vendredi 20 décembre 2019

Nous sommes l'étincelle



Où va l’avenir ? Va-t-il durer longtemps ? Que faire pour lui, pour nous ? Ces questions, les réponses plus ou moins réjouissantes qu’elles suscitent aujourd’hui de la part des futurologues de tout poil ont engendré depuis fort longtemps une littérature d’anticipation qui connaît un regain depuis que les perspectives d’évolution du climat dessinent, à un horizon plus moins proche, une catastrophe majeure qui pourrait engloutir tout ou partie de l’humanité. Les Anglo-saxons, toujours avides d’acronymes ont même inventé « clifi », pour « climate fiction », fiction climatique souvent plus vraie que nature.

La jeunesse étant concernée au premier chef par l’avenir, comme disait M. de la Palice, il n’est pas étonnant que de nombreuses autrices et auteurs pour la jeunesse se soient emparés du sujet. Les dystopies fleurissent donc dans toutes les maisons d’édition. Mais comme, Dieu merci, on est en jeunesse, les auteurices s’efforcent le plus souvent de ne pas « désespérer Billancourt » ni leur jeune public. Dans l’ensemble, le monde s’en sort, du moins les héroïnes et les héros qui se le coltinent, même s’ils y laissent des plumes.

Le nouveau roman de Vincent Villeminot s’appelle Nous sommes l’étincelle. Pour l’essentiel il se situe pendant quelques journées du mois de mai 2061. Les trois frère et sœurs que nous découvrons dans une scène bucolique d'ouverture, Dan, Judith et Montana vivent dans une réserve de la Grande Forêt, en Dordogne où ils semblent être revenus à l’état de nature, Montana la sœur aînée pratiquant la pêche au harpon. 

L’originalité du roman de Villeminot, qui fera aussi sa complexité pour un jeune lecteur, c’est de nous promener entre trois périodes, 2022, 2042 et 2061 pour nous faire saisir la généalogie des personnages et les évolutions, peu linéaires, de la société. Il situe en 2022, donc à un moment très proche de nous, la sécession d’une partie de la jeunesse, en écho au manifeste d’un jeune Anglais, Thomas F. qui l’invite à sortir de ce monde. Do Not Count on Us (Ne comptez pas sur nous), n’est pas un cri de rébellion mais la tranquille affirmation de toute une génération qui met la clé sous la porte pour partir vivre en petites communautés, dans la forêt, sans portables, sans carte bleue, sans argent. Pour tout réinventer en partant (presque) de zéro. Un Larzac de masse, cinquante ans après.

Cette nouvelle utopie va fleurir mais sera mise à mal au fil des années par des braconniers tout aussi organisés mais lourdement armés, des groupes d’humains revenus au cannibalisme, des commandos militaires chargés périodiquement de remettre de l’ordre dans ce monde parallèle. Le temps va passer et redistribuer les cartes entre les fondateurs de cette sécession, parfois morts tragiquement, ou qui auront pris des chemins de survie différents, et leurs descendants.


Vincent Villeminot nous promène avec virtuosité dans les différentes époques de son roman fleuve. Il nous fait frôler la nôtre, ce qui donne un crédit de vraisemblance supplémentaire à celles qu’il invente. Ses idéalistes ne sont pas naïfs : ils savent que le Mal rôde, frappe à l’improviste. Il a le visage de prédateurs échappés à la civilisation, de barbares de la forêt. Les trois enfants sauvages leur échapperont-ils ? Leurs parents réussiront-ils à les sauver ?

Écouter cette chronique (extrait lu à 3:20) :


Nous sommes l'étincelle - Vincent Villeminot - PKJ - 2019 (508 pages, 18,90 €)

vendredi 13 décembre 2019

Tuer Van Gogh

Dernier été à Auvers-sur-Oise




A l’été 1890, Vincent Van Gogh est à Auvers-sur-Oise à une trentaine de kilomètres de Paris. Il vient de passer deux années tumultueuses en Provence où il a frôlé la folie et a dû même être interné quelque temps. Il a trente-sept ans, il est dans une période de prodigieuse créativité, protégé par le Docteur Gachet qui veille sur lui à la demande de Théo, le frère de Vincent, galeriste à Paris. À Auvers, le peintre vit dans une petite pension de famille. Il ne sait pas qu’il vit là ses derniers jours.

Il rencontre deux jeunes frères, Gaston et René Secrétan, dont la fraternité rappelle peut-être à Vincent celle qui l’unit à Théo. Gaston a vingt ans, il dessine et peint, admire Vincent qui va le prendre sous son aile. René, obsédé par Buffalo Bill dont il a vu le Wild West Show à l’Exposition universelle, se prend pour une terreur de l’Ouest et, accompagné de sa bande, garçons et filles légères, tire à la carabine sur tout ce qui bouge. Sans doute est-il jaloux de l’ascendant que Vincent prend sur son frère, de l’admiration que celui-ci voue au peintre qui est au sommet de son art. Les deux garçons n’ont pas beaucoup de soucis d’argent, ce qui n’est pas le cas de Vincent, heureusement soutenu par Théo.

Dans son livre Tuer Van Gogh, Sophie Chérer reconstitue par la force de la fiction, l’été écourté de Vincent. En décrivant la relation qui se noue entre le maître et le disciple, l’autrice nous fait ressentir l’exigence artistique du premier qu’il essaie de transmettre au second, improvisé jeune élève. Vincent devine que Gaston est doué mais aussi qu’il est velléitaire, peu travailleur. Il sait que la force de l’art peut l'aspirer, comme il l’a été lui-même  mais que Gaston doit pour cela s’arracher aux facilités qui l’entravent, notamment à ce frère pas très intéressant qui tourne autour d’eux avec sa bande. Les filles ne sont pas les dernières à être fascinées par Vincent, le rouquin « au regard bleu, avec un rayon d’or au milieu ».

A chacun des chapitres de son livre, Sophie Chérer a donné le nom d’une couleur, d’une nuance de la palette explorée par elle pour nous faire entrer dans la tête du peintre. Car c’est bien un portrait de Van Gogh vivant pour créer que nous livre l’autrice, à l’image de l’Autoportrait au chapeau de paille qui sert de couverture à son livre. Ce faisant, elle délivre Vincent du mythe de l'artiste maudit qui a longtemps collé à « l'homme à l'oreille coupée ». Et c’est sans doute ce portrait-là, si lumineux, qui est plus important encore que le récit revisité des circonstances de la mort du peintre.

Car Tuer Van Gogh est aussi le résultat d'une enquête de l'autrice. Des études, des témoignages tardifs de René Secrétan, au bord de l’aveu, ont en effet remis en cause ces dernières années la thèse admise au départ du suicide de Vincent. Sophie Chérer, s’appuyant sur de solides archives qu’elle énumère en annexe à son livre, construit une histoire alternative des derniers jours du peintre, donnant à son enquête les teintes convaincantes du vraisemblable.

Écouter cette chronique (extrait lu à 3:07) :

 Tuer Van Gogh - Sophie Chérer - l'école des loisirs (271 pages, 15,50 €)

vendredi 6 décembre 2019

Sans foi ni loi



Pépite d'Or 2019 (#SLPJ93)

Quand il a vu Abigail Stenson, Garett n’a pas compris tout de suite que c’était une femme. C’est plutôt quand elle l’a saisi par le col d’une poigne de fer et qu’elle lui a appliqué un canon de fusil entre les deux omoplates qu’il a senti qu’elle avait des arguments bien à elle pour le convaincre de la suivre.

Sans foi ni loi commence par l’enlèvement mouvementé d’un ado par une hors-la-loi qui vient de faire un casse en tuant un employé et qui veut protéger sa fuite. Jusqu’où ? Garett va devoir apprivoiser la dame pour en apprendre plus.

Marion Brunet a fait écrire à son jeune héros un récit tendu de bout en bout. Avec Sans foi ni loi, c’est le western qui s’invite en littérature jeunesse. Chevauchées et fusillades, grands espaces et bagarres de saloon, piano-bar et danseuses, gros durs et filles faciles, tous les codes du genre sont réunis pour recomposer le décor familier des films dont l'Amérique nous a abreuvés avant que le western-spaghetti ne prenne le relais.

