vendredi 10 mars 2017

La maison des reflets


Il y a quelques années, Diane Dufresne, la canadienne, chantait, pour un ami condamné, ces quelques vers : « Que restera-t-il de nous/Quand nous ne serons plus là/Sinon des chansons d’amour/ Qui feront entendre nos voix/A ceux qui vivront/Dans les siècles qui viendront… » Interrogation aussi vieille que le monde que celle de la trace laissée par notre passage sur terre. A l’opposé, chaque deuil nous renvoie puissamment au caractère éphémère de la vie et à l’usure inexorable des souvenirs. Camille Brissot une jeune auteure pas encore trentenaire a imaginé dans un futur relativement proche qu’il nous serait offert de pouvoir rencontrer après leur mort les êtres qui nous sont chers. La maison des reflets est le titre du huitième livre qu’elle vient de publier chez Syros.

Qu’est-ce qu’un reflet ? C’est l’avatar presque parfait d’une personne qui vient de décéder et dont l’image a été reconstituée grâce à l’ensemble des informations détenues sur elle, physiques bien sûr, mais aussi intellectuelles, morales, l’ensemble de son caractère, désormais animé par une puissante intelligence artificielle. On pense bien sûr à la somme de données que détiennent désormais sur nous les fameuses GAFA, Google, Apple, Facebook et Amazon… Cet avatar est capable de s’entretenir avec celles et ceux qui viennent lui rendre visite et ces moments sont proposés, dans les salons de la maison des reflets, pour étaler en quelque sorte le travail du deuil.

Autour de ce dispositif informatique, Camille Brissot a bâti une histoire prenante. Daniel, petit-fils de l’inventeur, fils du continuateur qui ne cesse de perfectionner le fonctionnement de la maison, vit dans celle-ci de façon un peu recluse avec son père et une gouvernante. Orphelin, n’ayant ni frère ni sœur, il a le privilège de pouvoir convoquer la présence de sa mère quand il le souhaite pour adoucir sa solitude et s’entretenir avec elle. Du monde extérieur, l’adolescent n’a guère que la connaissance du parc qui entoure la maison,  des visiteurs un peu particuliers de ce cimetière vivant, et la vision des somptueux décors qu’il peut choisir à son gré pour s’évader de sa chambre. Jusqu’au jour où il décide de quitter sa prison, dorée mais un peu triste, et de s’aventurer en ville, jusqu’à tomber sur une fête foraine au charme vintage. Il y croise deux sœurs jumelles dont l’une, Violette, va commencer à l’obséder sans qu’il sache encore trop pourquoi, tant les impressions qu’il éprouve sont nouvelles pour lui.

Camille Brissot décrit l’évolution de Daniel, sa lente sortie du monde artificiel dans lequel il a vécu jusqu’ici, la révélation progressive, aussi nécessaire que douloureuse des secrets qui l’entouraient. Quelle main pourra-t-il enfin saisir qui ne soit plus celle d’un fantôme du passé, dans un décor qui ne serait plus illusoire ?


Roman d’apprentissage au pays des avatars virtuels, La maison des reflets, convoque bien des thématiques contemporaines. La technologie va-t-elle modifier notre rapport à la mort et au deuil ? A l’amour même ? Nous enferme-t-elle dans un monde factice ou nous ouvre-t-elle des horizons encore inaccessibles il y a peu ? C’est tout l’habileté romanesque de Camille Brissot d’avoir su raconter une véritable histoire, en fondant ensemble des interrogations existentielles éternelles et les réponses nouvelles qu’ébauche le transhumanisme.

La maison des reflets - Camille Brissot - Syros (345 pages, 16,95 €)

En podcast sur RCF Loiret (écoutez un extrait à 3:25)

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