vendredi 31 mars 2023

Histoire de la ville endormie


La semaine dernière, avec Les sœurs Lakotas de Benoît Séverac, je vous parlais d’une fuite, celle de trois sœurs Amérindiennes à travers les États-Unis ; cette semaine je devrais plutôt parler d’une fugue

Un beau matin d’hiver, tous les enfants d’un village enneigé sortent de leur maison en cachette et échappent à leurs parents pour aller explorer leur ville, jadis engloutie dans une vallée inondée par un déluge et désormais prise dans les glaces. À l’époque, le traumatisme avait été tellement grand et brutal, que les enfants en sont restés muets. 

Mais aujourd’hui, ils se sont mystérieusement décidés à partir et cheminent sans parole, à la queue-leu-leu, dans la neige et le froid, jusqu’à un grand lac gelé dont la surface translucide laisse deviner la ville ancienne, conservée sous l’eau, avec ses maisons et ses clochers, sa mosquée et ses écoles…

Les enfants décident de casser la glace, comme font parfois les pêcheurs, et c’est Gabriel le plus intrépide qui va s’élancer dans l’eau froide et descendre, descendre, de plus en plus profond, jusqu’au point de tirer la cloche de l’école. Que va-t-il trouver d’autre ? Je vous laisse le découvrir.

Marie Chartres, l’autrice, a écrit un conte fait pour être lu à voix haute aux plus jeunes enfants et qui s’inscrit résolument dans cette tradition et ses riches résonances, celle de l’imaginaire du déluge et de son dénouement, celle des enfants frappés par un sort qu’il faudra bien lever, celle des paysages hivernaux où dorment tant de récits merveilleux qu’une voix suffit parfois à réveiller. Les illustrations de Junko Nakamura enveloppent joliment ce texte de leur contours rêveurs et colorés. L’école des loisirs a offert à l’autrice et à l’illustratrice l’écrin d’un beau livre relié à l’ancienne.

Pour écouter cette chronique (extrait lu à  01:50) :



Histoire de la ville endormie - Marie Chartres - illustrations de Junko Nakamura - l'école des loisirs (54 pages, 11 €)

vendredi 24 mars 2023

Les sœurs Lakotas

 


Je vous ai déjà parlé ici d’Henri Laborit et de son livre, L’éloge de la fuite. Il y explique que dans certaines situations conflictuelles, les êtres humains comme d’ailleurs les animaux, n’ont souvent le choix qu’entre trois options : la lutte, l’inhibition ou la fuite. Et que la fuite, dans certaines circonstances, n’a rien de lâche ni de déshonorant. Au contraire. C’est parfois le choix le plus rationnel et le seul salvateur !

Quand l’histoire des sœurs Lakotas commence, nous sommes dans la réserve amérindienne de Pine Ridge, dans le Dakota du Sud, au cœur du Midwest états-unien. Denisa, alias Bearfoot, la sœur ainée, 16 ans, reçoit un appel téléphonique de l’assistante sociale du gouvernement tribal qui lui annonce que leur mère vient d’être arrêtée pour conduite en état d’ivresse, aggravée de rébellion, raison pour laquelle elle a écopé d’un an de prison ferme ! Bearfoot et ses  sœurs, Santee  (10 ans) et Ray (6 ans) vont devoir être placées dans des familles d’accueil et surtout : séparées ! 

C’est la perspective de cette séparation qui révolte Bearfoot : elle ne pourra plus protéger ses petites sœurs. Dans la soirée, elle prend la décision de fuir dans le vieux break familial que les policiers ont ramené à la maison. Direction la Californie, à 2000 km de là, où elle compte travailler dans les vergers aux côtés des clandestins venus du Mexique, pour vivre jusqu’à ce que sa mère ait purgé sa peine. Entassant quelques maigres affaires, elle embarque ses sœurs, après leur avoir expliqué sommairement leur situation, dans une aventure pleine de risques.

