premier réflexe est sans doute de demander un conseil à votre libraire. À Orléans par exemple, vous trouverez au premier étage de la librairie Chantelivre le meilleur accueil qui soit. Mais dans toute librairie digne de ce nom, il existe une vendeuse ou un vendeur spécialisé jeunesse qui saura guider votre choix, parmi les classiques du genre comme parmi les nouveautés.

L’autre solution est évidemment de vous informer par voie de presse. Après l'avoir longtemps  négligé comme un secteur mineur, les médias commence à  s’intéresser à la littérature jeunesse, et pas seulement, une fois par an, au moment du salon de Montreuil…

Ce court préambule pour vous dire que je ne vous parlerai pas aujourd'hui d'un livre mais d'une revue spécialisée qui pourrait elle aussi vous informer sur les dernières parutions, mais aussi plus largement sur ceux qui font cette littérature, auteurs et illustratrices, autrices et illustrateurs. Je veux nommer ici la Revue des livres pour enfants, éditée par le Centre national de la littérature pour la jeunesse,  le CNLJ, hébergé depuis quelques années par la Bibliothèque nationale de France et dirigé actuellement par Jacques Vidal-Naquet.

À raison de six numéros par an, elle passe en revue, c’est le cas de le dire, les nouveautés  de la production éditoriale française, depuis l’album pour tout-petits jusqu’aux livres pour les jeunes adultes, en passant par la BD, les mangas, les documentaires, la poésie, le théâtre etc. La presse jeunesse n’est pas oubliée. Il y a même un rayon jeux vidéo. Ce sont de courtes et pertinentes recensions de chaque objet culturel, décrit en quelques mots et souvent illustrées. Ce premier ensemble est enrichi de deux index, des titres et des créateurs et créatrices recensés.

Une autre bonne moitié de la revue est consacrée à un dossier complet. C’est tantôt un créateur ou une créatrice qui est mise en avant, tantôt une thématique. La couverture du dernier numéro paru, consacré à l’amour, - L’amour, toujours, l’amour... c’est son titre - a été dessinée par Wolf Erlbruch. On voit deux lapins, perchés sur un choux et penchés l’un vers l’autre, qui s’embrassent. Dans les dernières pages, la recherche en littérature jeunesse n’est pas oubliée, pas plus que la vie du monde de l’édition et les hommages à celles et ceux qui l’ont marquée.

Faut-il ajouter que cette revue de plus de 200 pages est somptueusement éditée, sur un papier à fort grammage qui sent bon la belle ouvrage d’imprimeur et qu’en dehors de la 3ème et 4ème page de couverture il n’y a aucune publicité ? En lisant la Revue des livres pour enfants, vous aurez dans les mains ce que le service public de la culture peut faire de mieux de nos jours et dont la France peut encore légitimement s’enorgueillir. L’abonnement annuel est à 64 euros et chaque numéro que vous pouvez commander chez votre libraire ou par correspondance ne coûte que 12,50 €.

Le dossier de décembre 2020, consacré comme je vous l’ai dit à l’amour dans la littérature jeunesse, s’ouvre sur un entretien avec le philosophe Nicolas Grimaldi, interrogé par Anne Blanchard. Je ne résiste pas au plaisir de vous lire quelques extraits de cette interview :

Écouter cette chronique (extrait lu à 03:21) :


La revue des livres pour enfants – CNLJ – BnF - L'amour, toujours, l'amour... - n° 316 - décembre 2020 - 12,50 € (en librairie ou sur commande)





 

vendredi 22 janvier 2021

Darling #hiver

 


Avec cette nouvelle saison de leur tétralogie – je vous avais présenté l’automne au mois d’octobre dernier – Charlotte Erlih et Julien Dufresne-Lamy poursuivent leur exploration du monde adolescent contemporain. On avait vu comment l’empire des réseaux sociaux, des images volées ou partagées, pouvait perturber l’émergence de la vie affective et sexuelle des jeunes. Cette fois, nous sommes en hiver, et de nouveaux personnages entrent en scène.

