vendredi 20 décembre 2019

Nous sommes l'étincelle



Où va l’avenir ? Va-t-il durer longtemps ? Que faire pour lui, pour nous ? Ces questions, les réponses plus ou moins réjouissantes qu’elles suscitent aujourd’hui de la part des futurologues de tout poil ont engendré depuis fort longtemps une littérature d’anticipation qui connaît un regain depuis que les perspectives d’évolution du climat dessinent, à un horizon plus moins proche, une catastrophe majeure qui pourrait engloutir tout ou partie de l’humanité. Les Anglo-saxons, toujours avides d’acronymes ont même inventé « clifi », pour « climate fiction », fiction climatique souvent plus vraie que nature.

La jeunesse étant concernée au premier chef par l’avenir, comme disait M. de la Palice, il n’est pas étonnant que de nombreuses autrices et auteurs pour la jeunesse se soient emparés du sujet. Les dystopies fleurissent donc dans toutes les maisons d’édition. Mais comme, Dieu merci, on est en jeunesse, les auteurices s’efforcent le plus souvent de ne pas « désespérer Billancourt » ni leur jeune public. Dans l’ensemble, le monde s’en sort, du moins les héroïnes et les héros qui se le coltinent, même s’ils y laissent des plumes.

Le nouveau roman de Vincent Villeminot s’appelle Nous sommes l’étincelle. Pour l’essentiel il se situe pendant quelques journées du mois de mai 2061. Les trois frère et sœurs que nous découvrons dans une scène bucolique d'ouverture, Dan, Judith et Montana vivent dans une réserve de la Grande Forêt, en Dordogne où ils semblent être revenus à l’état de nature, Montana la sœur aînée pratiquant la pêche au harpon. 

L’originalité du roman de Villeminot, qui fera aussi sa complexité pour un jeune lecteur, c’est de nous promener entre trois périodes, 2022, 2042 et 2061 pour nous faire saisir la généalogie des personnages et les évolutions, peu linéaires, de la société. Il situe en 2022, donc à un moment très proche de nous, la sécession d’une partie de la jeunesse, en écho au manifeste d’un jeune Anglais, Thomas F. qui l’invite à sortir de ce monde. Do Not Count on Us (Ne comptez pas sur nous), n’est pas un cri de rébellion mais la tranquille affirmation de toute une génération qui met la clé sous la porte pour partir vivre en petites communautés, dans la forêt, sans portables, sans carte bleue, sans argent. Pour tout réinventer en partant (presque) de zéro. Un Larzac de masse, cinquante ans après.

Cette nouvelle utopie va fleurir mais sera mise à mal au fil des années par des braconniers tout aussi organisés mais lourdement armés, des groupes d’humains revenus au cannibalisme, des commandos militaires chargés périodiquement de remettre de l’ordre dans ce monde parallèle. Le temps va passer et redistribuer les cartes entre les fondateurs de cette sécession, parfois morts tragiquement, ou qui auront pris des chemins de survie différents, et leurs descendants.


Vincent Villeminot nous promène avec virtuosité dans les différentes époques de son roman fleuve. Il nous fait frôler la nôtre, ce qui donne un crédit de vraisemblance supplémentaire à celles qu’il invente. Ses idéalistes ne sont pas naïfs : ils savent que le Mal rôde, frappe à l’improviste. Il a le visage de prédateurs échappés à la civilisation, de barbares de la forêt. Les trois enfants sauvages leur échapperont-ils ? Leurs parents réussiront-ils à les sauver ?

Écouter cette chronique (extrait lu à 3:20) :


Nous sommes l'étincelle - Vincent Villeminot - PKJ - 2019 (508 pages, 18,90 €)

vendredi 13 décembre 2019

Tuer Van Gogh

Dernier été à Auvers-sur-Oise




A l’été 1890, Vincent Van Gogh est à Auvers-sur-Oise à une trentaine de kilomètres de Paris. Il vient de passer deux années tumultueuses en Provence où il a frôlé la folie et a dû même être interné quelque temps. Il a trente-sept ans, il est dans une période de prodigieuse créativité, protégé par le Docteur Gachet qui veille sur lui à la demande de Théo, le frère de Vincent, galeriste à Paris. À Auvers, le peintre vit dans une petite pension de famille. Il ne sait pas qu’il vit là ses derniers jours.

Il rencontre deux jeunes frères, Gaston et René Secrétan, dont la fraternité rappelle peut-être à Vincent celle qui l’unit à Théo. Gaston a vingt ans, il dessine et peint, admire Vincent qui va le prendre sous son aile. René, obsédé par Buffalo Bill dont il a vu le Wild West Show à l’Exposition universelle, se prend pour une terreur de l’Ouest et, accompagné de sa bande, garçons et filles légères, tire à la carabine sur tout ce qui bouge. Sans doute est-il jaloux de l’ascendant que Vincent prend sur son frère, de l’admiration que celui-ci voue au peintre qui est au sommet de son art. Les deux garçons n’ont pas beaucoup de soucis d’argent, ce qui n’est pas le cas de Vincent, heureusement soutenu par Théo.