Et elles vont rencontrer rapidement toutes les difficultés inhérentes à ce voyage improvisé. Le réservoir de la Dodge n’est qu’à moitié plein, Bearfoot ne trouve que 40 $ que la mère avait cachés dans la maison : leur équipée ne va-t-elle pas tourner court ? Elles slaloment avec la police, essuient les coups de feu d’un fermier irascible, sont harcelées en voiture par des Blancs racistes qui les prennent en chasse. Mais elles font aussi de bonnes rencontres qui lèvent progressivement la méfiance et la peur du monde extérieur que leur mère leur avait inculquées.

C’est un beau roman d’itinérance et d’apprentissage pour les trois sœurs Lakotas. L’auteur, Benoît Séverac, a expliqué qu’il s’intéressait aux Amérindiens depuis plusieurs années. Pour les besoins de deux romans noirs pour adultes, coécrit avec Hervé Jubert, il a même vécu avec des Osages, dans leur réserve d’Oklahoma. Ce souci du vrai, documenté, l’a conduit pour ce roman à voyager aussi dans le Dakota du Sud. En décrivant la réserve de Pine Ridge qui abrite les Oglalas Lakotas, Séverac souligne les limites cruelles et injustes de cet enfermement faussement protecteur. La passion plus générale de l’auteur pour les États-Unis, ses paysages et ses grands espaces transparaît à chaque page. Et le lecteur se prend alternativement à frémir et à se réjouir devant l’audace de ces jeunes Amérindiennes, qui n’étaient presque jamais sorties de leur réserve et découvrent la vie au-dehors, soutenues par leur sororité.

Pour écouter cette chronique (extrait lu à 02:28 ) :




Les soeurs Lakotas - Benoît Séverac – Syros (249 pages, 17,95 €)

Autre chronique sur l'auteur : Le jour où mon père a disparu.

vendredi 17 mars 2023

Porté disparu



La disparition d’une personne, jeune ou adulte, est toujours un événement particulièrement traumatisant pour l’entourage. Si la maladie mortelle est une épreuve, si la mort accidentelle est un événement brutal, si le suicide plonge l’entourage dans l’incompréhension, les rites de deuil qui accompagnent ces décès les réinscrivent dans un certain ordre des choses, aussi dramatique fût-il, au prix d’un travail que le temps permet de poursuivre. Il n’en va pas de même avec une disparition, surtout si rien ne pouvait la laisser prévoir. Il s’ensuit une somme d’interrogations qui, ne recevant jamais de réponses, s’accumulent et s’enkystent dans un coin du cerveau et lestent jusqu’à la vie même de ceux qui portent alors un deuil impossible. Comme si désormais rien ne pouvait commencer, rien ne pouvait s’achever.

Ce sont des chiffres étonnants mais dont on ne parle presque jamais : en France, on estime que 40000 personnes disparaissent tous les ans. 30000 réapparaissent plus ou moins rapidement. 8 à 10000 ne sont jamais retrouvées dont quelque 800 jeunes. L’autrice Brigitte Giraud, qui a reçu en 2022 le prix Goncourt pour Vivre vite, un ouvrage autobiographique qui revenait, vingt ans après, sur la mort accidentelle de son mari, a fait paraître cette même année à l’école des loisirs un autre livre destiné, lui, à la jeunesse et intitulé Porté disparu

« Personne n’ose imaginer ce que signifie le mot « disparition ». C’est la pire des choses, ne pas savoir. Cela laisse supposer tant de scénarios. L’esprit ne se calme jamais… » C’est par ces mots que Camille, la première des narratrices à qui Brigitte Giraud confie son récit, exprime ce qu’elle éprouve en arrivant à Nice, en plein mois d’août. Six mois après la disparition de Livio avec qui  elle allait préparer le bac et dont elle était amoureuse en secret, elle essaie de retrouver sa trace dans la ville où se trouve la dernière demeure de Magnus Hirschfeld.

Car tout a commencé au mois de février précédent lorsque Livio a fait un exposé sur ce médecin allemand qui avait voulu résister au nazisme et en particulier aux lois réprimant l’homosexualité. Livio a scotché tous ses condisciples en profitant de son topo pour révéler, à 17 ans, sa propre orientation sexuelle. Mais les réactions violentes de deux élèves vont semer le désordre au lycée, dans l'esprit des parents et des enseignants, et sur les réseaux sociaux. Livio choisit alors de disparaître.

