vendredi 27 novembre 2020

Miss Charity en BD (tome 1 : L'enfance de l'art)

Dans la sélection du prochain festival d'Angoulême 2021


 

L’une des bonnes nouvelles de la semaine est sans doute la réouverture des librairies, demain samedi, à la veille du premier dimanche de l’Avent. Je ne doute pas que vous allez vous précipiter chez votre libraire préféré, masqué et fébrile, pour rattraper le temps perdu, en pensant déjà, qui sait, à vos achats de Noël.

Au rayon jeunesse, je vous propose, une fois n’est pas coutume, une BD pas comme les autres, une histoire dont on n’a pas enfermé les délicates aquarelles dans des cases trop étroites, où dessin et texte respirent ensemble à l’unisson. Son titre : Miss Charity ; ses auteurs : Anne Montel au pinceau et Loïc Clément au scénario.

Si vous avez la chance de tomber sur l’édition spéciale proposée par les Librairies Sorcières, un réseau de librairies spécialisées jeunesse, Anne Montel et Loïc Clément s’y expliquent sur la genèse de ce projet. Anne raconte qu’elle a découvert le roman éponyme de Marie-Aude Murail à l’âge adulte, en est tombée amoureuse, amour qu’elle a transmis à Loïc et qui s’est transformé en une lettre  conjointe à l’autrice : « on adore votre livre et on veut l’adapter en bande dessinée ». Rue de Sèvres qui avait déjà édité des adaptations de romans de l’école des loisirs a emboité le pas aux deux jeunes créateurs.

Le résultat est splendide. Celles et ceux qui avaient aimé la version originale, grand livre déjà magnifiquement illustré par Philippe Dumas, retrouveront avec plaisir la version de Clément et Montel. Pour qui avait été intimidé par les 563 pages du livre paru en 2008, les 120 pages de ce premier tome constitueront une excellente entrée en matière. On y suit Charity, « une digne petite fille de la bonne société anglaise des années 1880 » qui aurait pu mourir d’ennui ou sombrer dans la folie, mais que son goût croissant et irrépressible pour les animaux, son sens de l’observation et sa curiosité insatiable, vont sauver. Sans oublier l’aquarelle, à laquelle Blanche, la préceptrice française, va initier Charity. Ce premier volume, sous-titré L’enfance de l’art, emmène Charity jusqu’au seuil de sa seizième année et constitue déjà une histoire complète. Si l’ambiance de cet album vous évoque l’univers de Beatrix Potter, la maman inoubliable de Pierre Lapin, ce n’est pas le fruit du seul hasard. C’est la lecture d’une biographie de l’autrice anglaise qui avait poussé Marie-Aude Murail à écrire Miss Charity, hommage à la force des femmes créatrices du XIXème siècle transmise jusqu’à aujourd’hui.

Miss Charity - Loïc Clément et Anne Montel - Rue de Sèvres - 2020 (120 pages, 16 €)

Il n’est pas facile de se repérer dans la littérature ado. La Revue des livres pour enfants, éditée par le Centre national de la littérature pour la jeunesse tient sans doute un rôle central dans le paysage éditorial, avec ses six numéros annuels. Une multitude de blogs et de vlogs offrent désormais leurs points de vue subjectifs sur la production, au fil nourri de celle-ci. Et de temps à autre, un guide fait le point sur l’état de l’art. C’est ainsi que deux jeunes blogueurs, Tom et Nathan Lévêque, devenus à 23 ans libraire et éditeur, proposent en cette fin d’année un panorama de la littérature ado. Leur guide s’appelle En quête d’un grand peut-être et explore cette littérature de façon thématique – la sexualité, la famille, la mort, la révolte, etc - mais aussi au travers de nombreuses interventions d’auteurs et d’autrices. Que raconte-t-on aux ados d’aujourd’hui ? Qu’ont-ils envie de lire ? Vous le saurez en lisant ce guide, qui pourra aussi aiguiller vos achats de fin d’année puisque sa parution est prévue pour le 2 décembre. Je vous en reparlerai dans une prochaine chronique.

