vendredi 11 décembre 2020

En quête d'un grand peut-être



Sur la couverture, dessinée par Tom Haugomat, deux adolescents éclairent de leur lampe-torche les parois d’une caverne, où gisent des livres, empilés, sans doute abandonnés là par quelque civilisation engloutie. Une jeune fille qui les a précédés lit déjà, accroupie, éclairée par une lampe frontale – ou par un troisième œil, qui sait ?

Et c’est bien à une exploration que nous convient Tom et Nathan Lévêque, deux frères jumeaux que leurs parents ont eu la bonne idée de conduire au Salon du livre de Montreuil en 2008. Ils avaient alors 11 ans. Aujourd’hui, l’un est libraire et l’autre éditeur, et à force de lire, de critiquer des livres, de ratisser les allées des Salons, ils ont réussi à convoquer à leurs côtés dans leur guide de la littérature ado une somme de contributeurs et contributrices qui fait de leur livre une aventure collective originale qui emporte non seulement la sympathie mais aussi l’intérêt. Ce double capital se lit d’ailleurs dans les 760 noms de celles et ceux qui ont financé leur entreprise, cités à la fin.

Intitulé En quête d’un grand peut-être, titre énigmatique, le guide s’ouvre sur un historique. La genèse d’une littérature spécifique pour la jeunesse est brièvement synthétisée pour déterminer quelles conditions ont présidé à l’apparition d’une branche spécifiquement destinée aux ados, et de son excroissance plus récente en direction des jeunes adultes (le « young adult » en angliche). Un lectorat et un marché dynamiques se sont constitués, aux limites fluctuantes, marqués bien évidemment par le phénomène Harry Potter, qui fait l’objet d’un focus de 5 pages. L’adolescence est sûrement un de ces grands peut-être. En 2004, un colloque à Cerisy s’intitulait déjà « Littérature de jeunesse, incertaines frontières ».

Ces frontières mouvantes sont explorées à travers deux portraits d’éditrice, Cécile Térouanne, chez Hachette et Sylvie Gracia, passée des ados du Rouergue aux adultes de L’Iconoclaste. L’autrice Clémentine Beauvais, quant à elle, répond dans un court article aux adultes qui s’étonnent d’avoir pu aimer un livre destiné aux adolescents…

Un guide se doit de sacrifier à la liste des « 100 incontournables ». C’est nécessairement une liste du moment mais Noël approche et si vous n’avez pas d’idées pour vos ados, vous pourrez piocher dedans les yeux fermés.

Un chapitre s’attache à démontrer en quoi la littérature ado est une littérature complète, capable d’aborder tous les thèmes de la littérature générale et ne mérite plus d’être taxée de sous-littérature, même si le phénomène de surproduction, mentionné, a pu desservir son image 

Un dernier chapitre s’interroge sur les chemins de la littérature ado. Qu’est-ce qui fait que ces chemins sont empruntés ou au contraire qu’ils rebutent les lecteurs potentiels ? Sont évoqués tour à tour le rôle de la prescription, le caractère plus ou moins attractif d’une couverture, la place que tiennent désormais les blogs, les vlogs et les réseaux sociaux, dans un marketing viral que les éditeurs aimeraient bien contrôler davantage.

Il faut enfin souligner une chose : ce guide est agréable à lire, par sa maquette soignée, par l’alternance de chapitres didactiques et de portraits représentatifs de toute la gamme des acteurs de la chaîne du livre jeunesse, des auteurs et autrices aux éditeurs et éditrices, en passant par les journalistes, les bibliothécaires, les libraires. 

Cerise sur le gâteau, les frères Lévêque ont réussi à faire écrire 10 nouvelles inédites sur le thème du « peut-être », ce qui donne un bon échantillon d’auteurs et d’autrices contemporaines pour la jeunesse. Tom et Nathan en ont écrit chacun une. Même en se mettant dans la balance, ils n’ont pas réussi tout à fait à obtenir la parité… Pure taquinerie de ma part, parce qu’ils ont fait le choix de promouvoir dans leur guide une langue non-genrée et inclusive, qui alourdit l’écriture mais, heureusement pas, la lecture.

À ce propos d’ailleurs, il reste - peut-être –  au terme de ce parcours très complet dans la littérature ado, un point aveugle qui aurait mérité d’être éclairé par leurs lampes de poche de garçons inclusifs  : pourquoi les lecteurs ados sont majoritairement des lectrices, pourquoi les blogueurs sont le plus souvent des blogueuses, pourquoi les auteurs pour la jeunesse sont plus souvent des autrices ? Réponse - peut-être - dans une nouvelle édition ?


En quête d’un grand peut-être (guide de littérature ado) - Tom et Nathan Lévêque - Éditions du Grand Peut-Être - 2020  (223 pages, 17,50 €)


vendredi 4 décembre 2020

Les derniers des branleurs



Pour sa quatrième édition, les jurés du prix Vendredi, ont désigné cette semaine comme lauréat Vincent Mondiot, pour son livre au titre provocateur : Les derniers des branleurs, paru chez Actes Sud junior.