Brigitte Giraud, dans une construction assez simple, a donné la parole aux principaux protagonistes du drame, à tour de rôle. Camille, l’amie de toujours, Mme Martel la professeure d’histoire, Arthur, qui a mené avec Kenji la cabale contre Livio, la mère et le père de Livio, et jusqu’au dernier témoin, dont on ne révélera pas ici le nom. Mais derrière cette apparente simplicité, il y a une efficace construction romanesque qui fait se répondre ces voix parallèles. Chacune à leur place, elles s’interrogent sur le mystère de cette disparition et surtout sur la part de responsabilité que chacun porte, volontairement ou non. « Porté disparu » : le titre prend alors son sens plein. Et c’est un portrait en creux de Livio qui s’est tissé peu à peu lorsque l’ultime témoignage survient pour parachever le livre.

Pour écouter cette chronique (extrait lu à 03:22) :


Porté disparuBrigitte Giraud – l’école des loisirs – 2022 (164 pages, 12,00 €)


vendredi 10 mars 2023

Scarlett et Novak




Dans la jungle urbaine, sous une pluie persistante, Novak court. Il est presque minuit. Il fait nuit et il n’y a pas un chat le long du fleuve. Une voix familière, féminine, l’informe de son rythme cardiaque, de la longueur de sa foulée. Si Novak court, ce n’est pas pour le plaisir, ce soir. Deux hommes sont à ses trousses, dont il soupçonne les intentions : lui voler son portable. Et ils se rapprochent, irrésistiblement. Au lieu de se mettre dans le rouge, Novak pourrait s’arrêter, dire « pouce » à ses poursuivants et leur tendre gentiment son téléphone. Ça lui éviterait peut-être de se faire tabasser, en plus.

Mais Novak tient à son smartphone plus qu’à tout autre chose. À sa vie même. D’ailleurs ce n’est pas un smartphone, mais un brightphone de dernière génération, relié à son cerveau par conduction osseuse. 

Là vous commencez à comprendre. Nous ne sommes pas en 2023 mais dans un futur pas si éloigné que ça. La fille qui parle dans la tête de Novak s’appelle Scarlett, une « IA », en clair une intelligence artificielle. C’est sa compagne de tous les instants, au point que sans elle il est perdu.

Alors Novak court, de plus en plus vite, pendant que Scarlett continue à lui transmettre les valeurs de ses paramètres vitaux et le renseigne sur l’identité de ses poursuivants, Boris Bershov et Davor Suker, 23 et 26 ans, de nationalité inconnue. Ils ne semblent guère répertoriés, ce qui est encore moins rassurant.

D'ailleurs Scarlett demande à Novak s’il a peur. À ses données physiologiques, elle soupçonne quelque chose d’anormal dans son comportement. Novak lui crie « aide-moi ! » mais Scarlett ne sait que répondre à cet appel au secours et se contente d’égrener ses battements par minute et le rythme de diminution de sa masse graisseuse.

Vous l’avez deviné, ça va mal se passer pour Novak. C’est Alain Damasio qui a écrit cette poursuite haletante qui ne laisse aucun répit au jeune adolescent, ni au lecteur. Scarlett et Novak, c’est un conte d’avertissement moderne. À peine futuriste, il pointe les conséquences de notre dépendance de plus en plus accrue aux smartphones, aux réseaux et aux nouveaux modes d’appréhension des autres et du monde que ces outils technologiques tendent à imposer. La dyade que forme Novak avec son IA va exploser et Novak va se trouver désemparé à un point qu’il n’avait jamais imaginé.

Dans la revue des livres pour enfants de janvier 2023, passionnant numéro qui est consacré aux dystopies, Alain Damasio forme le vœu que son petit livre, le premier pour la jeunesse, soit utilisé comme support pédagogique pour inventorier toutes les composantes de l’addiction au smartphone et imaginer toutes celles à venir, dans ce monde qui fabrique, à notre insu, notre consentement et notre asservissement.

