vendredi 16 juillet 2021

Sainte Marguerite-Marie et moi

Un miracle de littérature




Clémentine Beauvais avait au moins mille mauvaises raisons de ne pas écrire ce livre consacré à la vie de Marguerite-Marie Alacoque, visitandine du XVIIe siècle, grande promotrice de la dévotion au sacré cœur de Jésus, canonisée en 1920, devenue aujourd'hui la figure de proue des "chacha" de Paray-le-Monial, les membres de l'Emmanuel, mouvement catholique charismatique. La 4ème de couverture en énumère quelques-unes : agnostique, non baptisée, féministe, écolo et végétarienne, à quoi il faudrait ajouter autrice pour la jeunesse à temps plus que partiel, enceinte, confinée comme tout le monde, enseignante-chercheuse en éducation et littérature anglaise à l'université d'York, où elle est soupçonnée de sympathie pour les Travaillistes (là, j’invente)… Où Clémentine Beauvais allait-elle donc trouver le temps et les motivations pour enquêter sur cette bonne sœur mystique, dont les écrits, de l’aveu même de son éditrice, Hélène Mongin, risquaient de lui apparaître « un chouïa flippants » - je cite - en tout cas à mille lieues des centres d’intérêt d’une jeune femme post-moderne ?

Si notre autrice a malgré tout relevé ce défi, c’est que le roman familial faisait de la sainte sa lointaine aïeule et qu’elle savait devoir tôt ou tard dissiper le brouillard qui entourait cette généalogie. Plutôt tôt que tard, car un héritier se présentait à l'improviste, et son arrière-grand-mère bien-aimée dépositaire dudit roman était en train d’en perdre la mémoire. La couverture du livre qui montre adossées l’une à l’autre, comme avant un duel, Marguerite-Marie en sainte et Clémentine enceinte, la première jonglant avec un cœur et la seconde un smartphone en main, condense bien tout ce qui les sépare a priori et que l’écriture va devoir réunir, dans la concurrence d'une double maternité : un enfant, un livre.

Ce que la couverture annonce aussi, c’est qu’il va être question autant de l’autrice que de la Visitandine, qui vont se révéler l’une à l’autre et l’une par l’autre. Très rapidement, Clémentine Beauvais découvre que la future sainte a écrit ses mémoires non sans « réticences, résistances, répugnances », parce qu’on lui avait demandé instamment de le faire, « on » désignant ici un prêtre, le Père La Colombière, qui va littéralement inventer Marguerite-Marie en femme de lettres. L’autrice reconnaît, en miroir, dans les réticences, résistances et répugnances de son aïeule celles qu'elle éprouve à écrire ce livre sur elle. Cette reconnaissance a sans doute engendré un sentiment de solidarité entre femmes - la vierge et l'enceinte, la voilée et la féministe, l'exaltée et la pédagogue, etc. - dont l’éclair a troué le temps et l'espace. Malgré cela, Clémentine Beauvais sera poursuivie tout au long de l’écriture par un procès en légitimité qu’elle instruit devant nous, à ciel ouvert, on peut risquer cette expression dans le contexte. Ce procès contre elle-même nourrit heureusement un paradoxe fécond : loin de stériliser l’autrice, il soutient son enquête comme un aiguillon et l’aide à surmonter tous ses complexes qu’il dévoile un à un.

Pour l'essentiel, Clémentine Beauvais va découvrir en Marguerite-Marie - et donc nous révéler - une femme doublement moderne : « parce qu’elle veut brûler, et parce qu’elle va, malgré elle, écrire cette brûlure. » « C’est une exaltée » lâche sa grand-mère, mi-critique, mais cette exaltation va se communiquer à celle qui croyait pouvoir tenir la sainte à distance, comme un objet d’études littéraires, en professionnelle de la chose.

Cette mise à distance à laquelle Clémentine Beauvais renonce, par bienveillance de commande puis par amour et efficacité littéraire, elle la croise, curieusement, chez les cathos de l'Emmanuel et chez les commentateurs officiels de la sainte. Ils accompagnent et encadrent son projet mais en viendraient presque à suspecter l'enthousiasme croissant de leur employée, notamment pour les aspects les plus trash de la sainte. Du coup, elle se fait critique de celleux qui, par exemple, transforment le Sacré Cœur en simple « symbole » de l’amour divin. Et même elle s’en scandalise avec des majuscules dans le texte et force de points d’exclamations : « Mais NON !!! C’est pas juste un SYMBOLE ! » Car elle a bien lu ce qu’a écrit sa sœur qui rend compte d’un vécu éprouvé dans sa chair : Jésus a pris le cœur de Marguerite-Marie, l’a mis dans le sien avant de le replacer dans sa cage thoracique d'origine, opération à cœurs ouverts, sans anesthésie. Donc ça brûle. Vraiment. Jusqu'au bout, Il l'a promis, en plus, ce sadique.

C’est dans cet excès que Clémentine Beauvais rencontre son aïeule, c’est dans l’excès qu’elle l’aime et ce sont les comportements excessifs de la sainte qui procurent au livre les moments les plus comiques, sans la moindre trace de moquerie surplombante, grâce à une écriture parfaitement maîtresse d’elle-même et de son humour, mélange subtil de rigueur universitaire, d’esprit potache et d’understatement. En bonne phénoménologue – tout le phénomène, rien que le phénomène – menant une enquête serrée, autant littéraire que de terrain, l’autrice n’a gommé aucun épisode, des plus objectivement dégoûtants aux plus gore, mais chacun d’eux semble dilater la réalité en submergeant tous les préjugés, pour mieux rendre compte de l’instinct de grandeur, démesuré, propre à l’aventure mystique, à la rencontre avec le Christ telle que Marguerite-Marie Alacoque en a fait l'expérience unique et le récit. 

Parce que Clémentine Beauvais nous offre de cheminer avec elle à la recherche de la sainte, de sa sainte, nous vivons avec elle ses doutes, ses étonnements, la fabrication même de son texte comme si nous y participions nous-mêmes. Nonobstant l'inévitable tension narcissique du projet, qu'elle avoue volontiers, ou peut-être à cause même de cette tension, son livre est enveloppant, joyeux, drôle, enthousiasmant. C’est pour tout dire un vrai miracle littéraire, qu’elle sait parfaitement à qui attribuer dans les derniers mots de ses remerciements.

Pour écouter cette critique :


Sainte Marguerite-Marie et moi – Clémentine Beauvais – Quasar – 2021 (241 pages, 16 €) - à paraître le 25 août 2021.

PS : On lira avec profit l'interview de Clémentine Beauvais dans l'hebdomadaire La Vie. On peut également la retrouver dans l'émission L'esprit des Lettres.



2 commentaires:

  1. Hello, j ai li et adoré tout les romans de Clementine Beauvais mais je ne sais pas si celui ci pourrait me plaire! J en ai entendu parler et j ai trouvé l a description un peu étrange ! Le texte à l air original en tout cas!
    A bientôt.

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  2. Je suis une fan de Clémentine Beauvais !! J'attends avec impatience le 25 aoùt !

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