Une île entre le ciel et l’eau. C’est dans cette sorte d’indétermination géographique, isolée de tout qu’Yves Grevet a planté il y a dix ans sa trilogie, rééditée par Syros dans un volume unique de 885 pages, richement illustré par Thomas Ehretsmann. A dire vrai, L’île était le titre du second volet. C’est tout un univers qu’a construit l’auteur, de toutes pièces, et qui commence par La maison et se termine par Le monde.
Yves Grevet a expliqué qu’il n’avait aucun projet précis quand il a entamé ce qui allait être une trilogie, juste une scène inaugurale : un dortoir, la nuit, où le seul craquement d’un lit réveille soixante-quatre garçons, immédiatement tétanisés par la peur. C’est de ce commencement ténu qu’il a progressivement créé son univers romanesque et déployé son récit, en cercles concentriques, telle une onde se propageant à la surface d’un lac sombre, toujours menaçant.
Que font ces adolescents dans cette maison ? Pourquoi portent-ils tous des prénoms latins, Rémus, Octavius, Claudius… ? Qui sont ces « Césars » numérotés qui font régner une discipline implacable sur toutes les activités de cet étrange pensionnat qui semble tombé de nulle part ? Que leur apprend-on et que leur cache-t-on ? Quel est le projet exact du mystérieux Jove, maître des lieux ?
Pour les plus jeunes, le confort et la sécurité de la maison semblent remédier aux désordres de leur petite enfance, dont ils n’ont pourtant guère de souvenirs. Mais pour les plus grands, Méto en tête, l’adolescence ouvre les questions fondamentales : qui suis-je, d’où viens-je et où nous conduit-on ? Ils sont plusieurs à vouloir secouer les œillères qu’on leur a posées pour les faire grandir sans discussion vers un avenir pourtant opaque.
L’éducation reçue les laisse dans l’ignorance de pans entiers de la connaissance de la vie et du monde, jusqu’aux mots de père, mère, frère ou sœur. Ils sont même inconscients qu’il existe un autre sexe que le leur dans l’espèce humaine, et de la façon dont ils ont été conçus. Ici, il faut sans doute prévenir le lecteur et la lectrice : le féminin n'est introduit dans cette histoire virile qu'à dose homéopathique. Au point que la première femme que rencontrera Méto sur l'île, en sortant de la Maison, ne doit sa survie qu'à son travestissement en homme et que Méto échappera de peu à la mort en découvrant, sous le voile, sa véritable identité. Voir une femme et mourir...
Méto, 14 ans, est le narrateur unique et omniprésent de cette trilogie, son véritable et unique héros. Raison pour laquelle il devait lui donner son nom. Son goût croissant pour la liberté pourrait lui coûter cher, à lui et aux quelques amis sûrs qu’il va parvenir à rassembler autour de lui. Il va ouvrir les portes interdites, découvrir un à un les secrets de la Maison, jusqu’à provoquer une révolte qui l’en fera sortir, en guerrier vainqueur. Mais le chemin sera long et difficile pour transformer cette première victoire en triomphe définitif.
Méto est une dystopie qui finit bien. « Il faut parfois désobéir » conclut notre héros, quand il se rappelle le moment où il a ouvert les yeux alors qu’on lui ordonnait de les garder fermés. Et qu’il peut désormais entrevoir l’amour.
Écouter cette chronique (extrait lu à 3:12) :
Méto – Yves Grevet – Syros (885 pages, 26,95 €)
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