lundi 18 avril 2016

Tous les héros s'appellent Phénix


Il était une fois un parâtre...


Nastasia Rugani n’a que 28 ans. Elle a été biberonnée au Hollandais sans peine (de Marie-Aude Murail) par sa maman, et elle a très peur de l'ogre. Un jour, la ficelle de son cerf-volant l’a tirée jusqu’en Amérique où elle a installé ses personnages. Nastasia est un écrivain.

Il y a un grand lac, gelé l’hiver car il fait très froid, deux sœurs inséparables, on ne sait pas si c’est l’aînée qui protège la cadette ou l’inverse. Mais c’est la première, Phénix qui raconte. Papa est parti un 1er juillet sans explications. Depuis cette disparition, maman, pardon Erika, car Phénix ne peut pas dire « maman », s’est réglée sur mère minimum. Jusqu’au jour où M. Smith, professeur d’anglais, récupère les deux filles en panne de vélo, dans la nuit noire. C’est Sacha qui n’a peur de rien, même pas du méchant loup qui croque les enfants, qui arrête la voiture. Et le gentil professeur d’entrer dans la maison et de charmer tout le monde. Erika retrouve le sourire. Mais peu à peu, Jessup - c’est le prénom de M. Smith, mais Cha a décidé aux beaux jours de l’appeler Jésus - Jessup-Jésus donc, qui ressemblait au début à un grand frère, va se transformer hideusement, comme dans un conte.

Nastasia Rugani conte avec une précision diabolique le lent et progressif enfermement de Phénix dans un silence terrifié qui la coupe progressivement de tout et de tous : les études, ses amies du collège, et même sa mère, aveuglée et souvent absente. Les coups pleuvent, aléatoirement, sans raison. Phénix dissimule les marques comme elle peut, invente des chutes, ment pour protéger Cha encore épargnée. Comme papa est loin, lui qui s’est pourtant enfin manifesté, comme ses cartes-postales semblent impuissantes. Qui va sauver les filles de leur bourreau, pervers à deux visages ? Phénix pourra-t-elle renaître ?

Histoire d’une emprise et d’une maltraitance, Tous les héros s’appellent Phénix est un roman dur, un quasi-polar, écrit sans graisse, tendu comme une gifle. Mais il provoque le lecteur à une intense empathie. Nous sommes aux côtés de l’héroïne, à lui souffler de fuir, à souffrir avec elle jusqu’à crier grâce, pour elle et pour tous les enfants semblablement martyrisés, à redouter, lecteur impuissant, un dénouement atroce comme un fait divers. Heureusement, Nastasia Rugani fait poindre un amour timide sur cet hiver américain et trace le portrait solaire de deux sœurs qui s’aiment avec une rare intensité. Ce lien-là semble indestructible.

mercredi 13 avril 2016

Sauveur & Fils, saison 1

Lecture pour tous

 

Après un silence de trois années, qu’elle a consacrées à la mise en ordre de riches archives familiales, Marie-Aude Murail remonte au front. Si 3000 façons de dire je t’aime, en 2013, rendait hommage au théâtre, Sauveur & Fils s’inscrit plutôt dans la lignée de Vive la République ! et de Papa et maman sont dans un bateau, en faisant défiler dans le cabinet d’un psychothérapeute la société qui nous entoure. Il s’ensuit une chronique tonique du monde contemporain, avec ses ados en mal d’école – et d’écoute de la part des adultes - ses familles décomposées et recomposées, les incertitudes de genre, les folies douces et les plus dramatiques, et bien sûr l’amour qui se faufile chaque fois qu’une porte s’entrouvre et qu’un esprit sort du brouillard ordinaire de l’existence.

Usant à l’envi des pouvoirs immenses du narrateur omniscient, l’auteure multiplie les angles de prise de vue sur les clients de Sauveur Saint-Yves. Lazare, le jeune fils de Sauveur est un de ces points de vue, depuis le jour où il a compris qu’il pouvait écouter discrètement le feuilleton des séances hebdomadaires, par la porte qui fait communiquer le cabinet avec la « VP », la vie privée du psychologue. Comme « no man is an island », et encore moins un homme sans passé, un Sauveur-dans-le-civil se dévoile aussi peu à peu, hors du cabinet, père, veuf et Antillais fort séduisant.

Il n’y a pas de « personnage secondaire » - fût-il un simple hamster - chez Marie-Aude Murail, c’est une des caractéristiques de son art romanesque, repérée depuis longtemps. De là la densité et la tension d’un livre, ici tout en dialogues et voix intérieures, économe en descriptions. Nulle servitude dans cette écriture faite de libres paroles qui se répondent. De semaine en semaine, on suit les jeunes et moins jeunes patients, dans l’intimité du cabinet de consultation et dans cette vie dite « réelle » qui les y ramène périodiquement comme vers un foyer de sens. L’émotion est souvent au rendez-vous. Et l’ensemble se lit le sourire aux lèvres. Comme si rien de grave ne pouvait se produire tant qu’on se parle.

La « saison 2 » déjà bouclée devrait paraître à la rentrée prochaine. En attendant la saison 3, en cours d’écriture. Marie-Aude Murail renouerait-elle avec la série, après les Mésaventures d’Émilien, Nils Hazard chasseur d’énigmes, Golem (chez Pocket), la trilogie Malo de Lange, ou, pour les plus jeunes, l’Espionne (chez Bayard) ? Elle semble en tout cas confortablement installée, et pour un bon moment, dans le canapé de Sauveur Saint-Yves, psychologue clinicien. Et nous avec elle.


Sauveur & Fils, saison 1 - Marie-Aude Murail - l'école des loisirs (331 pages, 17 €)

Les étincelles invisibles

  Nous sommes à Juniper, un petit village écossais proche d’Edimbourg. Adeline, dite Addie, a 11 ans et deux sœurs jumelles plus grandes, Ni...