Dans son livre Tuer Van Gogh, Sophie Chérer reconstitue par la force de la fiction, l’été écourté de Vincent. En décrivant la relation qui se noue entre le maître et le disciple, l’autrice nous fait ressentir l’exigence artistique du premier qu’il essaie de transmettre au second, improvisé jeune élève. Vincent devine que Gaston est doué mais aussi qu’il est velléitaire, peu travailleur. Il sait que la force de l’art peut l'aspirer, comme il l’a été lui-même  mais que Gaston doit pour cela s’arracher aux facilités qui l’entravent, notamment à ce frère pas très intéressant qui tourne autour d’eux avec sa bande. Les filles ne sont pas les dernières à être fascinées par Vincent, le rouquin « au regard bleu, avec un rayon d’or au milieu ».

A chacun des chapitres de son livre, Sophie Chérer a donné le nom d’une couleur, d’une nuance de la palette explorée par elle pour nous faire entrer dans la tête du peintre. Car c’est bien un portrait de Van Gogh vivant pour créer que nous livre l’autrice, à l’image de l’Autoportrait au chapeau de paille qui sert de couverture à son livre. Ce faisant, elle délivre Vincent du mythe de l'artiste maudit qui a longtemps collé à « l'homme à l'oreille coupée ». Et c’est sans doute ce portrait-là, si lumineux, qui est plus important encore que le récit revisité des circonstances de la mort du peintre.

Car Tuer Van Gogh est aussi le résultat d'une enquête de l'autrice. Des études, des témoignages tardifs de René Secrétan, au bord de l’aveu, ont en effet remis en cause ces dernières années la thèse admise au départ du suicide de Vincent. Sophie Chérer, s’appuyant sur de solides archives qu’elle énumère en annexe à son livre, construit une histoire alternative des derniers jours du peintre, donnant à son enquête les teintes convaincantes du vraisemblable.

Écouter cette chronique (extrait lu à 3:07) :

 Tuer Van Gogh - Sophie Chérer - l'école des loisirs (271 pages, 15,50 €)

vendredi 6 décembre 2019

Sans foi ni loi



Pépite d'Or 2019 (#SLPJ93)

Quand il a vu Abigail Stenson, Garett n’a pas compris tout de suite que c’était une femme. C’est plutôt quand elle l’a saisi par le col d’une poigne de fer et qu’elle lui a appliqué un canon de fusil entre les deux omoplates qu’il a senti qu’elle avait des arguments bien à elle pour le convaincre de la suivre.

Sans foi ni loi commence par l’enlèvement mouvementé d’un ado par une hors-la-loi qui vient de faire un casse en tuant un employé et qui veut protéger sa fuite. Jusqu’où ? Garett va devoir apprivoiser la dame pour en apprendre plus.

Marion Brunet a fait écrire à son jeune héros un récit tendu de bout en bout. Avec Sans foi ni loi, c’est le western qui s’invite en littérature jeunesse. Chevauchées et fusillades, grands espaces et bagarres de saloon, piano-bar et danseuses, gros durs et filles faciles, tous les codes du genre sont réunis pour recomposer le décor familier des films dont l'Amérique nous a abreuvés avant que le western-spaghetti ne prenne le relais.

Sauf que l'autrice tord résolument le cou à quelques poncifs. Le hors-la-loi est ici, on l'a compris, une femme qui a tous les attributs d'un cow-boy. Mauvais genre, donc. Bête sauvage, pour le marshal qui la poursuit. L'ado qui étouffe gentiment sous la férule d'un père brutal et néanmoins pasteur trouve finalement dans la cavale où il est entraîné une voie d'émancipation inespérée. Il deviendra un homme grâce à Ab, cette femme improbable et imprévisible, dont la trajectoire dramatique l'aura effleuré telle une comète brûlante et glacée. Grâce à d'autres jeunes femmes qui l'initieront à ce que tout adolescent doit découvrir tôt ou tard. Grâce aux amitiés aussi qu'il nouera en chemin. Au final, Garett aura su rembourser aux moments opportuns toutes ses dettes vitales, d’un courage à chaque fois fraîchement conquis.

Roman d’apprentissage, Sans foi ni loi est un livre âpre et chaleureux, qui démasque la morale puritaine d'un monde violent au profit d'une éthique de la vie, généreuse et tragique.

Écouter cette chronique (extrait lu à 2:11) :

Sans foi ni loi - Marion Brunet - PKJ - 2019 (222 pages, 16,90 €)

PS (28/11/19) : Quand cette chronique a été enregistrée, Marion Brunet n'avait pas encore reçu sa "Pépite d'or" au Salon de la littérature et de la presse jeunesse (SLPJ) de Montreuil. Bravo à elle !


Les étincelles invisibles

  Nous sommes à Juniper, un petit village écossais proche d’Edimbourg. Adeline, dite Addie, a 11 ans et deux sœurs jumelles plus grandes, Ni...