vendredi 29 septembre 2023

Le souffle du puma

 


En 1999, une équipe co-dirigée par l’archéologue américain Johan Reinhard gravit les pentes du Llullaillaco, un volcan de la Cordillère des Andes, situé à la frontière de l’Argentine et du Chili, et qui culmine à 6000 m d’altitude. Elle découvre sur son flanc, trois momies d’enfants, parfaitement conservées. Tout indique qu’ils appartiennent au peuple inca et qu’ils ont été conduits là 500 ans auparavant depuis Cuzco. L’un des enfants est en fait une jeune fille de 13 ans, que les archéologues baptisent la Doncella, aux côtés des deux autres, plus jeunes, la Niña del Rayo et el Niño.

Qui les a emmenés jusque-là, comment sont-ils morts, pourquoi ? L’enquête commence mais très vite les archéologues sont convaincus que les trois enfants ont été laissés là en offrande aux dieux, selon un rite sacrificiel inca. Les analyses montrent que la jeune fille avait bu de l’alcool de maïs et qu’elle mâchait des feuilles de coca que les Andins utilisent notamment pour combattre le mal d’altitude.

De cette découverte hors du commun, l’imagination de l'autrice Laurine Roux s’est emparée pour reconstituer l’itinéraire tragique de ces trois enfants. Comment avaient-ils été choisis et préparés pour cette destinée ? Pouvaient-ils y échapper si ce choix était un honneur sacré pour eux et pour leurs familles ? Patiemment, l’autrice invente le décor, les personnages et elle choisit d’emblée une jeune fille, Poma, que la vie appelle bien plus fort que la mort, comme s’il y avait eu un quatrième enfant élu, qui ne serait pas parvenu au terme de ce funeste voyage.

En contrepoint de cette reconstitution historique, Laurine Roux tisse un second récit, contemporain celui-ci. Astrid Blomberg, son autre héroïne, est une jeune scientifique suédoise, qui, à l’issue de ses études médecine, a atterri un peu par hasard dans le service de médecine légale du professeur Nyström. Le vieux professeur n’aurait pas donné cher de cette brindille confrontée à longueur de journée à des autopsies. Et pourtant. Astrid s’est prise de passion pour ses macchabées qu’elle dissèque en bavardant avec eux. Oui, en bavardant. Alors quand le musée d’archéologie de haute montagne de Salta invite le professeur Nyström à venir ausculter les trois momies, il n’hésite pas longtemps avant de proposer à sa jeune disciple de se projeter à l’autre bout du monde. Au Pérou.

Laurine Roux nous conte en alternance le destin des enfants inca et leur rencontre, cinq cents en plus tard, avec Astrid Blomberg, qui va tenter de pénétrer les secrets que recèlent les trois momies, en bavardant avec elles, bien sûr. Floresca Montalban, la directrice du musée pourrait bien lui mettre des bâtons dans les roues mais Carlos l’assistant, un grand géant timide, va se révéler être sympathique, très sympathique, même. Pendant que Poma marche vers son destin, marche ponctuée par les apparitions, réelles ou rêvées, d’un mystérieux puma, Astrid parle, observe, prélève, analyse et pourrait bien, de surcroît, tomber amoureuse...

Pour écouter cette chronique (extrait lu à 02:59) :



Le souffle du puma - Laurine Roux - l'école des loisirs - 2023 (211 pages, 15 €)

vendredi 22 septembre 2023

Tous nos rêves ordinaires



 Les éditions Sarbacane n’étaient pas nées quand ce roman commence et la bande son qui l’accompagne est tout aussi datée. Mais c’est le ton de l’été, de tous les étés où l’adolescence explose. Le nouveau livre d’Élodie Chan nous raconte Tous nos rêves ordinaires – c’est son titre. 

Ces rêves, ce sont ceux de quelques ados qui se parlent ou se jaugent, qui s’attendent ou se défilent, qui s’espionnent ou qui s’aiment, de près ou de loin. C’est un prologue situé en 1994 qui nous présente Cyrus « - peau brune, buisson de cheveux crépus et des yeux en amande - » et ses potes du moment, Antonin et Mehdi. Pour une roue arrière réussie, Cyrus pourrait remporter un tome de « Chair de poule » et un mug Sony. Mais s’il rate, il va perdre sa collection de Pogs. Allez, c’est parti. Cy, comme tout le monde le surnomme, va perdre mais il va gagner bien plus : le sourire de Romane, sa petite voisine rousse qui sent si bon le savon au lait et la grenadine et qui est sortie de sa maison pour voir les exploits des garçons...

