vendredi 25 mai 2018

L'horloge de l'Apocalypse

À l'ère du trumpénien



Connaissez-vous l’horloge de l’Apocalypse ? En 1947, des savants atomistes de l’université de Chicago l’ont inventée pour symboliser le péril que faisait peser sur le monde  l’arme nucléaire après Hiroshima et Nagasaki et dans le contexte de la guerre froide naissante.  A l’époque, il était pour eux minuit moins 7 minutes. Au gré des événements géopolitiques qui ont suivi et jusqu'à nos jours, ils ont avancé ou reculé  la grande aiguille, mais l’horloge continue à flirter avec l’heure fatidique qui sonnera la fin du monde.

Dans le livre éponyme, sous-titré « à minuit, il sera trop tard », Lorris Murail  nous emmène encore en Amérique, mais dans l’Amérique profonde, celle qui a élu Donald Trump comme 45e président des États-Unis et qui est entrée dans cette nouvelle ère géologique que Murail baptise le « trumpénien ». Nous sommes plus précisément dans l’Arizona.

Comment Norma, 19 ans, qui livrait sans enthousiasme des plantes vertes, se retrouve à devoir assumer du jour au lendemain la garde de sa nièce Liz, huit ans, que son frère Mark vient de lui coller dans les bras, c’est ce que raconte le premier chapitre. Mais Mark n’a pas tout dit à Norma, qui va le découvrir progressivement.

Pour vivre, Norma trouve un travail de nuit, entre deux heures et sept heures du matin, serveuse dans l’unique bistrot du coin paumé d’Arizona où se trouve la tiny house dans laquelle son frère l’a envoyée camper. Toutes les nuits, donc, Norma laisse Liz endormie dans la frêle caravane, seule au milieu de nulle part, et, non sans appréhensions multiples, part servir bières sur bières à d’énormes gaillards tatoués qui circulent dans des 4 X 4 fumant comme l’enfer. Cette pollution ostentatoire, Norma en découvre vite la raison : c’est bien plus que du climato-scepticisme, c’est une sorte de bras d’honneur que les adeptes du coal rolling– littéralement "charbon brûlant" - font en permanence à tous les écolos et à toutes les politiques environnementales.

Une voix tombée du ciel va venir tirer miraculeusement Norma de cet univers de beaufs. Kemba, un jeune noir, lui vend un jour une radio sur laquelle elle va découvrir un étrange animateur répondant au pseudonyme de Oneway Ticket, OT pour les fans. Prophète du déluge qui vient, OT déverse sur son antenne la litanie exhaustive des catastrophes écologiques qui vont mener l’humanité à sa perte. Aller simple pour la mort.

D’abord tétanisée puis fascinée, Norma devient accro à Radio 6, unique viatique qui l’accompagne dans sa voiture japonaise hybride, autre insulte à tous les coal rollers qui l’entourent. Sans qu’elle s’en aperçoive, un lien de plus en plus fort, intime et fantasmé, se tisse entre elle et Oneway Ticket. L'horloge de l'Apocalypse est aussi un hymne à la radio.

Surtout, avec Norma, Lorris Murail a brossé un formidable portrait humain, n’esquivant rien de ce qu’une jeune femme seule doit traverser pour survivre dans l’Arizona du trumpénien. Alors qu’on ne donnerait pas cher de son héroïne au début du roman, on comprend peu à peu qu’il y a en Norma un mélange de pureté, de beauté et de volonté, qu’elle ignore elle-même et qui l’entoure d’une aura invincible. Elle s’avance et devant elle, tout genou fléchit, jusqu’à obtenir l’impossible. Rarement dans la LJ s’est affirmé un féminisme aussi fort, aussi authentique, aussi rédempteur. C'est peut-être ce féminisme mezza voce, perceptible de longue date dans l'oeuvre de Lorris Murail, qui fait à lui seul de ce roman noir un roman lumineux.

Ecouter cette chronique (extrait lu à : 3:33) :

L’horloge de l’Apocalypse – Lorris Murail – Pocket  Jeunesse – (333 pages, 15 €)

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