Pierre, affecté par un angiome qui lui mange le visage, semble inconsolable. Son humour qui avait conquis Agathe n’a pas su la retenir et il a le moral dans les chaussettes. Heureusement, il a un ami fidèle. C’est Solal qui lui souffle une idée : réaliser des vidéos marrantes et les poster sur YouTube pour reconquérir Agathe. Pierre la Tache, c’est le pseudonyme qu’il s’est choisi, par autodérision, commence par faire un flop qui le brouille avec Solal.

Mais un drame arrive qui, raconté sincèrement par Pierre face caméra, dope brusquement l’audience de son compte. Plus de cent mille vues en quelque jours, c’est le succès, un succès que guettent des agents qui vont l’exploiter. Pierre devient la coqueluche de son lycée, il est sur un nuage, d’autant qu’il voit Agathe revenir vers lui. Cette embellie dans sa vie compense ses soucis familiaux : il vit avec un père violent qui frappe sa mère et il souffre de ne jamais pouvoir s’interposer pour la protéger.

Nos deux auteurs nous montrent des adolescents pris plus que jamais dans cette société du spectacle qui s’est développée ces dernières années avec de nouveaux outils. Des notoriétés artificielles naissent en quelques jours et avec elles des engouements souvent factices pour des façades trompeuses. Plus dure sera la chute. Mais si elle était pour Pierre le signal d’une renaissance ?


Pour écouter cette chronique (extrait lu 02:02) :


Darling #hiver - Charlotte Erlih et Julien Dufresne-Lamy – Actes Sud junior – 2021 (272 pages, 16 €)


vendredi 15 janvier 2021

Dagfrid - À Thor et à travers



Dagfrid est une fille viking un peu agacée de voir que son grand frère Odalrik ne fait pas grand-chose de ses journées alors qu’elle, elle doit aider sa mère à balayer la maison et à mettre le cabillaud à sécher. Pour tout dire, Odalrik, 16 ans et 1,90 m, ne fait absolument RIEN, et surtout pas ce que les garçons de son âge font normalement : partir avec leurs pères piller le voisinage et éventuellement découvrir l’Amérique.

Dagfrid en a marre de cette situation et va interroger successivement sa mère et son père. Mais va-t-elle pouvoir échapper à la corvée initiatique qui s’annonce ? C’est en effet le grand jour pour elle, qui va avoir l’insigne honneur de devoir préparer pour la première fois le banquet des chefs, à base malheureusement de ce poisson dont elle ne supporte pas l’odeur. Qui pourrait l’aider ?

On l’aura compris : Agnès Mathieu-Daudé, l’autrice, a recréé un royaume viking d’opérette. Les illustrations malicieuses d’Olivier Tallec campent un Odalrik en adolescent massif et avachi et une Dagfrid à tresses excédée, une pince à linge sur le nez, l’un et l’autre parfaitement blonds évidemment, type nordique oblige.

En enquêtant auprès de ses parents, Dagfrid va découvrir l’histoire à deux voix de leur rencontre et des conditions qui ont présidé à sa naissance et à celle de son frère. Chez les Vikings aussi, il y a des non-dits et des secrets de famille.

Les parents qui liront cette histoire à voix haute à leurs enfants s’amuseront des clins d’œil faits aux Normands d’Astérix et aux revendications de genre et se demanderont peut-être s’ils ne sont pas eux aussi, comme le pense Dagfrid, « irrécupérables ». Quant aux enfants, ils goûteront sans doute au premier degré le sentiment d’injustice éprouvé par l’héroïne de ce conte et son esprit de rébellion.

Pour écouter cette chronique (extrait lu à 02:04) :


Dagfrid – À Thor et à travers – Agnès Mathieu-Daudé & Olivier Tallec – Mouche de l’école des loisirs – 2020 (47 pages, 6,50 €)

 

vendredi 8 janvier 2021

Les petites victoires

 


Prix du jury œcuménique de la BD 2018

« Chers auditeurs et auditrices, fidèles ou non à mes cinq minutes hebdomadaires, je vous souhaite une bonne année 2021, riche en lectures de toutes sortes. Si le confinement a longtemps fermé les librairies, il n’a pas arrêté la plume des écrivains, qui nous promettent toutes sortes de belles œuvres, en littérature jeunesse notamment.

