vendredi 26 janvier 2024

NEB

 


Avec ce nouveau roman, Caroline Solé a retrouvé peu ou prou les thèmes qu'elle avait travaillés dans La pyramide des besoins humains, livre dans lequel un jeune garçon en butte à la violence paternelle décide de fuguer à Londres où il devient SDF avant d'être pris dans l'engrenage d'un jeu de téléréalité.

Dans NEB, nous découvrons Alex, 16 ans et demi, qui vit avec son père et qui devient accro au jeu éponyme que lui a fait découvrir Double J, un camarade de lycée. Ce jeu en réseau qui draine rapidement plus de 100000 joueurs et joueuses de par le monde s'avère particulièrement addictif, d'autant qu'il semble réussir particulièrement à Alex, qui ne cesse de grimper dans la hiérarchie et entre bientôt dans le Top 50. Bien sûr le jeu empiète rapidement sur son travail scolaire, sur ses nuits, et Alex entre en guerre avec son père qui veut lui confisquer régulièrement son téléphone. 

Le jour où son père met sa menace à exécution, Alex découvre le lendemain matin par son pote Double J que NEB a été hacké : tous les internautes sont devant un écran noir. C'est justement la veille des vacances et le père d'Alex l'a inscrit sans rien lui demander à un stage dénommé "Digital Détox". Au programme : cours d'anglais et déconnexion numérique. Départ immédiat pour Londres via un bus et un ferry qui lui éviteront le tunnel sous la Manche : Alex est claustrophobe. Alex ne sait pas encore qu'au bout du voyage, ce sont les pirates qui ont interrompu le jeu qui l'attendent... Et nous lecteurs ne sommes pas au bout de nos surprises !

Caroline Solé nous introduit dans le domaine secret des hackers qui font trembler le monde de l'informatique, menace diffuse et tous azimuts, qui plane en permanence sur les applications et les réseaux. Dans ce monde clandestin, il y a des bons et des méchants, qui ne se distinguent pas toujours vraiment les uns des autres, indistinction du bien et du mal que l'œuvre au noir de l'illustratrice Gaya Wisniewski suggère avec une grande force graphique. La révolution du Web aura-t-elle lieu avec NEB 2 et grâce à ses Robins des bois d’un nouveau genre ? L'enfer numérique est lui aussi pavé de bonnes intentions. L'autrice ménage quelques rebondissements à son conte d'avertissement, et la fin du roman qui ouvre une histoire d'amour laisse augurer une suite. D'autant que la réapparition de Christopher Scott, le héros de La pyramide des besoins humains fait désormais entrevoir une trilogie. Le combat des pirates ne semble pas terminé.

Pour écouter cette chronique (extrait lu à 02:30) :



NEB - Caroline Solé, illustré par Gaya Wisniewski - Medium+ de l'école des loisirs - 2024 (279 pages, 15 €)

vendredi 19 janvier 2024

La forêt pour te dire



Martine Pouchain appartient à cette classe d’écrivains qui, au fil de leurs livres, ont peu à peu contribué à étendre le domaine de la littérature jeunesse, au risque parfois d’en franchir des limites on ne peut plus mouvantes.

La plupart des maisons d’édition pour la jeunesse, qu’elles soient spécialisées ou non, ont accompagné ce mouvement en publiant des textes qu’elles auraient renvoyés il y a vingt ans à la littérature dite générale. Mais la littérature jeunesse n’est-elle pas devenue, en raison de ce mouvement d’extension qui la travaille, celle qui incarne le mieux aujourd’hui la notion de littérature générale, la seule peut-être qui puisse revendiquer de s’adresser à tous, ainsi que le suggère Clémentine Beauvais dans son dernier essai, Écrire comme une abeille ? La nouvelle distinction à constater et au besoin à fonder n’est-elle pas désormais entre littérature générale et littératures de genre, segmentées par le marketing éditorial ?

Pour qui s’est fait une spécialité de ne parler que de littérature jeunesse, se pose en permanence la question de ces limites. Je dois avouer ici qu’en 2017, j’avais renoncé à présenter dans cette émission et sur mon blog un précédent livre de Martine Pouchain, Gloria, pourtant publié par le même éditeur, Sarbacane, l’un des maisons d’édition jeunesse qui a le plus accompagné cette extension, depuis sa création en 2003. D’instinct, j’avais « filtré » ce livre, que j’avais pourtant aimé en tant que lecteur adulte, en jugeant qu’il n’entrait pas dans la LJ. Sans doute faudrait-il que j’analyse cet instinct, quels critères conscients ou non j’avais appliqués. Je ne l’ai pas fait sur le moment.

Mais c’est sans hésitation que je vous présente aujourd’hui le nouveau livre de cette même autrice, La forêt pour te dire, tant il s’offre simultanément comme un authentique roman d’apprentissage et un conte d’avertissement, double matrice de ce qui constitue pour beaucoup d’observateurs l’essence de la littérature jeunesse.

Martine Pouchain a imaginé la rencontre au cœur d’une forêt entre une adolescente et un jeune homme, entre deux êtres empêchés par leurs passés respectifs et les épreuves qu’ils ont traversées, et qui vont se libérer peu à peu, l’un par l’autre, des entraves qui bloquaient leur envol dans la vie.

