mercredi 10 juin 2009

Ce que disent les nuages

Auteur genèse




Dans une France où le réchauffement climatique n'est plus une simple hypothèse d'écologistes hantés par l'Apocalypse, un milliardaire, illuminé par d'anciennes études de théologie, cherche à fuir le monde que lui et ses semblables ont conduit inexorablement à sa perte. Puisqu'il n'y a plus rien que sa fortune n'ait pu satisfaire, il ne reste à Georges Murphy qu'un désir qui va devenir une obsession : sauver sa peau en se réfugiant dans le Paradis, le vrai, l'unique. Avec ses immenses moyens, il est prêt à tout pour trouver le chemin et le guide qui l'y conduiront.

Sous des ciels plombés par des nuages qui ne font que promettre, l'eau s'est faite rare. Les parcs publics jaunissent. Les rosiers privés crèvent. Arroser son jardin est passible d'amende. Sur ce carreau de feu, un enfant, Colin, semble être le porteur d'un message qui lui a été délivré par un ange, au bord d'un puits (à sec). Message de salut ou d'avertissement, on ne sait trop. Mais cet enfant et la révélation mystérieuse qu'il détient deviennent rapidement l'enjeu d'une bataille entre Murphy, qui s'est adjoint un vieux prêtre savant et défroqué, Kantor, qui fut jadis son maître, et deux beaux jeunes gens que le hasard ou le destin va réunir, Béatrice et Thomas. Murphy tient pour acquis que l'enfant a été élu et que lui seul saura le conduire vers le jardin d'Eden jadis perdu. Bientôt, on perçoit que derrière les humains, d'autres êtres s'agitent, qui tiennent de discrètes boutiques sur Terre, où ils ont leurs représentants. On vous laissera deviner de quels intérêts respectifs Angélique et Sheridan gèrent les commerces en plein Paris. Qui l'emportera ? Entre ciel et terre, les cinq personnages principaux s'unissent, se battent, se fuient ou se pourchassent jusqu'à la fin. Mais y a-t-il une Fin ?
Entrer dans ce livre, c'est comme entrer dans l'armoire de Narnia. C'est pénétrer dans un autre espace-temps d'où l'on ne ressort qu'à la dernière page. Et encore...

Lorris Murail réemploie et tisse avec une grande sûreté romanesque thèmes bibliques, religieux, économiques, biogénétiques et écologiques. Son roman crée à lui seul un nouveau genre qu'on dénommera « mystique-fiction », par analogie avec la science-fiction dont Murail est un des spécialistes français. Tous les plans et tous les univers de la Vie ne cessent de s'y interpénétrer et de s'y féconder mutuellement.

Une des grandes astuces de l'auteur est sans doute d'avoir pris le parti de soutenir de bout en bout, avec un naturel et une vraisemblance confondantes, une lecture fondamentaliste des Ecritures, celle-là même qui a nourri notre enfance de ses images. Un seul exemple : selon le livre de la Genèse, il n'y a jamais eu plus de deux êtres humains ensemble au Paradis, Adam et Eve. De ce constat, Lorris Murail tire un ressort dramatique, efficace jusqu'au terme de son récit (et qu'on laissera découvrir au lecteur).



Le second parti du roman est théâtral : à l'arrière-plan, une Nature et une Ville qui ressemblent à des décors de Dali ou de Klein, fatigués par la chaleur et la sécheresse, des mondes exténués et désertés qui ondulent et s'écaillent et qu'au fond ne séparent jamais que l'épaisseur d'une mince cloison peinte ou d'une porte. Sur la scène, quelques personnages, sept si j'ai bien compté, neuf avec les parents de Colin, Francis et Monia, allez, dix, si on ajoute Maurice, le chauffeur de G.M.. Même si la scène est le Monde, à quoi bon s'encombrer de figurants ? Bien sûr, le ciel grouille d'anges et de séraphins, de Trônes et de Dominations et les puissances d'en bas ne sont pas en reste. Mais l'action et la tension, comme dans une tragédie racinienne, sont bien circonscrites aux quelques personnages susnommés. Rien ne distrait le lecteur de l'affrontement entre ces monades de chair et de sang. Le roman, en outre, est riche de références cultivées et de clins d'œil qui « fonctionnent » mais n'encombrent jamais la lecture, qui irriguent le texte sans le noyer (ce serait un comble !). Béatrice est empruntée à Dante, Thomas ne croit que ce qu'il voit, Angélique est bien la Marquise des Anges, le prologue semble être tiré d'un film de James Bond... Pour faire bonne mesure, Lorris Murail, nous conte aussi une véritable histoire d'amour. Thomas et surtout Béatrice brûlent l'un pour l'autre, mais d'un amour courtois, semé d'épreuves, d'embûches et... d'humour. Et il leur en faut ! Comme dans L'étoile mystérieuse d'Hergé, la chaleur monte, les nuits deviennent suffocantes, l'asphalte fond. Les nuages parleront-ils ? Qui triomphera, du Bien ou du Mal ? Vous le saurez (peut-être) à la page 401...

Ce que disent les nuages - Lorris Murail - L'Archipel - 2009  (402 pages, 16,20 €)

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