Sauf que l'autrice tord résolument le cou à quelques poncifs. Le hors-la-loi est ici, on l'a compris, une femme qui a tous les attributs d'un cow-boy. Mauvais genre, donc. Bête sauvage, pour le marshal qui la poursuit. L'ado qui étouffe gentiment sous la férule d'un père brutal et néanmoins pasteur trouve finalement dans la cavale où il est entraîné une voie d'émancipation inespérée. Il deviendra un homme grâce à Ab, cette femme improbable et imprévisible, dont la trajectoire dramatique l'aura effleuré telle une comète brûlante et glacée. Grâce à d'autres jeunes femmes qui l'initieront à ce que tout adolescent doit découvrir tôt ou tard. Grâce aux amitiés aussi qu'il nouera en chemin. Au final, Garett aura su rembourser aux moments opportuns toutes ses dettes vitales, d’un courage à chaque fois fraîchement conquis.

Roman d’apprentissage, Sans foi ni loi est un livre âpre et chaleureux, qui démasque la morale puritaine d'un monde violent au profit d'une éthique de la vie, généreuse et tragique.

Écouter cette chronique (extrait lu à 2:11) :

Sans foi ni loi - Marion Brunet - PKJ - 2019 (222 pages, 16,90 €)

PS (28/11/19) : Quand cette chronique a été enregistrée, Marion Brunet n'avait pas encore reçu sa "Pépite d'or" au Salon de la littérature et de la presse jeunesse (SLPJ) de Montreuil. Bravo à elle !


vendredi 29 novembre 2019

Mais je suis un ours !




Comme dans la littérature générale, il y a des classiques dans la littérature pour la jeunesse, qui sont, pour cette raison, périodiquement réédités. C’est le cas du livre de l’écrivain américain Frank Tashlin, Mais je suis un ours ! Publié pour la première fois aux Etats-Unis en 1946, il a dû attendre 1975 pour être traduit à l’école des loisirs, qui le republie ces jours-ci au format poche.

C’est peu de dire que ce petit livre tombe à pic en ces temps de crise d’identité. Car il nous conte, de façon à la fois comique et inquiétante, l’angoisse identitaire d’un ours qui, au sortir de l’hibernation, se trouve brutalement propulsé au cœur d’une entreprise hautement industrielle et hiérarchisée.

À chaque étape de son embrigadement dans la civilisation humaine, notre ours a beau protester de sa nature d’ursidé, protestation qui donne son titre au livre, il lui est opposé à chaque fois qu’à l’évidence, il n’est pas un ours mais - je cite - « un imbécile qui a besoin de se raser et qui porte un manteau de fourrure ».

Le petit lecteur est d’emblée du côté de l’ours, puisque le dessin de Frank Tashlin démontre à l’évidence sa bonne foi. Il est bien un ours, et les imbéciles sont tous ceux qui, dans l’histoire, en doutent de plus en plus furieusement. Le coup de grâce lui sera donné par ses propres congénères ! C’est donc un ours bien déboussolé qui va retrouver sa forêt lorsque l’usine où il a perdu sa vie le licencie. Y retrouvera-t-il ses repères ?

Mais je suis un ours ! fait rire petits et grands. Lu à voix haute, son comique de répétition est des plus efficaces. Il y aussi un note de surréalisme ou de 'nonsense' dans ce récit qui plaira aux plus âgés, qui pourront y lire aussi une allégorie du conflit de longue durée entre les êtres humains et la nature.

Écouter cette chronique (extrait lu à 1:55) :

Mais je suis un ours ! – Frank Tashlin – traduit de l’anglais par Adolphe Chagot – Mouche de l’école des loisirs – 1975, 2019 (7,90 €) À partir de 7 ans.



vendredi 22 novembre 2019

Vampyre




C’est au mitan des années soixante-dix que le mythe du vampire, créé par Bram Stoker et son Dracula, paru en 1897, a été revisité par Anne Rice avec son livre Entretien avec un vampire. Depuis, la figure de ce prédateur sanglant a été diversement déclinée, notamment par Stephenie Meyer et sa série Twilight, romance à crocs. Dans son nouveau roman, intitulé Vampyre, Lorris Murail, met en scène un avatar de ces étranges créatures, qui errent parmi la faune nocturne de New-York et de ses bas-fonds.

Avatar car il y a vampire et vampyre… Le vampyre de Murail est habillé d’un i grec. Il ne se nourrit pas du sang de ses contemporains mais de leur énergie vitale, qu’il aspire par des procédés qui ne doivent pas grand chose à sa paire de canines ou à sa cape noire.

A l’approche d’Halloween, Mia et Janet, deux adolescentes, entrent dans une boutique de déguisements. Elles n’y achètent que des bricoles mais trouvent, par terre un pendentif, une ânkh, une croix égyptienne, qu’elles ramassent discrètement – croient-elles – avant de s’éclipser de la boutique, sans en dire un mot au patron qui n’a rien vu – pensent-elles.

Cette croix va entraîner Mia dans une fête un peu spéciale où Terry, un camarade de classe tout aussi spécial, la dépose. Un homme d’âge mûr est attiré par cette jeune fille mineure qui ne devrait pas être là et quand elle sort, il la suit et met en fuite son agresseur. Fort de cet avantage, PhaX, c’est son nom, va inviter Mia dans son quatorzième étage et Mia, contre toute prudence, va accepter cette invitation.

Quand Mia disparaît, c’est son professeur de littérature, Aurélien Langford qui s’inquiète et mène l’enquête avec le fameux Terry, un garçon surdoué qui a une case en moins, celle peut-être avec laquelle il pourrait aimer Mia. En apparence, cette case vide ne parvient pas à perturber un esprit aussi logique que naïf, qui s’avèrera précieux autant pour Aurélien que pour Mia.

Lorris Murail est un auteur confortable. Je veux suggérer par là que ses romans se dégustent calmement, comme un cognac que l’on a chauffé lentement dans le creux de la main, assis dans un profond fauteuil de cuir, devant une belle flambée. Gorgée par gorgée, pourtant, un autre feu vous gagne, intérieur, auquel vous ne vous attendiez pas forcément. 

Dans Vampyre, il y a des miniatures et des grandes fresques, des expériences de pensée intimes et des scènes brutales, de la nature dans la ville et des tornades, un dilemme du tramway, un père explorateur, spécialiste des chauves-souris mais inquiet comme n’importe quel père, un professeur non conformiste, un genre d’autiste surdoué, des filles qui ne vont pas s’empêcher de vivre au motif que ça pourrait devenir dangereux. C'est tantôt drôle, tantôt sombre. Au bal des ombres, Lorris Murail mène la danse. Quand les lumières vont-elles se rallumer ?

Écouter cette chronique  (extrait lu à 2:60)



Vampyre - Lorris Murail - PKJ - 2019 (366 pages, 17,90 €)


vendredi 15 novembre 2019

Lou après tout - II. La communauté



C’est une Lou épuisée qui est parvenue au bord de la mer. Assise en tailleur sur le sable, la jeune guerrière a disposé autour d’elle les armes qui l’ont protégée jusqu’ici et c’est comme si elle les rendait, pour s’offrir à la mort-délivrance. Aboutir à cette plage, c’était pour elle entretenir et honorer la mémoire de Guillaume. Chaque combat qu’elle a mené pour y parvenir, chaque péril qu’elle a surmonté, elle l’a fait, soutenue par le souvenir du jeune homme qui l’avait sauvée, enfant, de la mort mais n’a pas su se sauver lui-même. Guillaume a laissé derrière lui une adolescente endurcie et aguerrie mais solitaire, avec pour tout viatique un carnet de poèmes et des vers d’Apollinaire.

Son chemin pourrait s’arrêter là si elle n’était l’héroïne de la trilogie créée par Jérôme Leroy, dont le deuxième volet, sous-titré La communauté, s’ouvre sur ce qui ressemble pour Lou à la fin de son errance. Alors que les Bougeurs, sortes de morts-vivants, l’entourent et s’apprêtent à la contaminer et à l’absorber dans leur terrible démence, trois garçons, qui avaient repéré Lou et l’observaient cachés les dunes, se portent à son secours et l’arrachent in extremis à l’horreur.

C’est ainsi que Lou fait connaissance avec Amir, Oscar et Roman qui vont l’introduire chez les Wims, une communauté qui, non loin de là, s’est solidement retranchée et organisée autour d’un homme charismatique et autoritaire, Michel Sanders, qui porte le titre de Délégué.

