Toujours préférer le pluriel au singulier car c’est dans le
pluriel que s’épanouit la singularité des êtres. C’est ce que semblent avoir
compris Albert et Marie Favre, un couple d’exception qui, depuis quarante ans,
remet en chemin des gamins et gamines provisoirement cassés par la vie, en les
accueillant, en semaine, le week-end ou le temps d’un été, dans leur
ferme-refuge nivernaise. Quand débute le récit de Benoît Minville, Djib et
Vasco, le black et le portosse, copains des villes inséparables, se retrouvent
après une énième bêtise, punis – pensent-ils – par cet exil aux champs, dont
ils ignorent tout. Le père de Vasco, José, un Portugais droit dans ses bottes,
espère ainsi, en privant son fils du retour estival au pays attendu tous les
ans comme la récompense de l’année, le faire réfléchir et mûrir dans sa tête.
Des enfants, les Favre n’en ont jamais eu. Ou plutôt, si :
ils en ont eu cinquante. Dont huit sont aujourd’hui au chômage, précise Marie à
José, non sans fierté, en l’accueillant. Elle n’a pas cru devoir préciser
« huit seulement ». Ces parents de passage se font appeler Tonton et
Tata par les jeunes qu’ils hébergent, moyennant agrément et financement de la
DASS. La petite colonie, changeante au gré des placements, fonctionne sous leur
loi tendre et ferme, qui contient tant bien que mal les colères et les
chagrins, les blessures définitives et les explosions de violence d’enfants
dont les vies restent comme en suspens. Plus précisément suspendues à la
décision de juges, d’éducateurs et d’assistantes sociales confrontés aux
errances d’adultes pas finis qui perdent et recouvrent leur autorité parentale
au fil cassé de leur propres existences…
En arrivant dans la ferme de Passy, Djib et Vasco débarquent
donc au milieu d’une bande de « cassoces » qui se connaissent déjà
entre eux. Ils vont devoir apprivoiser tout ce petit monde et se faire
accepter. Marie fait discrètement les présentations à José. A l’étage ados, Dylan,
apprenti boucher dans le village d’à côté veille jalousement sur sa sœur
Jessica déjà bourreau des cœurs, Vasco va vite s’en apercevoir. Chloé, derrière
ses taches de rousseur, pourrait bien plaire à Djib. Les jumeaux Gaétan et Gwen,
victimes de maltraitance, Kamel, Farah et Sirine, l’autre fratrie, simplement
en vacances, complètent le tableau côté petits.
Avec beaucoup d’attention et d’affection, Benoît Minville
nous déroule l’été en pente presque douce de Djib et Vasco. Dans cette France
profonde, encore rurale, celle qu’on dit aussi « périphérique », dans
ces hameaux qui se refusent à mourir, la vie continue, et nos deux citadins
découvrent un autre monde :celui des rivières glacées, des poules qui
pondent, des pieds nus dans la rosée du matin, de la fête au village, des bals,
des embrouilles avec les gars du coin, toujours à cause des filles… L’été des
belles vies, c’est aussi celui des initiations maladroites et sincères, des
premiers gestes de l’amour à deux, immenses et intimidants, mais irrésistibles,
dans l’ombre protectrice des intimités enfin conquises. De crises en
découvertes, toute la bande de Marie et d’Albert avance vers la rentrée,
synonyme de séparations, mais annonciatrice de nostalgies qui nourriront
l’année suivante.
Avec ses belles vies, Benoît Minville nous sert un livre
solaire et généreux, au plus près des tourments qui détruisent ou font grandir,
selon les moments. Chacun pourra y retrouver des échos de sa propre enfance et
adolescence, de ce temps que chante Nino Ferrer, où « l’on se baignait
tout nu tout noir avec les petites filles et les canards. »
Les belles vies - Benoît Minville - Sarbacane (231 pages, 15,50 €)
En podcast sur RCF Loiret (écoutez un extrait du livre à 3:11) :
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