Et pour bien commencer l’année sous le signe des combats généreux et réussis, je vous propose Les petites victoires, une bande dessinée d’un auteur et illustrateur québécois, Yvon Roy, parue en 2017 mais que j’ai découverte ces jours derniers et lue comme un conte de Noël.

Les petites victoires n’est pas à proprement parler une « BD jeunesse ». Mais parce qu’elle retrace, étape après étape, le dialogue intense entre un père et son fils handicapé, elle est la matrice d’un double récit d’apprentissage et pour cette raison sera lue avec intérêt par toutes les générations.

Cet intérêt est décuplé par le fait qu’Yvon Roy rapporte sa propre histoire, vécue avec son fils, diagnostiqué très tôt comme autiste. Son récit met en scène un jeune couple, Marc et Chloé, tout à la joie de leur premier enfant. Lorsque le diagnostic tombe sur Olivier, l’univers de Marc s’effondre. Toutes les projections qu’un père fait sur son fils, de sa croissance, de son éducation et de son avenir, sont balayées en quelques instants. Le couple que forment Marc et Chloé ne résiste pas à cette épreuve, mais ils se sont promis que quoiqu’il arriverait, Olivier n’aurait pas à souffrir de leur séparation. Ils tiendront parole.

Dès lors, c’est la vie quotidienne de Marc et d’Olivier que nous suivons et le combat que va mener Marc, parallèlement aux institutions que fréquente Olivier et qui épaulent les parents. Marc ne recule devant rien. Face aux phobies inattendues de son fils, à ses colères inexplicables, à la façon qu’il a de fuir le regard, à la peur d’être touché et donc au refus de tout geste affectueux, il va s’efforcer de trouver à chaque fois une solution, au prix de sa vie personnelle qui se confond désormais avec son unique souci : faire de son fils un être autonome qui pourra avoir une vie presque normale.

Les petites victoires, ce sont donc les conquêtes infimes que fait Olivier grâce à l’obstination paternelle, après des échecs répétés parfois pendant plusieurs mois. Faisant le compte rendu d’une histoire singulière, l’auteur n’entend pas avec ce texte donner des conseils généraux ni fournir une méthode thérapeutique clés en mains. C’est le simple récit de l’aventure qu’il a vécue avec son fils. Son livre a été critiqué à sa sortie en 2017 par celles et ceux qui combattent certaines méthodes de sur-stimulation fondées sur des théories comportementalistes. Critiques à la vérité bien peu fondées car Marc ne fait pas le choix de démolir la « forteresse vide » où s’abrite Olivier. Il décide au contraire de l’y rejoindre et de s’y installer avec lui, comme on le découvre à la très belle page 31, 



manière de dire qu’il va respecter les rythmes de son fils sans renoncer pour autant à lui exprimer ses attentes éducatives.

L’histoire de Marc est celle, exceptionnelle, d’un père qui voue sa vie à son fils. « Je n’ai rien trouvé de plus important à faire » explique-t-il à Julie, une des éducatrices qui s’est occupée d’Olivier et qu’il retrouve à la fin de l’album. En une période qui se consacre non sans raison à dénoncer les masculinités toxiques, cette bande dessinée déploie un itinéraire de paternité positive bien propre à réassurer les garçons et les jeunes hommes et à les faire renouer avec ce qu’on pourrait nommer le juste ton de la virilité.

La ligne claire du dessin en noir et blanc donne une belle limpidité aux rapports père-fils. Le rôle essentiel de Chloé, la mère, n’est pas oublié pour autant : c’est elle qui convaincra Marc, qui est par principe hostile à tout traitement, qu’une médication pour pallier le déficit d’attention dont souffre Olivier est nécessaire afin de lui permettre d’aborder avec succès une nouvelle phase de sa scolarité. » 

Pour écouter cette chronique (extrait lu à 04:20 avec le concours de Marie-Aude Murail) :


Les petites victoires – Yvon Roy – BD – Rue de Sèvres – 2017 (150 pages, 17,00 €)


Les Mille vies d'Ismaël

 C'est un peu étrange de penser qu'on est au bout de sa vie alors même qu'on ne l'a pas encore commencée. C'est pourtant...