On pourrait croire que l’adolescence tue l’enfance, qui ne resurgira que bien plus tard. Mais Cyrus ne va pas oublier Romane. Oh, six ans plus tard, bien sûr, elle ne le « calcule » plus quand elle passe devant lui en rollers en compagnie de Lola. Romane et Lola, deux filles attrape-cœurs, nombrils à l’air et mini-shorts. Comment Cyrus pourrait-il espérer attirer l’attention de Romane, Romane qui pourtant vit chez l’Ogre, Serge, un père à la main leste, coincé entre une femme maladive qu’il maltraite et sa fille dont la beauté naissante lui tord l’estomac.

Peu à peu, Élodie Chan nous fait pénétrer dans le petit monde de la cité et dessine les contours mouvants de ses personnages. Le rêve de Lola, c’est un concours Futures stars qui la propulserait à Paris vers la grande finale. Chloé, elle, rêve déjà avec ses livres et Cyrus lui plait bien, qui n’a d’yeux que pour Romane. Un jour qu’elle vient lire sur un banc, se présente Ydriss. Un autre jour, sur le même banc mais sans livre, ils seront obligés de se rapprocher pour écouter les Sages poètes de la Rue, une paire d’écouteurs pour deux.

À Val-de-Seine, il y a un lac, une plage, des cabines. Gabriel, le beau gosse friqué, le fils à sa maman, séduit autant qu’il veut jusqu’à ce que Romane dérègle son jeu. Le voilà déstabilisé, amoureux à son tour, lui qui a toujours tenu les sentiments à distance. Il en deviendrait presque touchant, sympathique.

Cet été-là aussi, Colorizol, la grande usine de produits chimiques, flambe. Serge est au chômage du jour au lendemain, Serge qui essaie de se remémorer sa dernière journée au travail, dans les détails. Ne serait-ce pas lui le responsable de l’incendie ? À cette idée, la panique l’envahit tout entier.

Elodie Chan conduit avec tendresse et précision cette chronique douce-amère d’un été au cours duquel tous ses ados vont se découvrir, mûrir, jusqu’à prendre à la rentrée, pour certains, des décisions qui les libéreront. Ce roman d’apprentissage est l’un des dix livres sélectionnés pour le prix Vendredi 2023 qui sera proclamé le 13 novembre prochain.

Pour écouter cette chronique (extrait lu à 03:12) :


Tous nos rêves ordinairesÉlodie Chan – Sarbacane – 2023 (249 pages, 16,50 €)


vendredi 15 septembre 2023

Écrire comme une abeille



Tous autrices jeunesse ! Non, mon accroche n’est pas fautive. Clémentine Beauvais a choisi dans son nouveau livre de contourner la lourdeur de l’écriture inclusive en employant un féminin générique qui, une fois n’est pas coutume, invisibilise les lectrices de sexe masculin dont je suis. Elle s'en explique dans une note liminaire. Si j’ai pu malgré tout la lire en toute sérénité, c’est sans doute que j'ai accepté de lui ouvrir la part féminine de ma psyché...

Bref, Clémentine Beauvais est cette talentueuse autrice pour la jeunesse dont je vous ai proposé ici tous les ouvrages dès leur sortie. Son dernier-né s’intitule Écrire comme une abeille. Le titre est tiré d’une citation de Philip Pullman, l’auteur anglais du cycle À la croisée des mondes, citation rappelée en exergue : « Lire comme un papillon, écrire comme une abeille ».

Je vous préviens tout de suite : ce n’est pas un roman. Le sous-titre le signale d'emblée : « La littérature jeunesse de la lecture à l'écriture ». C’est un ouvrage didactique. Car Clémentine Beauvais, tel le dieu Janus, a deux visages : celui de l’aimable et souriante autrice de romans à succès pour la jeunesse tels que Comme des images, Les petites reines, Songe à la douceur, Brexit Romance, Âge tendre et celui de l’austère-qui-se-marre-enseignante-chercheuse à l’université de York, en Grande-Bretagne, où son amour immodéré d’Harry Potter l’a, hélas pour nous,  déportée précocement.

