vendredi 28 juin 2024

Le soleil est nouveau chaque jour

 

Ils avaient la tête en vrac à force de soirées fumette et alcool. Le monde tel qu'il était ne leur plaisait guère mais ils attendaient qu'il change. Et puis un beau jour, ils se sont décidés à conjuguer le verbe agir au présent. Ils ont répondu à un appel lancé sur Internet, ils ont traversé la France dans la vieille Clio de Fatou et ils se sont retrouvés perchés à quinze mètres de hauteur, dans des cabanes posées sur de vieux chênes promis à l'abattage, rejoignant un combat entamé par d'autres.

L'enjeu : protéger un beau morceau de forêt de Lorraine, promis à la destruction par un projet d'entrepôt géant porté par une multinationale américaine et un maire d'une petite commune séduit par la promesse de quelques dizaines d'emplois plus ou moins précaires.

Leur seule chance de réussir : mobiliser la presse et l'opinion en faveur de leur cause avant que la police n'entreprenne de les déloger.

En écrivant Le soleil est nouveau chaque jour, Eric Pessan a composé une sorte de manuel du parfait petit zadiste, mais vu de l'intérieur, puisque c'est Thomas, l'un des protagonistes, qui raconte cette aventure collective. Il est arrivé de Nantes avec Fatou, Antoine et surtout Klara, une jeune réfugiée ukrainienne, avec laquelle il est en couple depuis quelques mois.

Ils ont prévu de tenir trois semaines, en emportant des vivres en conséquence. Thomas tient une sorte de journal de l'occupation, mais l'auteur a pris soin de casser une narration trop linéaire. Il décrit notamment l'évolution de Thomas dans son environnement familial, avec un père très engagé dans sa commune, qui est à l'évidence son modèle, quoique cet engagement n'ait laissé que la portion congrue à sa relation avec ses enfants, Thomas et sa sœur Julie.

Nous sommes à l'ère du portable, des réseaux, qui permettent de communiquer, de poster des films, des commentaires sur l'action entreprise sans qu'il soit nécessaire de redescendre à terre. C'est le soleil, ce soleil nouveau chaque jour selon le mot d'Héraclite*, qui recharge les téléphones.

Et bientôt l'action des seize jeunes gens, cinq filles et onze garçons, va être connue des journalistes et du grand public. L'intervention des gendarmes est guettée. Les jeunes comptent sur le fait qu'un assaut serait trop dangereux et à l'évidence ce n'est pas cette option qui est prise. Du moins au début.

Les jeunes activistes vont vite mesurer la versatilité des médias qui ne se nourrissent que de nouveautés. Ils vont essayer néanmoins d'entretenir leur intérêt en variant interviews, récits. Obtiendront-ils gain de cause, en l'occurrence l'arrêt du projet ? Et la cohésion du groupe, celle des couples - celui que forme Thomas et Klara - résisteront-elles à l'usure du temps, aux conditions atmosphériques, à la pression policière ?

Vous le saurez en lisant le livre d'Éric Pessan qui nous livre là un passionnant roman d'apprentissage, la radiographie d'un engagement et une leçon de politique donnée par la jeune génération. Indispensable en ces temps de fièvre démocratique.

Pour écouter cette chronique (extrait lu à 02:58) :



Le soleil est nouveau chaque jourÉric Pessan – Médium+ de l'école des loisirs (186 pages, 14 €)

* fragment 88 dans l'édition de Marcel Conche aux PUF

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