Pour écouter cette chronique :



vendredi 20 novembre 2020

Soleil trouble




Fin du monde, fin des temps, apocalypse, mondes d’après, les romans crépusculaires ne manquent pas ces temps-ci. S’ils ont été longtemps cantonnés au rayon science-fiction, ils pénètrent désormais largement ceux de la littérature générale et surtout de la littérature jeunesse, où il ne se passe plus guère un mois sans qu’un auteur ou une autrice entreprenne de décrire l’horizon radieux qui nous attend au bout du réchauffement climatique. Y a-t-il un bout, d’ailleurs, là est la question…

En nous proposant son « Soleil trouble » - c’est le titre de son nouveau livre - Lorris Murail n’entend pas nous faire vivre la grande catastrophe finale, la Sixième extinction, celle de l’humanité, ou nous proposer la nième dystopie. Non, il nous rapproche plus concrètement de ce moment, inéluctable et pas si lointain, où la hausse des températures et la montée des eaux auront sensiblement transformé notre vie quotidienne, quotidien dont il met en scène de puissantes images. Comment allons-nous y faire face, individuellement et collectivement ?

Le jeune héros, témoin de ces transformations, se nomme Thiago. Quand l’histoire commence, son père, Martin, qui travaille à la mairie, annonce à sa famille qu’elle va devoir héberger deux ressortissants des îles Tuvalu, un archipel du Pacifique qui a été progressivement submergé par la montée des eaux. Charlène, la maman, appréhende cette cohabitation forcée avec des inconnus, même si des règles de vie sont imposées aux réfugiés climatiques par les autorités. Ils ne doivent sortir de leur chambre qu’à des heures fixées pour accéder à la salle de bains ou à la cuisine, afin de minimiser les interactions et le poids, réel et symbolique, de leur présence pour la famille qui les accueille.

Dans cette petite chambre où Thiago pénètre parfois, flotte la présence obsédante d’une sœur qui n’a pas voulu naître et qu’il nomme Treiz. Thiago va d’abord ressentir violemment l’intrusion des étrangers dans son univers intime, deux colosses polynésiens, un père et son fils, qui ne parlent pas un mot de français. 

Dehors, la ville étouffe sous des températures qui oscillent entre 40 et 50°. A vrai dire, on étouffe partout et il n’y a plus guère de dehors et de dedans. Des réfugiés commencent à s’entasser près d’une rivière où, enfant, Thiago allait se baigner pour se rafraîchir. Ce temps-là aussi est révolu. Désorienté, il rencontre au hasard de ses déambulations Charles, un jeune homme membre d’un groupe baptisé les Suprêmes qui s’oppose à l’arrivée des immigrants, organisant des manifestations impressionnantes contre les autorités. Thiago est confusément attiré par cette mouvance, maintenant qu’il voit ce que cette arrivée a changé dans sa vie. 

Mais il va bientôt faire connaissance avec Telaki, qui vit désormais sous son toit, chacun bredouillant le peu d’anglais qu’il sait. Et surtout, près de la rivière, il va découvrir un homme malade et effrayant, réfugié au fond d’une grotte, qui va l’obliger à prévenir ses amis via une clé que Thiago doit brancher sur son ordinateur…

Lorris Murail poursuit la réflexion entamée dans son précédent roman, L’horloge de l’Apocalypse, que je vous avais présenté ici il y a deux ans et demi. On retrouve d’ailleurs, projetés cette fois dans ce futur proche de nous, trois personnages de l’ère Trump qui ont grandi et ont quitté les États-Unis : OT, Oneway Ticket l’animateur de cette radio qui déversait dans l’Arizona ses avertissements écologiques, Liz, la nièce de Norma devenue une jeune femme qui va attirer Thiago, et Kemba. Quel secret lie désormais ces trois personnages ? Que cherchent-ils et qu’ont-ils trouvé ? Que viennent-ils faire en France ? Thiago va l’apprendre peu à peu en même temps que sa vie va être bouleversée.

Pour écouter cette chronique (extrait lu à 03:45) :


Soleil trouble – Lorris Murail – PKJ – 2020 (320 pages, 17,90 €)


Un zoo à soi

  Vous connaissez peut-être Thomas Lavachery, l'écrivain belge dont l'école des loisirs a publié les aventures en huit tomes de Bjor...