vendredi 27 janvier 2023

Toutes les princesses meurent après minuit


Prix spécial du grand jury jeunesse 2023
(Fauve d'Angoulême)

Vous vous souvenez peut-être de la pichenette que l’annonce de la mort de Lady Diana, le dimanche 31 août 1997, avait donnée au fabuleux destin d’Amélie Poulain ? Toutes les princesses meurent après minuit, le nouveau récit de l’auteur illustrateur Quentin Zuttion est situé entre le décès de la princesse et ses obsèques, le samedi suivant, moments d’émotion planétaire qui servent de toile de fond à une période pas tout à fait ordinaire de la vie d’une famille : papa, maman, Camille la grande sœur et Lulu le petit frère, qui vivent dans un confortable pavillon avec piscine. 

Au milieu de cette famille, Quentin Zuttion a planté Yoyo, le meilleur ami de Lulu, qui va entrer au collège, alors que Lulu n’a que 8 ans. Au seuil de cette nouvelle année scolaire, c’est donc une séparation qui se profile pour les deux garçons, comme si Yoyo, tout d’un coup, avait grandi plus vite que Lulu.

Pendant ces derniers jours de vacances, bien des choses vont se jouer au sein de la famille. Le père vient de découcher, il y a de l’eau dans le gaz du couple parental et là aussi un air de séparation qui s’annonce, aussi douloureuse qu’inévitable. Les enfants en devinent les signes avant-coureurs, ces petites anomalies qui se glissent dans les mots, les gestes, les silences d’une union qui se défait.

Pour Camille, c’est le temps de l’amour qui vient, de la première expérience sexuelle, peut-être. Un jeune homme, plus âgé qu’elle, vient la voir en catimini, se glisse chez elle par la fenêtre de sa chambre. Lulu épie, observe, et Camille incertaine d’elle et de ses sentiments, s’agace de ce petit frère espion.

Mais au centre, c’est l’amitié entre Lulu et son grand copain Yoyo, un blond aux yeux bleus que Zuttion a campé beau comme un jeune pâtre grec. Lulu va-t-il réussir à entraîner encore Yoyo dans ses jeux d’imagination, « on dirait que tu serais le prince et moi la princesse », ou bien ce temps-là d'enfance est-il lui aussi révolu et Lulu devra-t-il noyer définitivement ses Barbies dans sa piscine ?

Notre auteur-illustrateur conduit d’une main sûre cette chronique désenchantée, dans l’ambiance solaire et douce-amère de cette fin d’été endeuillée. Le soleil combat comme il peut la tristesse et le mal-être des uns et des autres. Chaque planche est magnifique, jours et nuits se succèdent, dévoilant la belle incertitude des sentiments, ceux qui s’éveillent et ceux qui meurent, ceux qui se cherchent et ceux qui vont peut-être se trouver, sur cette carte du tendre chahutée par la vie, parfois brutale.

Pour écouter cette chronique (02:36) :


Toutes les princesses meurent après minuit est une BD écrite et dessinée par Quentin Zuttion, éditée par Le Lombard (152 pages, 20,50 €)


vendredi 20 janvier 2023

Derrière le rideau



Nous sommes quelque part en Provence, en 1937. Yaël vient d'avoir 8 ans et ses parents ont organisé une réception en son honneur. C'est elle qui raconte et qui nous présente sa famille. Ses grands-parents maternels sont là aussi, alors qu'on ne les voit pas souvent. Il faut dire qu'entre eux, ils appellent leur gendre "le goy", un surnom que Yaël saisit au vol et dont elle ignore le sens. Elle l'apprendra en questionnant sa mère quelque temps après. Mais c'est un autre secret, d'alcôve celui-là, qu'elle devine ce même jour au cours d'une partie de cache-cache dans la maison avec Émilie sa sœur et Julien son cousin : elle surprend son père caché, avec une jeune femme blonde, derrière le rideau de la chambre d'amis, ce rideau qui donne son nom à cette bande dessinée écrite et illustrée par Sara del Giudice.

Et le temps passe, inexorablement. 1938, la mère meurt, 1939 le père se remarie avec Ophélie, qui n'est autre que la blonde que Yaël a entrevue deux années auparavant. Mais surtout, pour nous qui savons l'Histoire, un compte à rebours s'est déclenché et la guerre approche à l'insu de Yaël et de sa sœur Émilie.

L'autrice-illustratrice nous conte alors l'impact de la guerre sur la vie familiale, vu par une enfant qui découvre peu à peu sa judéité à travers les persécutions dont vont être victimes tous les Juifs de France. Le père est mobilisé puis revient, mais paraît aussi défait que la France vient de l'être. Puis un jour, alors qu'il s'est absenté, des gendarmes se présentent à son domicile. C'est Mme Simon, la fidèle gouvernante, qui les reçoit. Yaël a l'idée de se cacher avec sa sœur derrière le fameux rideau de la chambre d'amis. Seront-elles découvertes par les gendarmes venus les arrêter ?