Louise vit avec sa mère Dolly. Elle n’a pas connu son père, qui s’est tué en moto un mois avant sa naissance. Depuis, Dolly veut oublier qu’elle est veuve  et profite du temps qu’elle est belle pour enchaîner les relations plus ou moins heureuses. En conséquence de quoi, Louise s’accommode plus ou moins de ces « beaux-pères » qui se succèdent à la maison. Sa mère ne tire pas toujours le bon numéro. Le dernier, Benoît dit Ben va s’avérer franchement calamiteux, quand, après avoir multiplié les approches douteuses, il profite d’une absence de Dolly pour agresser sexuellement Louise. Quand Dolly refuse de croire sa fille, celle-ci fugue et commence une robinsonnade, camping sauvage en mode survivaliste. Comme atout, Louise est championne de tir à la fronde.

C’est d’ailleurs dans cet exercice que Paul la surprend un jour dans sa forêt, croyant voir, de loin, un jeune braconnier. Mû par la curiosité, Paul va revenir observer ce Robinson jusqu’à le rencontrer. De près, Paul continue à se méprendre sur son genre. Louise choisit par prudence de ne pas le détromper : « Je m’appelle Louis », lui affirme-t-elle.

Ces deux-là, mystérieusement, vont s’approcher, peu à peu. Paul ne se dévoile guère. Il est pour l’heure saisonnier agricole, oiseau sur la branche lui aussi, pour d’autres raisons que Louise. Une tragédie le hante depuis l’enfance, dont les fantômes peuplent la Faye, une propriété familiale de sa grand-mère Catherine, qui est son port d’attache entre deux boulots. Pour le plomber davantage, il vient de travailler dans un abattoir où il n’a pas pu tenir plus d’une semaine, au point d’en faire des cauchemars chaque nuit. 

L’autrice nous en dit plus sur l’adolescente en nous autorisant à lire des fragments du journal intime de Louise. L’arrivée d’un automne un peu rude va secouer sérieusement la fugueuse et provoquer son rapprochement avec Paul et son retour à la civilisation.

Martine Pouchain prend son temps, son roman mûrit comme un vin nouveau, à coups d’avancées et d’analepses, et ses personnages se bonifient avec lui. Mis à l’épreuve de cette retenue romanesque, les corps et les cœurs de Paul et de Louise se découvrent lentement, s’impatientent  aussi – surtout ceux de Louise - et nous suivons émerveillés leur éclosion, la montée du désir et la rédemption mutuelle de ces deux animaux farouches que la vie a blessés et que l’amour va guérir.

Pour écouter cette chronique (extrait lu à 04:22) :


La forêt pour te dire - Martine Pouchain - X' chez Sarbacane (323 pages, 17 €)


vendredi 12 janvier 2024

Hélène et les disappearing gamers

 


Les éditions Syros ont créé depuis quelques années déjà une collection de romans, baptisée Tip Tongue, qui propose des histoires qui glissent progressivement du français à une langue étrangère : anglais, allemand, espagnol notamment. Le lecteur voit en quelque sorte sa langue maternelle glisser sous ses pieds tel un tapis pour être remplacée par une langue dite étrangère mais qui paraît l’être de moins en moins au fur et à mesure que l’on s’enfonce dans le récit.

L’un des livres de cette collection m’est tombé entre les mains pendant ces fêtes et je l’ai lu avec grand plaisir. Son titre : Hélène et les disappearing gamers. Son auteur : Nicolas Labarre.

Une adolescente dont les parents sont divorcés et qui est en garde alternée revient un vendredi sur deux chez son père. En rentrant chez lui ce vendredi, elle le trouve évanoui, affalé sur le clavier de son ordinateur encore allumé. L’hôpital ne parvient pas réellement à poser un diagnostic sur son père, qui est bel et bien tombé dans le coma mais dont les jours ne semblent pas en danger. 

Immédiatement, Hélène soupçonne le jeu que son père était en train de tester, avant sa commercialisation avec 100 000 autres joueurs de par le monde. Et elle décide de mener son enquête aidé par Glenn, le fils, anglais, du nouveau compagnon de sa mère. Elle s’aperçoit alors que d’autres joueurs du réseau de ceux qu’on appelle des « bêta-testeurs » portent le nom de son père et qu’ils semblent avoir eux aussi disparu (d’où le titre à moitié anglais).

Le dispositif romanesque mis en place par l’auteur lui permet d’esquisser des dialogues entre Hélène et Glenn qui font progresser l’anglais de son héroïne – et aussi du lecteur - sans avoir recours en permanence à un dictionnaire. Le pari de cette collection semble réussi. Avec une connaissance de l’anglais, même élémentaire, vous aurez l’impression d’avoir été peu à peu immergé dans un bain de langue et vous serez étonné d’y nager à votre tour aussi à l’aise qu’Hélène.

Pour écouter cette chronique (extrait lu à 02:35) :


Hélène et les disappearing gamersNicolas Labarre - Syros, collection Tip Tongue (115 pages, 6,95 €)


Sans crier gare

  Aimez-vous les livres qui simultanément ou dans un ordre quelconque vous font peur, vous font pleurer et vous font rire tant et tant que v...