... ou l'attente engloutie.
Clémentine Beauvais, qui venait de relire Proust, a décidé de proposer un album qui recréerait cette scène emblématique, avec le concours, à l'image, de Camille Romanetto.
Peu de mots pour cette séquence du baiser du soir, étirée comme une attente qui pourrait se suffire à elle-même. Maman va-t-elle penser à s'arracher à la soirée, aux amis qui la retiennent, en bas, dans la lumière et le "tintement des verres", pour venir livrer son fils au silence d'une nuit qui ne peut commencer sans qu'elle ait déposé sur sa joue ce doux passeport pour le sommeil et les rêves ?
Est-ce le baiser qui est attendu ou bien maman, le message, quitus pour la journée écoulée, ou sa messagère ? Le baiser, au fil des pages, se personnifie, se fétichise dans sa répétition journalière mais aussi s'amenuise jusqu'à n'être plus qu'un point de bascule entre l'attente, l'espoir du baiser et l'après-baiser où tout se dissout immédiatement dans le devoir de la nuit qui vient : "Je dois dormir".
Au final, le baiser n'est rien, au regard de ce qui le précède et de ce qui le suit. Mais n'est-ce rien que ce rien qui délivre de tout ?
Camille Romanetto a baigné la voix intérieure du petit garçon dans une succession de halos lumineux où glissent, à la rencontre et comme ignorés l'une de l'autre, le "bruit léger" (Proust) de la robe de maman et l'attente inquiète et fidèle de son petit garçon, moment répété que le père du petit Marcel qualifiait de "rite absurde", moment pourtant fondateur de toute La Recherche.
Le baiser du soir - Clémentine Beauvais - album illustré par Camille Romanetto - Sarbacane - 2025 (40 pages, 15,50 €)
* Du côté de chez Swann, in À la recherche du temps perdu, Marcel Proust, bibliothèque de la Pléiade, tome 1, p. 13
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