Dans Le grand effondrement, l’épisode précédent, nous avions laissé Lou s‘enfoncer dans un paysage de neige, alors qu’elle venait de quitter la villa Yourcenar, désespérée par la mort de Guillaume. Après nous avoir fait revivre sa longue marche vers la côte, périlleuse, au milieu des Bougeurs, des Cybs et des pillards de toutes sortes, Jérôme Leroy nous entraîne avec ses nouveaux compagnons à la découverte des Wims qui ont su rebâtir une micro-société dont la devise est « Nous reconstruirons dans la fraternité ».

Est-ce que Lou la solitaire va réussir à s’intégrer ? La classe des Guerriers n’admet pas les femmes en son sein, mais Lou va rapidement faire ses preuves et s’y faire admettre. Pourtant, un autre péril va bientôt la menacer quand elle tombe amoureuse d’Amir, l’un des trois garçons qui l’ont sauvée, car elle contrarie  alors les visées qu’avait sur elle le Délégué. Sera-t-elle de taille à faire valoir ses sentiments face à celui qui va se révéler être un implacable tyran ?

Ce second volet tient les promesses du premier. Au fil de péripéties haletantes dans un univers déglingué, Lou devient une jeune femme dans la plénitude de ses moyens et nous suivons son évolution dans le monde tourmenté et dangereux d’après le Grand Effondrement. Lou se reconstruit comme la Communauté des Wims s’est reconstruite. Et elle n’est plus seule.

Écouter cette chronique ( extrait lu à 2:40) :

Lou après tout – II. La communauté – Jérôme Leroy – 2019 – Syros (422 pages, 17,95  €)

vendredi 8 novembre 2019

Le voyage d'Ulysse



La mythologie grecque, largement reprise par les Latins fait partie du patrimoine littéraire de l'humanité. Les grands récits d'Homère que sont l'Iliade et l'Odyssée ont fait l'objet de nombreuses adaptations au long des siècles pour les rendre accessibles au plus grand nombre, délivrés des inévitables lourdeurs du texte original. Parmi ces différentes versions, il en est une particulièrement  pertinente, celle de l'Odyssée revue par Lorris Murail et publiée en 2005 chez Pocket Junior sous le titre le plus explicite qui soit : Le voyage d'Ulysse. Maintes fois rééditée depuis, elle fournit au public scolaire et aux enseignants – à vrai dire à quiconque voudrait découvrir les aventures d’Ulysse - l'outil idéal pour aborder sans peine ni douleur ce monument des Lettres classiques. 

De ce point de vue – simplification, lisibilité- il s'est avéré particulièrement judicieux de confier ce travail d'adaptation à un écrivain pour la jeunesse chevronné qui a su transformer cette formidable épopée en un roman d'apprentissage aux multiples rebondissements et aux tonalités  fantastiques, matrice de bien des littératures contemporaines qui l’égalent rarement.

On sait que les Grecs ont vaincu les Troyens et que leur victoire est due à la ruse d’Ulysse et à son fameux cheval (de Troie). C’est ce que raconte l’Iliade. Ulysse aurait dû revenir chez lui en vainqueur sur l’île d’Ithaque où l’attendent sa femme Pénélope et leur fils Télémaque. Au lieu de cela, il va errer pendant des années dans la Méditerranée, tantôt retenu par une nymphe ou la fille d’un dieu, tantôt bousculé par Poséidon, le dieu de la mer. Aux écueils naturels de toute navigation, s’ajoutent en effet toutes sortes de bonnes et mauvaises rencontres dont l’équipage d’Ulysse fait souvent les frais, tantôt dévoré par le Cyclope Polyphème, tantôt transformé en cochons par Circé la magicienne. Dans son malheur, Ulysse est heureusement épaulé par Athéna, la fille de Zeus, qui lui est d’une fidélité inébranlable et l’aidera à plusieurs reprises à se tirer d’un mauvais pas.

Je ne vous en dis pas plus et vous laisse en compagnie d’Ulysse qui vous conte sa terrible rencontre avec Polyphème, le fils de Poséidon, celui qu’on surnomme le Cyclope, un géant pourvu d’un œil unique au milieu du front.

Écouter cette chronique (extrait lu à 2:24) :


Le voyage d’Ulysse
 – Lorris Murail – PKJ (174 pages, 6,95 €) à partir de 11 ans.
 




vendredi 25 octobre 2019

Je m'appelle Maryam



On connaît la série des albums pour tout-petits écrits par Carl Norac et illustrés par Claude K. Dubois dont le plus fameux est sans doute Les mots doux. L’illustratrice belge met cette fois-ci son talent au service de Maryam Madjidi, une autrice iranienne qui a quitté son pays à l’âge de 6 ans pour venir vivre en France.

Maryam se souvient de Maryam et du jour où ses parents lui ont annoncé qu’ils devaient quitter leur pays. Et surtout du jour où sa maman lui a dit : « On ne peut pas emporter tes jouets avec nous. Tu vas les donner aux enfants qui jouent dans notre rue ». Jusqu’à son départ, Maryam va apprendre à se dessaisir de ses poupées en leur racontant une dernière histoire, avant de les confier une à une aux enfants qui ont la chance, eux, de pouvoir rester.

Maryam Madjidi raconte l’arrivée en France, sans jouets. Maryam ne joue plus. Dans sa tête deux langues se bousculent, la langue d’Ici et la langue de ce qui est devenu Là-bas, la langue de l’école et celle qu’on parle encore en famille. Maryam ne parle plus. Et à la cantine, déroutée par les mets étranges qu’on lui présente, Maryam ne mange plus.

L’autrice raconte à hauteur de l’enfant qu’elle a été les étapes de son adaptation, comme autant d’arrachements et de conquêtes silencieuses. Et comme tout vient de l’autre, c’est une petite fille qui va réintégrer Maryam dans le cercle magique des jeux, de la parole et de la nourriture, en une seule question, qu’elle devra poser trois fois : « Comment tu t’appelles ? ». De ce jour, Maryam ne sera plus seule.

Maryam Madjidi conduit son récit de migration et d’intégration sans pathos et Claude K. Dubois l’illustre à l’unisson, effleurant cette histoire d’une main sûre et légère.

Écouter cette chronique (extrait lu à 2:00) :





Je m’appelle Maryam – Maryam Madjidi, illustré par Claude K. Dubois – Mouche de l’école des loisirs – 2019 (47 pages, 6,50 €). À partir de 6 ans.

vendredi 18 octobre 2019

Les loups du clair de lune


Voulez-vous partir au « Bout du monde » ? Oui ? Alors suivez-Hannah qui vient de monter dans le 4 X 4 brinquebalant de sa grand-mère. Au bout de la piste défoncée où celle-ci a engagé son Toyota, alors qu’il fait presque nuit, Wildy, le chien de Grandma fait la fête à Hannah et la chouette aboyeuse qui s’est installée près de la maison lance ses houaaaf-houaaaf nocturnes, comme pour saluer le retour de la jeune vacancière.

Après Un temps de chien dans l’Amérique des ouragans, Xavier-Laurent Petit nous conte, avec Les loups du clair de lune, une autre de ses Histoires naturelles. Cette fois-ci, nous partons en Tasmanie, la grande île au sud-est de l’Australie. La grand-mère d’Hannah n’est pas de tout repos et elle va l’entraîner dans une de ces aventures dont elle a le secret. Pour le moment, le secret en question n’est qu’une touffe de poils conservée dans un tube à essai, soigneusement caché comme un trésor derrière une rangée de livres. Poils mystère d’un animal inconnu, même si Grandma a sa petite idée, qu’elle ne veut pas confier à sa petite-fille dès le premier soir. 

Le lendemain matin, c’est déjà le départ pour une exploration fiévreuse dont seule Grandma connaît le but. Pour l’atteindre il va falloir rouler un certain temps, mais surtout marcher bien plus encore, dans la chaleur étouffante et le vacarme étourdissant des cigales. Hannah trotte à grand peine derrière Grandma, qui semble infatigable mais va brusquement donner d’inquiétants signes de faiblesse… Encore un secret à garder pour Hannah, bien plus angoissant que le précédent. Mais surtout, que vont-elles trouver toutes les deux au bout de leur route, si elles parviennent à son terme sans se perdre ni défaillir à nouveau ?

