vendredi 20 janvier 2017

Les belles vies


Toujours préférer le pluriel au singulier car c’est dans le pluriel que s’épanouit la singularité des êtres. C’est ce que semblent avoir compris Albert et Marie Favre, un couple d’exception qui, depuis quarante ans, remet en chemin des gamins et gamines provisoirement cassés par la vie, en les accueillant, en semaine, le week-end ou le temps d’un été, dans leur ferme-refuge nivernaise. Quand débute le récit de Benoît Minville, Djib et Vasco, le black et le portosse, copains des villes inséparables, se retrouvent après une énième bêtise, punis – pensent-ils – par cet exil aux champs, dont ils ignorent tout. Le père de Vasco, José, un Portugais droit dans ses bottes, espère ainsi, en privant son fils du retour estival au pays attendu tous les ans comme la récompense de l’année, le faire réfléchir et mûrir dans sa tête.

Des enfants, les Favre n’en ont jamais eu. Ou plutôt, si : ils en ont eu cinquante. Dont huit sont aujourd’hui au chômage, précise Marie à José, non sans fierté, en l’accueillant. Elle n’a pas cru devoir préciser « huit seulement ». Ces parents de passage se font appeler Tonton et Tata par les jeunes qu’ils hébergent, moyennant agrément et financement de la DASS. La petite colonie, changeante au gré des placements, fonctionne sous leur loi tendre et ferme, qui contient tant bien que mal les colères et les chagrins, les blessures définitives et les explosions de violence d’enfants dont les vies restent comme en suspens. Plus précisément suspendues à la décision de juges, d’éducateurs et d’assistantes sociales confrontés aux errances d’adultes pas finis qui perdent et recouvrent leur autorité parentale au fil cassé de leur propres existences…

En arrivant dans la ferme de Passy, Djib et Vasco débarquent donc au milieu d’une bande de « cassoces » qui se connaissent déjà entre eux. Ils vont devoir apprivoiser tout ce petit monde et se faire accepter. Marie fait discrètement les présentations à José. A l’étage ados, Dylan, apprenti boucher dans le village d’à côté veille jalousement sur sa sœur Jessica déjà bourreau des cœurs, Vasco va vite s’en apercevoir. Chloé, derrière ses taches de rousseur, pourrait bien plaire à Djib. Les jumeaux Gaétan et Gwen, victimes de maltraitance, Kamel, Farah et Sirine, l’autre fratrie, simplement en vacances, complètent le tableau côté petits.

Avec beaucoup d’attention et d’affection, Benoît Minville nous déroule l’été en pente presque douce de Djib et Vasco. Dans cette France profonde, encore rurale, celle qu’on dit aussi « périphérique », dans ces hameaux qui se refusent à mourir, la vie continue, et nos deux citadins découvrent un autre monde :celui des rivières glacées, des poules qui pondent, des pieds nus dans la rosée du matin, de la fête au village, des bals, des embrouilles avec les gars du coin, toujours à cause des filles… L’été des belles vies, c’est aussi celui des initiations maladroites et sincères, des premiers gestes de l’amour à deux, immenses et intimidants, mais irrésistibles, dans l’ombre protectrice des intimités enfin conquises. De crises en découvertes, toute la bande de Marie et d’Albert avance vers la rentrée, synonyme de séparations, mais annonciatrice de nostalgies qui nourriront l’année suivante.


Avec ses belles vies, Benoît Minville nous sert un livre solaire et généreux, au plus près des tourments qui détruisent ou font grandir, selon les moments. Chacun pourra y retrouver des échos de sa propre enfance et adolescence, de ce temps que chante Nino Ferrer, où « l’on se baignait tout nu tout noir avec les petites filles et les canards. »

Les belles vies - Benoît Minville - Sarbacane (231 pages, 15,50 €)

En podcast sur RCF Loiret (écoutez un extrait du livre à 3:11) : 

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