vendredi 19 octobre 2018

POV

Addict au cybersexe à 16 ans



C’est le deuxième roman pour adolescents de Patrick Bard que je vous présente. Vous vous souvenez peut-être de ce récit très documenté, Et mes yeux se sont fermés, où l’auteur racontait l’embrigadement d’une jeune fille, son départ en Syrie comme djihadiste et son retour en France. Avec POV, acronyme de l’anglais Point Of View, qui désigne une méthode de tournage en caméra subjective, Patrick Bard aborde un tout autre genre d’arraisonnement par internet, qui va conduire un jeune adolescent au seuil de la mort, lui aussi.

C’est en essayant de télécharger un film de Spiderman en streaming que, Lucas, 16 ans, tombe pour la première fois, de fenêtres de pub en liens parasites et sans qu’il l’ait vraiment voulu, sur une vidéo porno qui s’incruste sur l’écran de son ordinateur. La scène le fascine, comme une brutale initiation. Ce frisson initial, inédit, il va désormais chercher à le répéter à l’infini, plaisir solitaire à la clé. Progressivement, le cybersexe envahit ses nuits, puis ses jours, sature son corps et son esprit. Il dort en classe, ses résultats scolaires dégringolent  et ses parents ne comprennent pas ce qui arrive à leur fils de plus en plus renfermé, ou  agressif quand ils essayent de discuter avec lui.

Sébastien, le père, va découvrir le pot aux roses le jour où son fils doit lui avouer que son portable et son ordinateur, sans lesquels il ne peut plus vivre, semblent définitivement « plantés ». Sébastien, qui travaille dans une société d’informatique, confie à un collègue le soin de ressusciter les deux appareils. Ce collègue va lui faire découvrir à quoi son fils passe ses nuits en lui dévoilant l’historique de ses consultations, et les films et les images stockées sur le disque dur.

Choqués, les parents croiront néanmoins qu’une confrontation avec leur fils, dont ils obtiendront la « promesse d’arrêter », peut suffire. Mais ce qu’ils n’ont pas compris, c’est que pour Lucas, il s’agit d’une véritable addiction. Le chemin va donc être long, jalonné d’un épisode tragique : la première partie du livre s’appelle « Disparaître ».  C’est pendant un séjour dans une clinique de rééducation et de sevrage que Lucas réapprendra à « faire battre le cœur », titre de la seconde partie.

Visiblement documenté, Patrick Bard a réussi à bâtir un roman qui est un conte d’avertissement âpre. « Il ne faut qu’une demi-seconde à Google pour rechercher et proposer à l’internaute qui en fait la demande 1 250 000 vidéos de pénétration anales. » Le milieu qui produit ces films, les conditions de vie des hommes et des femmes qui se plient à ces séquences pornographiques, sont brièvement décrits, sans fards mais sans complaisance non plus. « Le porno, c’est 68 millions de requêtes par jour ». 

La tâche des parents face à une telle situation n’est pas aisée. Il y a des signaux d’alarmes, comme la fatigue excessive, la difficulté à se lever le matin, la baisse des résultats scolaires, le mutisme et l’agressivité croissants. Face à ses parents, père ou mère, l’adolescent est toujours dans le déni. Il leur avouera à la rigueur qu’il « joue » un peu trop sur son ordinateur, mais tant que le diagnostic précis n’est pas posé, rien ne peut être entrepris. 

POV est un livre dur mais utile. On suit l’itinéraire de Lucas comme on lirait un thriller. La tempête intime qui a failli le détruire va s’apaiser au bord de la mer, dans cet établissement de soins où Lucas devra accepter la rencontre et l’échange pour se retrouver enfin, blessé à jamais mais vivant.

Écouter cette chronique (extrait lu à 3:36) :

POV, Point Of View – Patrick Bard – Syros (236 pages, 15,95 €)

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