En cette période de fumées noires, de pluies acides et de décomposition du monde, Xavier-Laurent Petit nous entraîne en pleine nature, une nature aride mais pleinement préservée qu’il fait bon de retrouver loin de tout, le temps d’un livre. Le secret de Grandma ? Elle n’est malheureusement pas la seule à le détenir, elle va vite s’en apercevoir. Les vacances d’Hannah vont donc s’avérer bien plus mouvementées que prévu quand le récit va s’emballer et ne plus laisser de répit au lecteur, fusil au poing et cœur battant.

Écouter cette chronique (extrait lu à 2:15) :



Les loups du clair de lune (sous-titré Histoires naturelles) – Xavier-Laurent Petit – illustré par Amandine Delaunay – 2019 – Neuf de l’école des loisirs (181 pages, 12,00 €). À partir de 8 ans.

vendredi 11 octobre 2019

Éden

couverture : Séverin Millet

Ruby a tout pour être heureuse. Une gentille famille, une amie surdouée, Lou, une classe de 4ème pas pire qu’une autre, un bel appareil qui va lui aligner les quenottes. Mais Ruby a treize ans et elle s’ennuie. Et puis, le tableau n’est pas si idyllique. Elle doit partager sa chambre avec sa petite sœur qui lui pompe l’air plus qu’à son tour, son amie Lou est trop riche et trop parfaite, les garçons de sa classe sont de gros lourdingues bourrés d’acné et la bienveillance de ses parents finit elle-même par être encombrante. Heureusement, elle peut s’isoler dans le petit cagibi qui jouxte sa chambre et rêver d’une autre vie.

Mais justement est-ce qu’elle rêve lorsqu’elle se trouve un jour subitement transportée dans un monde plus vrai que nature qu’elle va explorer à plusieurs reprises, au point qu’une nostalgie irrépressible et grandissante s’empare d’elle quand elle revient à sa vie réelle.

Ce qui lui arrive, elle ne peut le confier qu’à Lou. Si elle en parlait à ses parents, ils l’enverraient direct voir un psy. Car elle croit dur comme fer à la réalité de cet autre monde. Non, affirme-t-elle à Lou qui lui oppose ses arguments rationnels : je ne rêve pas, cette forêt est réelle, ce petit village médiéval je l’ai parcouru et surtout, ce garçon, Éden, eh bien oui, j’en suis tombée amoureuse. En fait, cet aveu, elle le retient même devant Lou, tant la nouveauté et la force de ce sentiment qui se lève en elle semblent menacées par l’intermittence des étranges voyages qui emmènent Ruby au-delà de ce monde-ci.

Dans son roman Éden, Rebecca Lighieri nous entraîne avec Ruby et nous fait croire autant qu’elle à ce monde alternatif si irrésistiblement séduisant, pur et champêtre comme un paradis originel. Est-ce vraiment dans un monde passé que Ruby se trouve projetée ? Pourrait-elle y rester définitivement si elle en émettait le désir ? Éden pourrait-il la garder auprès de lui ? De voyage en voyage, c’est une autre vérité, plus sombre, qui va s’imposer progressivement à Ruby.

Écouter cette chronique (extrait lu à 2:08) :




Éden
– Rebecca Lighieri – l’école des loisirs – 2019 (203 pages, 14,50 €)

vendredi 4 octobre 2019

1 million de vues





YouTube est devenu une bête monstrueuse, qui grossit chaque jour. Savez-vous que le numérique dans son ensemble est désormais responsable de 4% des émissions de CO2 à la surface de la planète, un volume supérieur aux émissions du transport civil aérien et équivalent à ce qu’émet un pays comme l’Espagne. Y pensez-vous quand vous regardez une vidéo de chaton ?

Mais il semble qu’il soit devenu essentiel de voir et surtout d’être vu et qu’on puisse même faire fortune à simplement s’exhiber, comme ce petit garçon américain qui passe sa vie à déballer des cadeaux devant une webcam qui déverse ses images directement dans YouTube.

C’est cette nouvelle économie du regard et du spectacle que Jeremy Behm a choisi d’explorer avec son dernier roman intitulé 1 million de vues. Jade, Connor, Dan, Axl et Nathan, soit une fille pour quatre garçons, sont tous des YouTubeurs débutants, avec quelques milliers d’abonnés. Lorsque Cameron Eon les convoquent au 50e étage d’une tour en plein centre de Los Angeles et leur fait miroiter la perspective d’un salaire mirobolant pour leur âge, une machine infernale se met en marche pour les cinq adolescents. Car un seul d’entre eux va l’emporter, à l’issue d’une compétition où tous les coups seront permis. Leur seul objectif va être de poster les vidéos qui comptabiliseront le plus de vues. En bon français, de faire un « max de buzz ».

Les cinq ont des atouts bien différents dans leur jeu. Qui sera « l’influenceur » de demain ?

Jeremy Behm dresse le portrait d’adolescents américains plongés dans une rivalité artificielle. Chacun a sa façon de la vivre, fair-play ou sadique, naïve ou violente, artistique ou trash, qui donne aussi le ton à leurs créativités respectives et à leurs mises en scène d’eux-mêmes. Ils n’ont guère le choix pour gagner : ils doivent se mettre eux-mêmes en danger pour provoquer l’admiration de leurs supporters ou chercher à écraser l’autre pour susciter l’effroi et la stupeur. La course à l’audience peut être une course mortelle : l’auteur ouvre d’ailleurs son livre par une séquence haletante, qui, comme dans un film de James Bond, nous avertit de ce qui pourrait être l’issue fatale pour l’un ou l’autre des concurrents.

Ce thriller au pays des geeks se lit d’une traite, comme un conte d’avertissement moderne. L’écran est-il devenu pour les jeunes – et les moins jeunes - l’unique fenêtre qu’il soit possible d’ouvrir pour respirer ? Ou la vraie vie peut-elle encore l’emporter sur les compromissions et les manipulations qui régissent le monde virtuel ? La réponse est, au bout du roman de Jeremy Behm, dans la tête de chaque lecteur et lectrice.

Écouter cette chronique (extrait lu à 3:22) :

1 million de vues – Jeremy Behm – Syros - 2019 (494 pages, 17,95 €) 

vendredi 27 septembre 2019

Sauveur & fils, saison 5



Et de 5 ! Avec la cinquième saison de Sauveur & fils qui paraît ce 18 septembre, Marie-Aude Murail confirme qu’elle a signé un bail sérieux avec le psychologue clinicien de la rue des Murlins. D’autant plus sérieux qu’une sixième saison est en préparation et que le cinéma pourrait bientôt offrir une vie parallèle à ce petit monde de papier qui vit, souffre, pleure et rit dans cette bonne ville d’Orléans.

L’autrice a expliqué pourquoi elle avait décidé de planter sa tente dans le cabinet d’un psychologue : son itinéraire d’écrivain pour la jeunesse l’a amenée à rechercher de plus en plus les lieux où se rencontrent – encore - toutes les générations, toutes les classes sociales, lieux de brassage, postes d’observation privilégiés de la société d’aujourd’hui. Ce fut l’école, avec Vive la République ! récemment réédité, le cabinet d’un médecin généraliste avec La fille du docteur Baudoin, et, dans une moindre mesure, l’entreprise dans Papa et maman sont dans un bateau.

C’est ainsi qu’est né Sauveur & fils. Marie-Aude Murail a raconté comment elle avait, en 2015, rappelé in extremis son éditrice à l’école des loisirs pour lui faire ajouter au titre « saison 1 », parce qu’elle venait de saisir le potentiel romanesque de ce qui n’était pas encore une série.

Parce que les enfants y deviennent des ados, parce que les ados parviennent au seuil de l’âge adulte et parce que les adultes ont bien du mal à l’être, chaque opus de la série voit tout ce petit monde grandir et s’ébattre au fil du temps qui passe. On gagne donc en confort et plaisir de lecture à découvrir les saisons dans l’ordre de leur parution. Mais Marie-Aude Murail a fait aussi en sorte que chaque livre puisse être lu séparément. Et celles et ceux qui voudront découvrir Sauveur Saint-Yves directement dans la saison 5 qui paraît ce mois-ci ne seront nullement perdu•es.

Iels découvriront ou retrouveront les jeunes ou moins jeunes patients au long cours de Sauveur, Blandine, Margaux, Ella qui devient Elliott, Solo, celles et ceux qui gravitent autour de lui comme Samuel, le fils du célèbre pianiste André Wiener, ou Frédérique. Tous feront connaissance avec Louane et son animal de soutien émotionnel, avec Madame Tapin inventant à 81 ans le féminisme. 