Cette BD de Sara del Giudice, qui expose à nouveau ce moment tragique pour l'humanité et pour notre pays, sans pathos inutile, est exceptionnellement maîtrisée pour une première œuvre. Le dessin, clair et délicat, s'est mis à hauteur d'enfant, comme le récit. Les couleurs, aux dominantes sépia, renvoient avec mélancolie à ce temps pas si lointain qu'il faut continuer à raconter, inlassablement, aux jeunes générations. C'est sans doute pour celles-ci que l'autrice a ajouté un dossier d'une dizaine de pages, qui restitue le contexte de cette histoire particulière prise dans l'Histoire de France.

Il y a beaucoup de belles scènes où la jeune Yaël interroge le monde des adultes du haut de son enfance. J'en retiens une, un ultime dialogue avec sa mère. C'est Yaël qui est venue l'interroger dans sa chambre :

- Maman, tu ressens de la nostalgie pour ton avenir ?

Sa mère la reprend :

- Mais, ma chérie, la nostalgie, c'est un sentiment qu'on éprouve envers quelque chose de passé.

Yaël argumente avec l'inconsciente cruauté des enfants :

- Je pensais que c'était ce qu'on éprouve en songeant à quelque chose qu'on n'a plus.

Sa mère se rend alors à la définition de sa fille :

- Eh bien, si c'est comme ça, oui, j'éprouve de la nostalgie pour mon avenir.

Pour écouter cette chronique :



Derrière le rideau - Sara del Giudice - BD traduite de l'italien par Miriam Papo - Dargaud (140 pages, 19 €) 

vendredi 13 janvier 2023

Griffes

 

 


L'assassinat brutal de Vienna Apley, trois ans après celui de son frère, le juge Benedict Apley, provoque une vive émotion à Morgan's Moor, une bourgade du Northumberland anglais. Mais alors que le meurtrier du juge avait été rapidement identifié, jugé et pendu, le Chief constable George s'avère incapable de déterminer quelle arme a tué Mrs Apley, dans quelles circonstances le meurtre a été commis et surtout par qui. 

Le superintendant Linwood Tanybwlch et son jeune collaborateur Pitchum Daybright, fraichement émoulu de la Royal School of Studies in Criminology sont appelés en renfort depuis Londres, puisqu'ils travaillent tous les deux dans le Service des dossiers insolites et des intrigues non conventionnelles. À l'évidence, ce qui s'apparente à une nouvelle énigme de chambre close est faite pour eux.

Quand ils débarquent à Morgan's Moor en plein hiver pour mener l'enquête, ils croisent une intrépide patineuse, Flannery Cheviot, la fille des aubergistes, qui n'a pas la langue dans sa poche. Ni ses yeux d'ailleurs, qu'elle ne manque pas de braquer de façon fort peu discrète sur Pitchum, ce beau rouquin qui rougit pour un oui ou pour un non et dont elle décide d'emblée de raccourcir le prénom. Ce sera "Pitch" et cette familiarité déplaira longtemps au jeune policier. Nonobstant, Flannery  va devenir une auxiliaire aussi efficace qu'intempestive des deux enquêteurs, car elle laisse aussi traîner ses oreilles quand elle sert clients et clientes de l'auberge familiale.

Ce nouveau livre de Malika Ferdjoukh nous transporte aux confins de l'Angleterre, non loin de l'Écosse, pour nous plonger dans une intrigue policière à la complexité diabolique. S'il est question de griffes, c'est que la blessure mortelle au cou infligée au juge Apley, l'avait été par la prothèse du manchot Horton Palance, qui a été confondu sans peine par les enquêteurs. Mais la mort de Vienna Apley complique les choses et deux autres décès vont faire remonter à la surface quelques vieux secrets qui travaillaient le village depuis longtemps. Le prologue du roman en donne un aperçu.

Ce grand et beau livre, plein d'humour et d'amour mais aussi de scènes nocturnes particulièrement glaciales et effrayantes, est richement écrit et dialogué. Ses quelque 400 pages, émaillées de clins d'œil à Jane Austen ou Charles Dickens, se dégustent comme une délicate pâtisserie anglaise : avec lenteur et gourmandise, au-dessus d'un thé fumant. Et n'oubliez pas votre plaid, l'hiver est rude, là-haut !

Écouter cette chronique (extrait lu à 02:34 ) :



Griffes - Malika Ferdjoukh - Medium de l'école des loisirs - 2022 (439 pages, 17 €)


Les étincelles invisibles

  Nous sommes à Juniper, un petit village écossais proche d’Edimbourg. Adeline, dite Addie, a 11 ans et deux sœurs jumelles plus grandes, Ni...