Comme elle reste tout aussi immodérément attachée au Mont-d’Or truffé de gousses d’ail et de vin du Jura, on peut heureusement la voir fréquemment en France où elle écume salons, collèges et plateaux radio-télé à la recherche de son fromage préféré. Dernière touche biographique, elle ne se contente pas de créer, comme son idole Simone de Beauvoir, mais procrée, à ce jour deux garçons sans doute promis à un parfait bilinguisme, gardés soigneusement sous clé, à l’abri de leur déjà vedette de mère.

À l'origine...



... en 2014, Clémentine Beauvais avait déjà publié, en anglais, un ouvrage du même jus intitulé Writing for children course qui était comme son nom l’indique un cours destiné à celles et ceux qui désirent écrire des livres pour enfants et recherchent des conseils à cet effet. Dans le but avoué ou non - qui sait ? - de trouver la martingale qui a si bien réussi à Miss Rowling, la mère d’Harry Potter (encore lui !). C’est forte de cette première expérience que Clémentine Beauvais s’est lancée dans Écrire comme une abeille, sous la férule exigeante d’un connaisseur en la matière, Jean-Philippe Arrou-Vignod, auteur jeunesse, certes, mais aussi éditeur tout aussi jeunesse chez Gallimard jeunesse.

Que pouvez-vous attendre de la lecture de ce livre ? C’est d’abord un passionnant voyage à l’intérieur d’une autrice jeunesse, qui nous confie ses débuts obstinés d’écrivaine en herbe  – c’est vers la fin du livre – ses expériences plus ou moins douloureuses d'édition, qui nous gratifie aussi de toutes ses lectures intelligentes de ses confrères et consœurs, vivants ou morts - mais plutôt vivants - et qui nous fait découvrir pas à pas les spécificités de la littérature jeunesse.

Le livre de Clémentine Beauvais, même dans ses parties les plus théoriques, se lit comme un roman. L’expression si abondamment utilisée pour attirer le chaland rétif aux ouvrages théoriques n’est pas usurpée. Ecrire comme une abeille est truffé de plaisanteries pas gratuites, de jeux de mots qui vous sautent à l'esprit, évoquant les brusques écarts, apparemment aléatoires, de l’insecte butineur. Ce parti-pris donne au texte une légèreté inhabituelle dans ce type d’ouvrage, qui n’entame en rien le sérieux et la rigueur du propos mais « booste » - pardonnez cet anglicisme – sa lecture.

Plus encore, Clémentine Beauvais nourrit l’ambition démesurée, après avoir décortiqué une à une toutes les étapes qui conduisent à l’écriture d’un texte destiné à la jeunesse, de nous apprendre à en écrire un : le dernier chapitre d’Écrire comme une abeille nous propose, après avoir savamment papillonné pendant plus de 400 pages, un « retour à la ruche ». Sous la forme d’un court atelier d’écriture, cet ultime chapitre permettra à chaque lecteur ou lectrice d’auto-évaluer ses capacités à suivre les consignes d'une Clémentine soudainement muée en pédagogue inflexible, pour parvenir à un premier texte bouclé.

Si ce livre-manifeste, soigneusement édité par Gallimard, a le succès qu’il mérite, on ne peut redouter qu’une chose : l’attaque des clones de Clémentine qu'il aura produits et qui envahiront salons, vitrines des librairies jeunesse et jusqu’à vos rayonnages de bibliothèque. Mais cette attaque n’a-t-elle pas déjà commencé ? Je vous propose,  plutôt que de la craindre, de nous en réjouir. Vivent les abeilles !

Pour écouter cette chronique (extrait lu à 04:28) :


Écrire comme une abeille - la littérature jeunesse de la lecture à l'écriture - Clémentine Beauvais - Gallimard jeunesse - 2023 (447 pages, 27,90 €)


Sans crier gare

  Aimez-vous les livres qui simultanément ou dans un ordre quelconque vous font peur, vous font pleurer et vous font rire tant et tant que v...