Sans compter qu’un psychologue a aussi une vie privée pas toujours aussi facilement démêlable que ne semble l’être la vie de ses patients. C’est connu, les cordonniers sont souvent mal chaussés. Au 12 de la rue de Murlins, Louise a fini par s’installer avec ses deux enfants, Alice l’ado rebelle et Paul, le meilleur ami de Lazare, le fils du psy. Gabin s’est réfugié au grenier avec ses cochons d’Inde et ne fait… rien, mais avec beaucoup d’application. Dernière pièce de cet ensemble familial assez recomposé et pour le moins baroque, Jovo, le légionnaire recueilli par Sauveur, devient une source d’inquiétude croissante au fur et à mesure que divers épisodes de son passé trouble refont surface et rattrapent ceux qui lui font encore confiance.

La (fausse) réputation de psychologue animalier que Sauveur a acquise grâce à un vendeur de Jardiland, va l’amener à trouver successivement dans son salon un chat, un chien dépressif, un perroquet muet. Au final, Sauveur est-il psychologue ou vétérinaire ? Enfin, ce n’est point divulgâcher l’intrigue de cette cinquième saison que de révéler qu’elle se termine, comme la première, en Martinique, sur « l’île des revenants » où Marie-Aude Murail... revient, comme pour confirmer la réputation de cette petite France des Antilles.

Écouter cette chronique (extrait lu à 3:27) :
Sauveur & Fils, saison 5 – Marie-Aude Murail (Medium+ de l’école des loisirs, 320 pages, 17 €)

vendredi 20 septembre 2019

Ariane et le défi du labyrinthe


La mythologie grecque est une source intarissable d’histoires, parfois un peu complexes voire un peu rudes pour le jeune public dans leur version intégrale non expurgée. Voilà pourquoi on ne peut que se réjouir quand une autrice, dont on a déjà salué ici le talent, s’empare d’un récit pour le rendre accessible aux plus jeunes, sans trop l’édulcorer. Il y a dans les mythes une pédagogie dramatique de la vie qu’il faut savoir restituer et Clémentine Beauvais a déjà prouvé son savoir-faire en la matière, rappelez-vous le destin de Io, cette jeune adolescente séduite par Zeus, avant d’être transformée en vache par la jalouse Héra…

Dans Ariane ou le défi du labyrinthe, l’autrice a choisi de raconter le mythe du point de vue d’Ariane, et non pas de Thésée comme l’avait fait Yvan Pommaux dans l’album éponyme que je vous ai présenté également à cette antenne. Au final, si le fils d’Égée s’en sort, à l’issue de son combat avec le terrible Minotaure, c’est bien grâce au fil et à la pelote dont Ariane a eu l’idée de doter le jeune héros avant que celui-ci ne s’engouffre dans le labyrinthe construit par Dédale.

Lu à voix haute, nul doute que ce petit livre plein de suspense fera son effet sur un enfant prêt à s’endormir. Réservez votre voix la plus sombre pour la description du Minotaure et de ses appétits pas très végétariens. Si c’est une petite fille, elle tombera sûrement amoureuse de Thésée à la suite d’Ariane, grâce aux illustrations de Sébastien Pelon. Et la fin de l’histoire lui donnera une leçon utile sur les garçons.

Écouter cette chronique (extrait lu à 01:45) :


Ariane et le défi du labyrinthe – Clémentine Beauvais, illustrations de Sébastien Pelon – Nathan (43 pages, 6,20 €)

vendredi 13 septembre 2019

Ce qui fait battre nos coeurs


Voulez-vous être augmenté ? A cette question qui ne répondrait pas oui ? Sauf… sauf si l’on vous dit que cela va être au prix de l’implantation dans votre cerveau d’un petit composant électronique, rassurez-vous, c’est parfaitement indolore, d’ailleurs c’est bien connu, un cerveau n’a jamais mal… 

Avec son nouveau roman, Ce qui fait battre nos cœurs, Florence Hinckel nous transporte dans un futur suffisamment proche – 2030 – pour que rien de ce qu’elle imagine ne soit pour nous inimaginable. L’autrice nous convie, en compagnie de quatre adolescents, à un voyage long et mouvementé au cœur de l’utopie transhumaniste.

Noah est le fils de Franck Varan, patron tout-puissant de la société Organic qui, en cas de défaillance, fournit à toutes celles et tous ceux qui peuvent se les payer les pièces de rechange pour leur corps : foie, cœur, poumons, reins, vessie, utérus, etc. Organic détient le monopole des prothèses et des organes artificiels.

Leila est la jeune merveille qui a bénéficié de tant d’opérations que si elle est aujourd’hui célèbre et court avec sa mère les plateaux de télévision, c’est parce qu’elle est artificielle à 96 %. Seul son cerveau est resté d’origine. 

Esteban lui n’a pas encore été réparé, mais Sofia, sa petite sœur, a un cœur artificiel et c’est malheureusement un modèle bas de gamme, le seul remboursé par la Sécu, qui menace à tout moment de lâcher. Esteban n’a donc plus qu’une obsession : procurer un cœur neuf à sa sœur, le plus perfectionné qui soit. Mais comment faire quand on n’a pas l’argent pour ?

Maria, elle, a perdu un avant-bras – et ses parents – dans un accident de voiture. Du coup, elle s’est bricolé une prothèse, qu’elle n’a cessé de perfectionner au fur et à mesure de ses propres découvertes en biomécanique. Son bras est devenu surpuissant et Maria défie désormais une loi contre l’augmentation qui existe depuis cinq ans quand l’histoire commence. Recueillie par Mars, son oncle et tuteur qui l’a élevée, elle va avoir 18 ans…

Par quelles circonstances ces quatre adolescents vont se retrouver dans la même voiture, poursuivis par la police et traqués par les médias, pour le meilleur et pour le pire, c’est ce que Florence Hinckel nous raconte sur plus de 400 pages. Les deux garçons et les deux filles ont voulu se libérer de quelque chose, au seuil de l’âge adulte, et les voilà réduits à jouer chacun sa vérité à huis-clos, lancés à toute allure sur une autoroute qui ne les mène nulle part. Du moins à première vue.

L’autrice a conçu un récit à focalisations multiples. Nous adoptons tour à tour le point de vue d’Esteban, de Maria et de Leila. Jamais celui de Noah, le conducteur. C’est en quelque sorte le point aveugle du récit, le « fils de » qui est aussi l’inconnue, le X de ce roman que vous ne lâcherez pas avant d’avoir résolu son équation. 

Écouter cette chronique (extrait lu à 2:49) :



Ce qui fait battre nos cœurs – Florence Hinckel – Syros, 2019 (443 pages, 17,95 €)

vendredi 6 septembre 2019

L'histoire des saints en bande dessinée



La rentrée est le temps des bonnes résolutions. Et si vous preniez celle de devenir saint ou sainte ? Si les modèles vous manquent, je vous conseille L’histoire des saint·es en bande dessinée publiée en mai dernier chez Glénat. La journaliste Raphaëlle Simon a épluché leurs vies et la résume sur une page. En face de cette présentation qui mêle éléments historiques attestés et aspects légendaires des vies en question, le dessinateur Laurent Bidot – auquel on doit la BD sur le pape François que je vous ai présentée ici-même - offre un contrepoint humoristique sous forme d’une page de bande dessinée assez malicieuse et souvent décalée. 

C’est une bonne quarantaine de saints et saintes, connus ou moins connus, dont Raphaëlle Simon retrace le parcours de vie. Ils ont tous cherché à imiter et suivre le Christ, de façon si singulière et si inimitable que la leçon de ce recueil de vies exemplaires est peut-être celle-ci : aucun modèle, aucun exemple ne peut s’imposer à celui ou celle qui aspire à la sainteté, sinon celui du Fils de l’Homme.

A la fin du livre, un lexique explique quelques notions de la vie chrétienne qui tendent à se perdre et pourraient de ce fait créer des difficultés de compréhension pour un jeune public peu instruit des choses de la religion : qu’est-ce qu’une châsse ou un scapulaire, des stigmates ou des rogations, etc. ? Je n’ai pas vérifié si la parité avait été respectée, malgré la prédominance attestée des hommes dans la population de base. D’ailleurs, il manque une table des saints et saintes répertoriées, qui ne sont présentés ni alphabétiquement ni chronologiquement : au moins, cela laisse au lecteur le loisir de vagabonder d’une époque à l’autre et d’apprécier la diversité des itinéraires sanctifiants.

