vendredi 7 décembre 2018

Cœur battant

Suicide, modes d'en rire




« Peut-être que le ciel réalise les rêves que la terre assassine ». La mère d’Alex avait bien réussi sa sortie laissant à son fils le soin de la découvrir, pendue dans sa chambre à un fil électrique, avec cette phrase tracée sur le mur, pour tout viatique. Il avait huit ans. Neuf ans après, il rate de peu son suicide en se tirant une balle dans le cœur qui finit dans l’épaule. Et c’est comme ça qu’il se retrouve dans la clinique de la Citadelle, le cœur en écharpe, affecté au sympathique groupe des Suicidants, qui ne dépare ni celui des Alcooliques ni celui des Anorexiques. Un groupe de ratés de la mort, dont les cinq membres semblent n’avoir que ce puissant dénominateur en commun.

Axl Cendres aime les portraits de groupe. Elle l’avait montré avec son précédent roman, Dysfonctionnelle, dont je vous ai parlé ici. Sa verve tragi-comique s’employait à faire vivre devant nous une incroyable famille, pour le moins bigarrée et agitée, qui nous emportait dans son tourbillon.

Avec Cœur battant, elle nous transporte directement dans une clinique psychiatrique, chargeant Alex, 17 ans, de nous conter cette aventure très particulière. La première séance du Doc – c’est le petit nom du psychiatre de service – nous permet de faire brièvement connaissance avec nos cinq suicidants, deux adultes et trois ados : Colette et Jacopo, Victor, Axel et puis Alice, arrivée en retard mais « belle comme la nuit », c’est la première remarque que se fait Axel dans son for intérieur. A peine l’a-t-il vue, on comprend qu’il est frit, grillé, qu’il est perdu pour la mort et sera progressivement gagné par l’amour. Du côté de la demoiselle, ce sera peut-être un peu moins simple, mais Axel a 188 pages pour la convaincre.

Grâce aux séances du Doc, aux repas pris ensemble, aux activités proposées aux résidents de la Clinique, chacun a amplement l’occasion d’exposer aux autres les bonnes raisons qu’il avait de mourir et aussi ses conceptions plus ou moins tordues de la vie en général et de l’amour en particulier. Ça nous vaut des dialogues tantôt surréalistes, tantôt cocasses ou complètement déjantés, avec toujours un doigt de métaphysique, à laquelle nos revenants ont tous un peu goûté.

Il fallait être assez culottée pour aborder le suicide aussi frontalement. Evidemment, l’idée de faire parler des gens qui se sont ratés est plus vraisemblable que d’essayer d’écouter des gens qui se sont réussis.  La deuxième bonne idée était bien sûr d’en faire un portrait de groupe avec des personnages aux âges et aux motivations bien différentes. La troisième bonne idée est de les avoir sortis de la clinique, quand leur huis-clos menaçait de s’essouffler, pour les lancer sur la route, dans la Rolls de Jacopo conduite par son chauffeur.  L’aventure de notre club des cinq se termine dans le manoir de Jacopo, au cours d’une soirée très spéciale en forme d’apothéose, manigancée par Victor.

Cœur battant est un livre sur la mort où des cœurs battus nous font découvrir qu’il y a parfois une certaine médiocrité dans le fait d’accepter l’existence telle qu’elle s’impose à nous. Ce n’est pas le moindre paradoxe pour le lecteur que de se dire, en refermant ce livre, que ces cinq trompe-la-mort, perchés sur un fil, nous ont finalement donné une leçon de vie.

Écouter cette chronique (extrait lu à 3:07) :



 Cœur battant – Axl Cendres – Sarbacane, 2018 (188 pages, 15,50 €)

1 commentaire:

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