Périodiquement, les médias se font l’écho d’affaires que l’on a pris l’habitude – pour autant que cette chose puisse devenir habituelle – de ranger dans la rubrique « esclavage moderne ». Les protagonistes en sont généralement une famille bourgeoise bien sous tous rapports et une jeune femme d’origine étrangère réduite plus ou moins brutalement du statut d’employée de maison à celui de prisonnière enchaînée jour et nuit au service de patrons impitoyables, exploiteurs et parfois prédateurs.
C’est une histoire semblable que Philippe Arnaud a choisi de raconter dans son nouveau livre, La proie, au nom, écrit-il, de cette « Afrique [qui] a donné sens à mes combats d’homme, de citoyen puis d’auteur ».
Au commencement, Anthéa est une fillette heureuse, qui partage ses jeux avec sa cousine Diane dans un petit village camerounais. Difficile d’imaginer deux êtres aussi dissemblables, Anthéa tranquille et obéissante, Diane indisciplinée têtue et tête en l’air. Sous son air sage, Anthéa est plus tourmentée qu’elle n’en a l’air. Elle est en difficulté à l’école et, en cours moyen, elle va tomber sur un maître sévère qui va lui faire perdre tous ses moyens. Elle peut partager ses déboires avec Diane qui, elle, doit faire face à un père qui a la main leste. Heureusement, elle va aussi découvrir incidemment qu’elle a un vrai talent de conteuse, en rassemblant les enfants de son village sous l’ombre d’un kolatier. Et sous le regard de Samuel.
L’enfance se poursuit. Anthéa a dix ans quand une femme blanche entre progressivement dans la vie de sa famille. D’abord avec sa mère, à qui elle achète tantôt des fruits, tantôt des avocats. Puis un jour, elle confie son fils François à la garde de la maman, et c’est Anthéa, naturellement, qui s’occupe de ce petit Blanc qui a presque son âge. La dame blanche est contente.
Le temps passe. A douze ans, Diane et Anthéa perçoivent un changement dans l’attitude des garçons à leur égard. Anthéa a grandi et sa beauté s’affirme. C’est alors que la Française, qui s’appelle Christine, va proposer d’emmener Anthéa en France avec elle, pour l’aider à s’occuper de ses enfants, tout en lui promettant qu’elle pourra poursuivre ses études. Son mari Stéphane est en fin de contrat et toute la famille doit rentrer. Les parents d’Anthéa reçoivent cette proposition comme une chance pour eux et pour leur fille et acceptent. Ils ne savent pas, en quittant leur fille à l’aéroport de Douala, que celle-ci s’embarque pour l’enfer, sous le regard aimant de Samuel, dissimulé derrière un pilier.
La suite raconte « la chute » d’Anthéa. Comment elle est successivement privée d’école, puis enfermée, séquestrée et finalement violée régulièrement par le mari, avec la complicité silencieuse de son épouse au bord de la folie. C’est toute la famille qui se déglingue, le père maintenant femme et enfants, et bien sûr Anthéa, sous son emprise perverse.
C’est peu de dire qu’à ce stade le récit de Philippe Arnaud est aussi éprouvant que maîtrisé. Le lecteur ressent jusque dans sa chair le martyre d’Anthéa. On en réservera la lecture à de « jeunes adultes », qui sont d’ailleurs devenus l’une des cibles privilégiées des éditions Sarbacane. Les livres de la collection X’PRIM, faut-il le préciser, ne sont pas placés sous la loi de 1949 qui encadre les publications destinées à la jeunesse.
Peut-on rassurer le lecteur sans dévoiler la fin du livre ? Anthéa va parvenir à fuir cet enfer. La dernière partie du livre est intitulée « Sans se retourner ». Pourtant, livrée à elle-même, sans argent, sans vêtements et sans papiers, car son passeport lui a été confisqué, Anthéa, épuisée par sa captivité, n’est pas au bout de ses peines, et va découvrir le monde marginal et souterrain de Paris. Pourra-t-elle revoir sa famille, son cher Cameroun, dont le souvenir l’a toujours soutenue dans les pires moments ?
Écouter cette chronique (extrait lu à 3:35) :
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