Chaque notice est rédigée de façon enlevée, autant que l’est la vie de la plupart des saints et saintes dont l’histoire est ici contée. Des vies souvent atypiques et exceptionnelles, vécues à toutes les époques du christianisme et qui composent un panorama riche et contrasté de la sainteté dans l’histoire de l’Église, lisible en filigrane derrière chaque destinée.

Écouter cette chronique (extrait lu à 2:08) :


L'histoire des saints en bande dessinée – par Raphaëlle Simon, illustrée par Laurent Bidot – Glénat (96 pages, 17 €)

vendredi 5 juillet 2019

Golem Level 01



Pocket Junior fête cette année ses 25 ans. Pour cet anniversaire, il a choisi de rééditer les grands succès éditoriaux de son quart de siècle et c’est ainsi que Golem, le roman publié en 2002 et écrit par les frère et sœurs Murail, Lorris, Elvire et Marie-Aude, ressort en trois volumes, dans un nouvelle édition revue et corrigée par Marie-Aude Murail et ses acolytes. D’ores et déjà, vous pouvez partir en vacances avec Golem, Level 01, paru le 6 juin. Vous ne le regretterez pas, d’autant que le Level 02 viendra à la mi-septembre vous consoler de la rentrée, en attendant de trouver le Level 03, peu avant Noël.

Golem, en deux mots, c’est une histoire de jeu vidéo qui tourne au fantastique, mais un fantastique solidement ancré dans le monde réel de la cité des Quatre-Cents et de ses caves, de ses supermarchés et des multinationales qui mènent le monde. Au départ, Majid, un jeune élève de 5e, gagne à un concours l’ordinateur de ses rêves. Pas particulièrement expert en informatique, il va faire appel à Jean-Hugues de Molenne, son prof de français, qui, lui, est un authentique geek à ses heures perdues (et il en perd beaucoup, scotché à son écran !)

En aidant Majid à configurer son PC, Jean-Hugues, alias Caliméro dans son autre vie, et son jeune élève vont se trouver confrontés à un phénomène étrange : un jeu vidéo inconnu, nommé Golem, s’incruste sur l’écran de Majid et entend imposer son tempo à nos deux compères. Mieux encore, les personnages du jeu vont à un certain moment crever littéralement l’écran et venir peupler le monde réel. Que se passe-t-il ?

C’est d’autant plus inquiétant que rôdent dans la cité des individus louches qui semblent être à la recherche de l’ordinateur de Majid. Pourquoi veulent-ils le récupérer à tout prix ? Est-ce en rapport avec les phénomènes étranges qui commencent à se produire dans les caves de la cité ? Au point que même des journalistes télé tentent de s’y intéresser, non sans difficultés, d’ailleurs…

Golem est un cocktail détonant. Des mondes parallèles s’y croisent, qui n’auraient jamais dû se rencontrer. Des quiproquos s’ensuivent, tantôt dramatiques, tantôt hilarants. A chaque choc, l’intrigue rebondit, le mystère s’épaissit et les jeunes de la cité, les professeurs, les parents vont être entraînés dans des péripéties de plus en plus haletantes, toujours à la limite de la vraisemblance, cette limite qui fait tourner les pages avec fébrilité. 

Laissez-vous happer par Golem. Comme l’annonce le bandeau, "300000 lecteurs" - il s'agit en fait des ventes, le nombre des lecteurs est bien plus élevé ! -  y ont déjà cédé. De toute façon, « Golem, c’est plus fort que vous ! »

Écouter cette chronique (extrait lu à 2:41) :

Golem, Level 01 – Elvire, Lorris et Marie-Aude Murail – Pocket Junior (278 pages, 6,95 €)

vendredi 28 juin 2019

Lou après tout - I. Le Grand Effondrement



En ces premières années du troisième millénaire, notre monde ne se porte pas très bien. Le réchauffement de la planète Terre, son apparente accélération et les désordres climatiques qu’il engendre inquiètent une majorité d’experts et d’hommes politiques. Et aussi de citoyen•nes. La démocratie semble menacée dans bien des pays par des partis populistes d’extrême-droite qui arrivent au pouvoir ou sont sur le point d’y parvenir, surfant sur de multiples peurs et frustrations. La mondialisation de l’économie, sa financiarisation et la croissance des inégalités ont constitué une masse de laissés-pour-compte dans les sociétés développées comme dans les pays en voie de développement ou émergents. Internet et les réseaux sociaux ont imposé en quelques années des modes d’échange et de rapport au virtuel qui plongent bon nombre de nos contemporains dans une seconde vie, au prix d’une relation fusionnelle et addictive avec écrans, tablettes et smartphones Combien de temps ceux-là auront-ils encore une vraie vie ?

Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que l’idée d’une fin du monde prochaine prospère et se répande, comme si tous les phénomènes que je viens de citer en étaient des signes avant-coureurs et convergents, vers une catastrophe généralisée. Comme si la question n’était plus de savoir si notre bonne vieille planète allait craquer, mais quand. Et les uns et les autres de lancer des durées ou des dates. « Dans 12 ans ». « En 2050 », etc.

Le romancier Jérôme Leroy s’est emparé à son tour de cette thématique apocalyptique et il vient de livrer le premier opus d’une trilogie intitulée Lou après tout. Le sous-titre de ce premier tome est éloquent : « le grand effondrement ». Lui aussi fixe une date pour la Grande Panne : le 13 juin 2040 et même une heure : 21 h 47. A noter sur nos agendas.

Son roman débute quelques années après, dans le Nord de la France. Un trentenaire, Guillaume, et une adolescente de 13 ans, Lou, ont survécu ensemble au chaos qui a suivi le crash mondial de la civilisation. Progressant dans un paysage hivernal, ils viennent de trouver un refuge provisoire dans la Villa Yourcenar, qui a accueilli dans le passé nombre d’écrivains en résidence et leur offre quelques ressources, miraculeusement échappées au pillage. C’est Guillaume qui raconte leur errance dans le pays livré à des hordes de Cybs et de Bougeurs, deux catégories d’humains hautement contagieux et définitivement transformés en prédateurs par l’abus d’antidépresseurs ou de réalité augmentée. Des sortes de zombies revus et corrigés par l’auteur.

Pour Guillaume, il ne le sait pas encore, cette Villa va être son terminus. Lou, l’orpheline qu’il a recueillie quelques années auparavant, est désormais une adolescente aguerrie, une vraie combattante, prête à tomber amoureuse de celui qui n’a été jusqu’ici qu’un grand frère ou un père de substitution.

L’essentiel de cette première partie est une longue analepse au cours de laquelle Guillaume raconte le monde d’avant et ce qui l’a conduit à la catastrophe décrite dans le final. Peu à peu, une société d’apartheid social, puissamment policière, s’était créée. Une séparation physique avait fini par être décrétée avec ceux du Dehors, les résistants, zadistes du futur, ceux-là qui, par un revers prévisible de l’Histoire, vont s’avérer être les mieux à même de survivre à l’effondrement.

Lou après tout est un grand roman d’anticipation. Un roman noir au sein duquel, assez curieusement, subsiste une forme d’espoir, incarnée par les figures de Guillaume et surtout de Lou, et de quelques compagnes et compagnons de leur vie d’avant puis de leur itinérance, dont on devine que le sacrifice n’aura pas été vain.
Ce premier volet boucle suffisamment son récit pour que le lecteur en accepte la suspension. « Après tout », Lou, notre héroïne, est toujours là, guerrière bien vivante. En attendant la suite, on peut déjà imaginer les épreuves qu'elle va devoir affronter, dans l’enfer blanc où elle s’enfonce, désormais seule.

Écouter cette chronique (extrait lu à 3:54) :

Lou après tout – I. Le grand effondrement - Jérôme Leroy – Syros (381 pages, 16,95 €)

vendredi 21 juin 2019

Juliette et Roméo



La Guyane a laissé une forte empreinte sur Yves-Marie Clément qui y fut enseignant pendant quelques années. Au point qu’il prend un plaisir visible à y transporter régulièrement ses lecteurs et lectrices. Je vous avais présenté fin 2017, du même auteur, Le Réveil de Zagapoï, cet esprit de la forêt amazonienne qui se révoltait contre une équipe de scientifiques venus tester un nouvel insecticide au péril de Mère Nature.