Pour écouter cette chronique (extrait lu à : ):

 


Scarlett et Novak - Alain Damasio - Rageot - 2021 (57 pages, 4,90 €)

vendredi 3 mars 2023

ALT chez La Martinière Jeunesse


Marie Bluteau, responsable éditoriale chez La Martinière Jeunesse, a fait le pari en ce début d’année 2023 de lancer une nouvelle collection de courts essais d’une trentaine de pages en direction des grands ados et des jeunes adultes, les 15-25 ans grosso modo. Au format d’une petite plaquette de 11 cm sur 17, vous les trouverez peut-être présentés à côté de la caisse de votre librairie, au tarif de 3,50 €.

Avec cette collection, dénommée « ALT » comme « altitude », l’éditrice se propose d’arracher  pendant quelques instants les mordu•es du portable à leurs réseaux sociaux,  non pas tant pour les confronter à l’avis tranché d’une spécialiste ou d’un expert que pour les faire entrer avec elle ou lui dans un mode de questionnement qui ouvre le champ des réponses plutôt qu’il ne le referme. 

Les trois premiers essais parus en janvier portent d’ailleurs un titre en forme de question : S’informer, à quoi bon ? Avorter, un droit en danger ? A-t-on encore le droit de changer d’avis ?

Le premier essai a été rédigé par Bruno Patino, l’actuel président d’ARTE,  la chaîne de télévision franco-allemande. L’auteur veut dissiper l’illusion que nous avons d’être surinformés et de tout savoir.  C’est justement ce qu’il nomme cette infobésité et la fatigue informationnelle qu’elle engendre qui rend indispensable de sortir d’une attitude purement passive et réceptive. Cette passivité pourrait faire de nous les jouets d’une « guerre des récits » qui fait rage sur les réseaux sociaux et menace l’information elle-même. S’informer est devenu un travail citoyen.

La deuxième plaquette aborde le délicat problème du droit des femmes confrontées à une grossesse non désirée et au risque, selon la formule de Me Gisèle Halimi employée en 1972 au procès de Bobigny, de « donner la vie par échec, par erreur, par oubli ». On sait qu’en France, l’interruption volontaire de grossesse a été dépénalisée par la loi Veil de 1975, soit dans une période relativement récente au regard de la longue histoire de cette question. Celle-ci est reprise, jusqu’à ses développements les plus récents - dans une optique résolument pro-choix, il faut le préciser ici - par le Dr Ghada Hatem, une médecin qui dirige la Maison des Femmes à Saint-Denis, où elle accueille les victimes de violences et les femmes confrontées à une grossesse non désirée.

Le troisième texte édité par La Martinière Jeunesse est dû à Blandine Rinkel, une écrivaine, journaliste et musicienne. Intitulé « A-t-on encore le droit de changer d’avis ? », écrit au « je », il se présente plus comme une confession personnelle que comme un essai à proprement parler. C’est la description d’un itinéraire où les choix qui lient alternent avec les choix qui libèrent. Mais il parlera à tous les jeunes pris dans les affres de ParcoursSup ou d’une orientation ultérieure, leur montrant qu’on peut décider de se couper les cheveux à 18 ans et de les laisser repousser quelques années plus tard. S’il se termine par un éloge de l’incertitude, c’est qu’au fond, Blandine Rinkel, qui préfère décidément lier plutôt que séparer, partage peut-être la position de Sainte-Thérèse de l’Enfant Jésus à qui l’on demandait de choisir et qui avait répondu : « Je choisis tout ».

Pour écouter cette chronique :


S'informer, à quoi bon ? par Bruno Patino - La Martinière Jeunesse, collection ALT (29 pages, 3,50 €)

Avorter, un droit en danger ? par Ghada Hatem - La Martinière Jeunesse, collection ALT (30 pages, 3,50 €)

A-t-on encore le droit de changer d'avis ? par Blandine Rinkel - La Martinière Jeunesse, collection ALT (30 pages, 3,50 €)



Un zoo à soi

  Vous connaissez peut-être Thomas Lavachery, l'écrivain belge dont l'école des loisirs a publié les aventures en huit tomes de Bjor...