Martine Pouchain appartient à cette classe d’écrivains qui, au fil de leurs livres, ont peu à peu contribué à étendre le domaine de la littérature jeunesse, au risque parfois d’en franchir des limites on ne peut plus mouvantes.
La plupart des maisons d’édition pour la jeunesse, qu’elles soient spécialisées ou non, ont accompagné ce mouvement en publiant des textes qu’elles auraient renvoyés il y a vingt ans à la littérature dite générale. Mais la littérature jeunesse n’est-elle pas devenue, en raison de ce mouvement d’extension qui la travaille, celle qui incarne le mieux aujourd’hui la notion de littérature générale, la seule peut-être qui puisse revendiquer de s’adresser à tous, ainsi que le suggère Clémentine Beauvais dans son dernier essai, Écrire comme une abeille ? La nouvelle distinction à constater et au besoin à fonder n’est-elle pas désormais entre littérature générale et littératures de genre, segmentées par le marketing éditorial ?
Pour qui s’est fait une spécialité de ne parler que de littérature jeunesse, se pose en permanence la question de ces limites. Je dois avouer ici qu’en 2017, j’avais renoncé à présenter dans cette émission et sur mon blog un précédent livre de Martine Pouchain, Gloria, pourtant publié par le même éditeur, Sarbacane, l’un des maisons d’édition jeunesse qui a le plus accompagné cette extension, depuis sa création en 2003. D’instinct, j’avais « filtré » ce livre, que j’avais pourtant aimé en tant que lecteur adulte, en jugeant qu’il n’entrait pas dans la LJ. Sans doute faudrait-il que j’analyse cet instinct, quels critères conscients ou non j’avais appliqués. Je ne l’ai pas fait sur le moment.
Mais c’est sans hésitation que je vous présente aujourd’hui le nouveau livre de cette même autrice, La forêt pour te dire, tant il s’offre simultanément comme un authentique roman d’apprentissage et un conte d’avertissement, double matrice de ce qui constitue pour beaucoup d’observateurs l’essence de la littérature jeunesse.
Martine Pouchain a imaginé la rencontre au cœur d’une forêt entre une adolescente et un jeune homme, entre deux êtres empêchés par leurs passés respectifs et les épreuves qu’ils ont traversées, et qui vont se libérer peu à peu, l’un par l’autre, des entraves qui bloquaient leur envol dans la vie.
Louise vit avec sa mère Dolly. Elle n’a pas connu son père, qui s’est tué en moto un mois avant sa naissance. Depuis, Dolly veut oublier qu’elle est veuve et profite du temps qu’elle est belle pour enchaîner les relations plus ou moins heureuses. En conséquence de quoi, Louise s’accommode plus ou moins de ces « beaux-pères » qui se succèdent à la maison. Sa mère ne tire pas toujours le bon numéro. Le dernier, Benoît dit Ben va s’avérer franchement calamiteux, quand, après avoir multiplié les approches douteuses, il profite d’une absence de Dolly pour agresser sexuellement Louise. Quand Dolly refuse de croire sa fille, celle-ci fugue et commence une robinsonnade, camping sauvage en mode survivaliste. Comme atout, Louise est championne de tir à la fronde.
C’est d’ailleurs dans cet exercice que Paul la surprend un jour dans sa forêt, croyant voir, de loin, un jeune braconnier. Mû par la curiosité, Paul va revenir observer ce Robinson jusqu’à le rencontrer. De près, Paul continue à se méprendre sur son genre. Louise choisit par prudence de ne pas le détromper : « Je m’appelle Louis », lui affirme-t-elle.
Ces deux-là, mystérieusement, vont s’approcher, peu à peu. Paul ne se dévoile guère. Il est pour l’heure saisonnier agricole, oiseau sur la branche lui aussi, pour d’autres raisons que Louise. Une tragédie le hante depuis l’enfance, dont les fantômes peuplent la Faye, une propriété familiale de sa grand-mère Catherine, qui est son port d’attache entre deux boulots. Pour le plomber davantage, il vient de travailler dans un abattoir où il n’a pas pu tenir plus d’une semaine, au point d’en faire des cauchemars chaque nuit.
L’autrice nous en dit plus sur l’adolescente en nous autorisant à lire des fragments du journal intime de Louise. L’arrivée d’un automne un peu rude va secouer sérieusement la fugueuse et provoquer son rapprochement avec Paul et son retour à la civilisation.
Martine Pouchain prend son temps, son roman mûrit comme un vin nouveau, à coups d’avancées et d’analepses, et ses personnages se bonifient avec lui. Mis à l’épreuve de cette retenue romanesque, les corps et les cœurs de Paul et de Louise se découvrent lentement, s’impatientent aussi – surtout ceux de Louise - et nous suivons émerveillés leur éclosion, la montée du désir et la rédemption mutuelle de ces deux animaux farouches que la vie a blessés et que l’amour va guérir.
Pour écouter cette chronique (extrait lu à 04:22) :
La forêt pour te dire - Martine Pouchain - X' chez Sarbacane (323 pages, 17 €)