Son nouveau roman, Juliette et Roméo, nous remmène à Saint-Laurent-du-Maroni, au temps de la Première guerre mondiale, à l’époque où l’administration pénitentiaire expédiait encore au bagne des prisonniers qui devaient contribuer au « progrès de la colonisation française », dixit Louis Napoléon.

Roméo n’a pas le profil d’un criminel endurci, mais plutôt d’un garçon dans l’insouciance de la jeunesse, chien fou indiscipliné et insolent, auquel le lieutenant Dolympe fait payer durement la moindre incartade. Dans cette prison géante à ciel ouvert qu’est la Guyane, les cachots du camp de la Transportation sont des antres où grouillent les cafards qui galopent toute la nuit sur les corps mal endormis, cherchant la peau, les blessures, avidement.

Dans quelles circonstances Roméo va-t-il rencontrer sa Juliette, qui n’est autre que la fille du commandant du pénitencier ? C’est ce que raconte le roman d’Yves-Marie Clément. C’est évidemment l’amour qui foudroie dans une nuit d’orage les deux jeunes gens que tout sépare et en premier lieu le milieu social. Juliette a été promise par ses parents à un officier qui se bat à Verdun et cette perspective, un moment acceptée, la tourmente et l’accable progressivement depuis qu’elle a accompagné son père nommé en Guyane. Quand Roméo surgit dans sa vie, l’attrait irrésistible qu’elle ressent pour lui fait éclater ses chaînes intimes. Au fond, c’est elle qui était au bagne et c’est Roméo qui peut la libérer. Mais comment et à quel prix ?

Yves-Marie Clément fait rejouer à sa façon la pièce de Shakespeare, multipliant les obstacles sur la route des deux jeunes gens. Pourront-ils en triompher ? Son roman découpé en trois actes, dont l’écriture emprunte parfois au théâtre, n’est pas une tragédie, même si l’auteur abandonne à leur destin les deux amants enfin réunis, dans un voile de brume qui les enveloppe et nous les cache à jamais.

Écouter cette chronique (extrait lu à 2:24) :

Juliette et Roméo – Yves-Marie Clément – Le Muscadier (161 pages, 12,50 €)

PS : Une première version de ce roman est parue au Seuil en 2009.

vendredi 14 juin 2019

Le renard et la couronne




Ne cherchez pas la Draïna sur un atlas. Même en fouillant la mosaïque des Balkans, vous ne la trouverez pas davantage que les lecteurs de Tintin qui tentèrent de situer sur une carte la Syldavie de Georges Rémi. C’est pourtant en Draïna que Yann Fastier nous emmène pour suivre le destin d’Ana, petite orpheline élevée par sa grand-mère, en butte toutes les deux à l’hostilité sourde des gens de leur village, pour des raisons inexpliquées.

Quand la grand-mère meurt, Ana se retrouve brutalement seule. Elle a dix ans et plus personne ne la protège. Retrouvant un jour sa maison pillée et se sentant menacée, elle décide de partir droit devant elle avec pour tout compagnon un livre du XVIIIe siècle écrit en français, langue que sa grand-mère lui a enseignée.

Elle arrive dans un port de l’Adriatique où elle n’a rapidement pas d’autre choix pour survivre que d’intégrer les rangs d’une bande d’enfants sans famille qui vont lui enseigner l’art de détrousser les habitants. C’est un touriste français qu’elle vient de délester de son portefeuille, un vieux savant, un peu éberlué d’entendre une gamine des rues pratiquer sa langue avec deux siècles de retard, qui va l’arracher providentiellement à la misère et lui faire découvrir la France. Adoptée par le couple de son bienfaiteur, Ana grandit, devient une jeune fille éduquée et savante. Elle tombe amoureuse et son avenir semble tracé mais ses parents adoptifs meurent accidentellement, du moins en apparence, jusqu’à ce qu’une enquête accuse Ana et qu’elle soit jetée en prison.

Dès lors, la jeune fille va se retrouver entourée de conspirateurs, d’espions, et de révolutionnaires. Pourquoi est-elle menacée de mort, qui donc est-elle vraiment pour que sa personne même devienne l’enjeu de luttes et de complots politiques qui vont la ramener dans sa Draïna natale ? C’est ce qu’elle va comprendre peu à peu, cherchant à maîtriser un destin qui lui échappe au fur et à mesure qu’il lui est dévoilé et, avec lui, les passions multiples qui l’animent.

Le livre est en trois parties, comme autant d’époques de la vie d’Ana. Entre les sombres dystopies et les tranches de vie adolescentes, il n’y a plus beaucoup de place dans la production éditoriale contemporaine pour les romans d’aventures « à l’ancienne ». Le renard et la couronne renoue brillamment avec cette veine, riche de voyages, de mystères et de rebondissements, qui offre aux lecteurs et lectrices cette part de rêverie et de dépaysement qu’iels attendent toujours. Et au passage - ce n’est pas le moindre mérite de ce roman - Yann Fastier brosse un très beau portrait d’héroïne, libre de toutes sortes de façons, portrait qui a trouvé naturellement sa place chez l’éditeur Talents Hauts.

Écouter cette chronique (extrait lu à 2:40) :

Le renard et la couronne – Yann Fastier – Talents Hauts – 2018 (541 pages, 16,00 €)

vendredi 7 juin 2019

Comment mon père est mort 2 fois



Je vous avais présenté l'an passé la trilogie d'Yves Grevet, Méto, rééditée en un seul volume à l’occasion du dixième anniversaire de sa parution. Nullement cantonné dans un genre, qu'il s'agisse de science-fiction ou de roman historique, l'auteur nous emmène cette fois sur l'île de la Réunion où se déroule la vie plus que normale de Soën, collégien on ne peut plus ordinaire. Mais ce mercredi-là, juste après la baignade entre ami•es dans le lagon de Saint-Gilles, la vie insouciante de Soën va se défaire brutalement, de drame en révélations successives, jusqu’à ce que le jeune adolescent se heurte à un passé dont il ignorait tout : celui de son père.

Pendant qu'il se baignait tranquillement, Gilles, le père de Soën, trouvait la mort en voiture sur la route du piton Maïdo. À partir de là, tout s’enchaîne. D'abord la mort de Gilles est jugée suspecte. Le procureur ordonne une autopsie. Puis il s'avère que Gilles vivait sous une fausse identité, inconnue en métropole. Quand la thèse de l'assassinat est confirmée et que des enquêteurs très spéciaux  débarquent de Paris et dessaisissent la police locale, Soën sait qu’un long chemin vers la vérité commence. Ce qu’il ignore encore, c’est que la vie de sa mère et la sienne seront menacées à plusieurs reprises. Dans certaines affaires d’État, mêlant services secrets, barbouzes ou extrémistes manipulés, la curiosité est un défaut mortifère.

Toute personne qui a dû faire face dans sa vie personnelle aux mystères entourant la mort ou la disparition d’un proche lira ce livre d’une traite comme je l’ai fait moi-même. Yves Grevet a alterné les séquences d’enquête de Soën avec les morceaux de journal que son père avait tenu trente ans auparavant, lorsque celui-ci était jeune coopérant en Turquie, jusqu’à sa « première mort. » Les deux récits se déroulent en parallèle, jusqu’à ce que les parallèles se rencontrent. La vérité va-t-elle finir par éclater ou sera-t-elle de nouveau étouffée par la (dé)raison d’État ?

Écouter cette chronique (extrait lu à 2:03) :

Comment mon père est mort 2 fois – Yves Grevet – Syros (347 pages, 16,95 €)

vendredi 31 mai 2019

Rattrapage



Un bruit lourd en cours de philo. Le choc d’un sac trop rempli qui tomberait par terre. Sauf que le sac en question, c’est un élève qui vient de tomber évanoui dans une flaque de sang. Quand il s’est ouvert les veines silencieusement, au fond de la classe, personne n’a rien remarqué. Pourtant le sang avait coulé des poignets tranchés sur la table et de la table sur le sol, goutte à goutte.

Cette vision, elle ne l’a pas oubliée, même si la classe où s’est déroulé le drame est restée fermée depuis. Elle l’a poursuivie jusqu’à ce jour de juillet où les cancres  et les malchanceux de tous les bahuts se retrouvent pour l’oral de rattrapage du bac. Car elle aussi, la jolie fille, la reine du lycée, qui a raté son année, elle est là. Et elle l’aperçoit, lui. L’a-t-il vue ? L’a-t-il reconnue ? 

