Il y a quelques années, Diane Dufresne, la canadienne,
chantait, pour un ami condamné, ces quelques vers : « Que
restera-t-il de nous/Quand nous ne serons plus là/Sinon des chansons d’amour/
Qui feront entendre nos voix/A ceux qui vivront/Dans les siècles qui
viendront… » Interrogation aussi vieille que le monde que celle de la
trace laissée par notre passage sur terre. A l’opposé, chaque deuil nous
renvoie puissamment au caractère éphémère de la vie et à l’usure inexorable des
souvenirs. Camille Brissot une jeune auteure pas encore trentenaire a imaginé
dans un futur relativement proche qu’il nous serait offert de pouvoir
rencontrer après leur mort les êtres qui nous sont chers. La maison des reflets est le titre du huitième livre qu’elle vient
de publier chez Syros.
Qu’est-ce qu’un reflet ? C’est l’avatar presque parfait
d’une personne qui vient de décéder et dont l’image a été reconstituée grâce à
l’ensemble des informations détenues sur elle, physiques bien sûr, mais aussi
intellectuelles, morales, l’ensemble de son caractère, désormais animé par une
puissante intelligence artificielle. On pense bien sûr à la somme de données
que détiennent désormais sur nous les fameuses GAFA, Google, Apple, Facebook et
Amazon… Cet avatar est capable de s’entretenir avec celles et ceux qui viennent
lui rendre visite et ces moments sont proposés, dans les salons de la maison
des reflets, pour étaler en quelque sorte le travail du deuil.
Autour de ce dispositif informatique, Camille Brissot a bâti
une histoire prenante. Daniel, petit-fils de l’inventeur, fils du continuateur
qui ne cesse de perfectionner le fonctionnement de la maison, vit dans celle-ci
de façon un peu recluse avec son père et une gouvernante. Orphelin, n’ayant ni
frère ni sœur, il a le privilège de pouvoir convoquer la présence de sa mère
quand il le souhaite pour adoucir sa solitude et s’entretenir avec elle. Du
monde extérieur, l’adolescent n’a guère que la connaissance du parc qui entoure
la maison, des visiteurs un peu
particuliers de ce cimetière vivant, et la vision des somptueux décors qu’il
peut choisir à son gré pour s’évader de sa chambre. Jusqu’au jour où il décide
de quitter sa prison, dorée mais un peu triste, et de s’aventurer en ville,
jusqu’à tomber sur une fête foraine au charme vintage. Il y croise deux sœurs
jumelles dont l’une, Violette, va commencer à l’obséder sans qu’il sache encore
trop pourquoi, tant les impressions qu’il éprouve sont nouvelles pour lui.
Camille Brissot décrit l’évolution de Daniel, sa lente sortie
du monde artificiel dans lequel il a vécu jusqu’ici, la révélation progressive,
aussi nécessaire que douloureuse des secrets qui l’entouraient. Quelle main
pourra-t-il enfin saisir qui ne soit plus celle d’un fantôme du passé, dans un
décor qui ne serait plus illusoire ?
Roman d’apprentissage au pays des avatars virtuels, La maison
des reflets, convoque bien des thématiques contemporaines. La technologie
va-t-elle modifier notre rapport à la mort et au deuil ? A l’amour
même ? Nous enferme-t-elle dans un monde factice ou nous ouvre-t-elle des
horizons encore inaccessibles il y a peu ? C’est tout l’habileté
romanesque de Camille Brissot d’avoir su raconter une véritable histoire, en
fondant ensemble des interrogations existentielles éternelles et les réponses
nouvelles qu’ébauche le transhumanisme.
La maison des reflets - Camille Brissot - Syros (345 pages, 16,95 €)
En podcast sur RCF Loiret (écoutez un extrait à 3:25)
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