Ce n’est évidemment pas la première fois qu’un auteur évoque l’univers du lycée et singulièrement l’ambiance de la Terminale avec au bout le baccalauréat, cet examen qui a tenu jusqu’ici une telle place dans l’imaginaire des adolescents et de leurs parents. Cette place mythique du bac, le président Giscard d’Estaing qui vient de mourir, l’avait encore rehaussée indirectement au rang de totem en abaissant la majorité à 18 ans, faisant coïncider pour la plupart des élèves la fin des études secondaires avec l’accès à l’âge des responsabilités présumées adultes. Le Covid aura finalement eu raison du totem (et de VGE), en contraignant l’Education nationale à enterrer le principe d’un examen final coûteux pour le remplacer par un contrôle continu des connaissances. Après la communion solennelle et le service militaire, exit une des dernières épreuves initiatiques qui jalonnaient le parcours adolescent. Il reste le permis de conduire.

Vincent Mondiot a écrit son roman juste avant cette disparition opportuniste du bac. II a choisi un trio bien particulier, deux garçons et une fille, pour prendre à son tour la température lycéenne. Minh Tuan, Gaspard et Chloé passent leur temps à sécher des cours, à partager des joints et à s’incruster dans des fêtes où personne ne les invite plus, tant ils ont su asseoir leur sale réputation. Le fait d’être plus ou moins les parias du lycée et de considérer que leurs condisciples sont globalement des bouffons a plutôt tendance à renforcer leur cohésion au quotidien – tous pour un et seuls contre tous -  quotidien qui est l’horizon le plus lointain que les trois puissent envisager. 

Au fil de l’année scolaire, l’auteur nous dévoile peu à peu les origines du mal-être personnel, familial, social, de ce trio « destroy ». Chloé, qui est tourmentée silencieusement par son asexualité, crache des crapauds comme la fée disgraciée du conte de Perrault, Gaspard est hanté par sa grande sœur, Minh Tuan est moitié viet. En fait, ces trois ados ne sont que la moitié d'eux-mêmes. Est-ce pour cette raison que, tels les Trois mousquetaires, ils vont assimiler très vite une quatrième comparse, Tina, une jeune réfugiée congolaise ? L’arrivée de Tina va certes perturber l’équilibre du trio mais, peut-être, combler secrètement chacun·e. Pourtant, Tina, a priori, n’a pas le même agenda que les trois glandeurs. Elle travaille, elle est plutôt douée et veut avoir son bac. Saura-t-elle leur résister, infléchir leur comportement, c’est l’un des enjeux du roman.

Le vocabulaire des trois adolescent·es n’est guère varié et très ordurier, proche d'un syndrome de la Tourette. En la matière, Chloé n'est pas la dernière. Il faut imaginer que chaque injure est une sorte de « je t’aime » travesti et malheureux, pour l’heure la seule manifestation possible de l’énergie vitale de ces ados artificiellement déprimés, qui manquent de mots et s’ennuient dans un système qu’ils rejettent et qui le leur rend bien.

Comme ils sont en Terminale, Vincent Mondiot va quand même devoir les emmener jusqu’aux épreuves du bac 2020, du moins telles qu’elles auraient dû se dérouler et dont ce roman sera peut-être le dernier témoin. Le chemin est long et la réussite à l’examen de plus en plus improbable au fur et à mesure que l’échéance se rapproche.

L’auteur a ponctué son roman de mots dans la marge, définitions ironiques, explications en contrepoint, commentaires politiques voire excroissances du récit, qui lui donnent  une drôle d’allure, parfois universitaire, toujours bourgeonnante, suggérant l’existence d’histoires et de vies parallèles à celles qu’il décrit, auxquelles nous aurions échappé. Remords d'intrigues ou de personnages abandonnés en route, manières aussi de signifier, façon Magritte,  « ceci n'est pas une fiction »  ?

Décrivant le malaise adolescent face au monde contemporain, il brosse aussi au passage le beau portrait d’une enseignante, Élise Danverre. « Chloé la déteste » parce qu'elle sait que « tous les mecs ont décidé qu'il s'agissait de la prof la plus bonne de l'établissement » et... qu'ils ont raison. Mme Danverre est surtout la seule adulte du lycée à ne pas désespérer du trio parce que, sans vouloir l'avouer à personne, elle comprend et partage en partie ce qui mine ces trois-là, chose qu’elle soigne pour son compte à coup de Doliprane. 


Pour écouter cette chronique (extrait lu à 03:20) :




Les derniers des branleurs – Vincent Mondiot – Actes Sud junior (455 pages - 16,80 €)


Les Mille vies d'Ismaël

 C'est un peu étrange de penser qu'on est au bout de sa vie alors même qu'on ne l'a pas encore commencée. C'est pourtant...