Elle a fait partie d’une petite bande, « royauté » autoproclamée, qui s’amusait à rabaisser et ridiculiser d’autres élèves à travers un groupe Facebook baptisé Association des cassos anonymes. La tentative de suicide d’un de ces « cassos » l’a bouleversée, d’autant qu’elle avait, elle aussi, posté une photo qui avait suscité une salve de moqueries sur le réseau. La photo de trop, peut-être…

Le harcèlement scolaire est un thème ancien. Il a pris un tour particulier avec l’avènement des réseaux sociaux et des images volées, distribuées et commentées ad nauseam. De nouvelles vulnérabilités sont apparues et avec elles des jeux collectifs souvent sadiques et sans pitié. Symptôme de cette situation, les livres pour la jeunesse, qui l’explorent sont de plus en plus nombreux, comme autant de contes d’avertissement.

Dans Rattrapage, Vincent Mondiot, qui s’est mis dans la peau d’une fille, adopte un point de vue original : non pas celui de la victime mais celui d’une harceleuse, aussi anonyme, dont il nous livre le monologue intérieur, 80 pages incisives, une succession de tableaux en forme de malaise, de dégoût et de culpabilité croissants. Vers l’enfer ou la rédemption ? Il n’y a pas que le bac à rattraper à la veille des vacances.

Écouter cette chronique (extrait lu à 2:08) :

Rattrapage – Vincent Mondiot – Actes Sud Junior (80 pages – 9,80 €)

vendredi 24 mai 2019

Mathilde à la cantine 3 étoiles



Connaissez-vous Mathilde ? C’est la jeune héroïne campée par Sophie Chérer dans une dizaine de petits livres parus sur un quart de siècle – eh oui, déjà ! - dans la collection Mouche de l’école des loisirs. Cette collection est destinée aux plus jeunes lecteurs, ceux qui, sortis vainqueurs du Cours préparatoire, lisent-déjà-tout-seuls. Comme sa créatrice, Mathilde n’a pas froid aux yeux et n’a pas sa langue dans sa poche.

La onzième aventure de Mathilde publiée en janvier dernier est en fait une mésaventure qui finit bien, alors que comme beaucoup de révoltes, car ç’en est une, souligne notre autrice, elle aurait pu se terminer, je cite, « dans un bain de sang ou dans le découragement. ».

En ce jour de rentrée, l’heure de midi est le meilleur moment de la journée pour Mathilde. A l’entrée de la cantine, elle va retrouver le cuisinier, M. Mantault, qui traditionnellement salue chaque enfant par son nom et lui serre la main. Hélas, quand Mathilde pénètre dans la salle, M. Mantault n’est pas là et la cantine aux odeurs alléchantes s’est transformée en un affreux self-service sans âme plein de nourritures industrielles. Que s’est-il passé ? Le bruit court que M. Mantault aurait pris sa retraite. Sans prévenir ? Cela ne lui ressemble pas.

Mathilde décide de mener son enquête et pour commencer se rend chez M. Mantault, qui lui apprend qu’il n’a nullement pris sa retraite mais qu’il a bel et bien été licencié. « C’est pas juste », s’exclame Mathilde, d’autant que désormais, « c’est pas bon ». Mais la résistance va s’organiser, sous la forme d’un pique-nique géant devant l’école. Sans gilets jaunes, les enfants et les parents d’élèves auront-ils raison du directeur d’école responsable de cette catastrophe humaine et diététique ?

Vous le saurez en lisant Mathilde à la cantine 3 étoiles, rehaussé par les illustrations très facétieuses de Véronique Deiss, mention spéciale au Ministère de l’Alimentation, de la Transition écologique et du Transit intestinal.

Ah, au fait : dans la vraie vie, Mathilde existe : c’est la fille de Sophie Chérer. Elle a grandi depuis 25 ans. Mais ça, c’est une autre histoire.

Écouter cette chronique (extrait lu à 2:01) :

Mathilde à la cantine 3 étoiles - Sophie Chérer - illustré par Véronique Deiss – 2019 - Mouche de l’école des loisirs (71 pages, 8,00 €)

vendredi 17 mai 2019

Nos mains en l'air



Sur la couverture du livre, une voiture s’envole tirée vers le ciel par des ballons multicolores. Et c’est bien l’histoire d’une évasion surréaliste  que Coline Pierré nous raconte dans son dernier livre Nos mains en l’air

Victor, 21 ans,  vit avec ses deux frères sous la coupe d'un père malfrat qui a fait de ses fils les auxiliaires dociles de ses méfaits, cambriolages et braquages en tous genres. La mère de Victor a disparu sans laisser d'adresse. Victor plutôt habile dans son « métier » - j'ai mis des guillemets - ne s'y plaît pas. Il aspire à vivre honnêtement, désir évidemment extravagant aux yeux de son père. Yazel, 12 ans, quant à elle, est complètement orpheline et a été confiée à une tante riche qui ne l’aime pas, et c'est réciproque.

Victor et Yazel n’auraient jamais dû se croiser. Coline Pierrė en a décidé autrement, heureusement pour eux et pour nous, confirmant au passage que les orphelins ont le meilleur potentiel romanesque qui soit. Chacun s'appuyant sur l'autre va trouver le courage, à l'issue d'une rencontre pour le moins rocambolesque, de s'arracher à ses chaînes familiales, courage qu’aucun n'aurait eu tout seul. S'ensuit une longue fugue aux multiples péripéties à  travers la France, l’Italie, dont un long passage à Venise, puis la Slovénie, la Hongrie… Bien que tout les sépare, Karl, le père de Vic, et Odile, la tante bourgeoise et cupide de Yaz, nouent une alliance de circonstance et se lancent à la poursuite des deux fugitifs, tombés de surcroît  sous le coup d'une alerte enlèvement internationale lancée par Odile.

Il n’échappera à personne que, vue de l'extérieur, la situation est plutôt scabreuse. En clair, un jeune cambrioleur  s'est enfui en voiture avec une fillette à peine pubère, quoique pleine d'aplomb. Heureusement, c'est vue de l’intérieur que l'histoire nous est contée. La relation qui se noue entre Victor et Yazel pendant cette cavale échappe à tous les stéréotypes connus, mélange subtil de tendres sentiments tantôt fraternels tantôt filiaux, d'ébauches amoureuses platoniques  qui conduisent les deux jeunes à découvrir ce qu'ils sont chacun sous un regard enfin empathique. Cet apprentissage mutuel est nourri par une circonstance particulière : Yazel est malentendante – « sourde » préfère-t-elle dire elle-même pour ne  pas s’encombrer de précautions oratoires. À son contact, direct et parfois rugueux, Vic va cesser d'être perpétuellement « désolé » et se familiariser avec la langue des signes. Il va même faire un pas essentiel vers Yazel en faisant l'effort de l'apprendre.

Avec Nos mains en l'air, Coline Pierré  a écrit un roman d'émancipation en forme d' « éloge de la fuite ». C’est sous ce titre qu’Henri Laborit avait proposé en 1976 une typologie des comportements humains devant un conflit, typologie qui avait servi de trame, vous vous en souvenez peut-être, au film d’Alain Resnais, Mon oncle d'Amérique. Laborit distinguait trois réactions de base possibles : inhibition, fuite ou lutte.
  
Le roman de Coline Pierré fait justement passer Victor et Yazel par ces trois phases. L'un et l'autre sont au départ bloqués dans des situations familiales sans issue. Inhibés, ils trouvent une forme de salut provisoire dans une fuite totalement improvisée à laquelle Yazel a su donner un but. La fin du roman, c'est aussi la fin de cette fuite aux airs de fugue, au cours de laquelle nos deux héros se sont trouvés et construits mutuellement, ce qui va leur permettre d'affronter ensemble et le père et la tante. De lutter et, dans cette lutte, de se reconnaître, d’être reconnus et d'entrevoir un avenir.


Je suis sorti de cette lecture délicatement désorienté et le sourire aux lèvres, comme au retour d'un voyage aussi plaisant que mouvementé dans ma jeunesse envolée.

Écouter cette chronique (extrait lu à 3:44) :
Nos mains en l'air - Coline Pierré - Rouergue "doado" - 2019 (344 pages, 14,80 €)

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