vendredi 26 avril 2024

Sans crier gare

 


Aimez-vous les livres qui simultanément ou dans un ordre quelconque vous font peur, vous font pleurer et vous font rire tant et tant que vous ne les reposez qu'à contrecœur pour manger ou dormir et n'avez qu'une hâte, les rouvrir pour continuer votre lecture jusqu'à la dernière page ?

Alors celui que je viens de terminer est pour vous.

Nous sommes à l'été 1968, aux Etats-Unis. La guerre au Vietnam fait rage. Meryl Lee Kowalski, une teen-ager new-yorkaise, vient de perdre son meilleur ami Holling Hoodhood dans un accident de voiture stupide, alors qu'il allait voir un film stupide. Un Gouffre s'est alors ouvert sous ses pieds, qui se referme et se rouvre sans crier gare. Ses parents jugent urgent de dépayser leur fille d'un endroit où tout lui rappelle son Holling perdu à jamais et l'envoient poursuivre sa scolarité dans l'école de jeunes filles Sainte-Elene. Le jour de la rentrée, Meryl Lee est désespérée comme un chiot abandonné sur une aire d'autoroute quand la voiture de ses parents finit par quitter l'école malgré toutes ses supplications. Comment va-t-elle pouvoir survivre dans l'univers corseté du collège, à côté de riches pimbêches qui ne la calculent même pas ? C'est ce que le roman de Gary Schmidt raconte au long de ses quelque 460 pages.

Mais pas que. Car parallèlement aux destinées scolaires de ces demoiselles, se joue celle de Matt Coffin, un ado sauvage en fuite pour lequel Mme Nora MacKnockater, la principale du collège de Meryl Lee, va se prendre d'affection, on comprendra pourquoi plus tard. Que fuit Matt, serrant contre lui un taie d'oreiller bourrée de billets de 100 $ ? L'auteur va nous distiller peu à peu, à coups de retour en arrière, son itinéraire pour le moins effrayant. L'homme qui le traque, Leonidas Shug, ne le lâchera pas, se vengeant sur tous ceux qui auront aidé Matt dans sa fuite. Pourrait-il aussi s'attaquer à Mme MacKnockater, auprès de qui Matt a enfin trouvé un foyer ?

Il paraît que les parallèles se rejoignent à l'infini. Se pourrait-il que les destinées de Matt et de Meryl Lee se rencontrent avant ce terme improbable ?

La lecture de Sans crier gare se nourrit de cet espoir, si mince soit-il, il ne faut pas se le cacher. Entre la vie de jeunes collégiennes que leurs enseignantes destinent aux plus hauts Accomplissements (avec un A majuscule) et celle de Matt qui vit dans la terreur d'être retrouvé par celui qui a tué son meilleur ami, il n'y a pas grand rapport. Pourtant, pourtant... Ah, vous verrez bien. Lisez Gary D Schmidt !

Ce roman est le troisième d'une trilogie qui commence avec La guerre des mercredis que j'aurais pu vous présenter en 2016 si j'avais déjà sévi à l'époque sur cette antenne. J'avais presque oublié Gary Schmidt et combien ce qu'il écrivait faisait du bien à ses lecteurs. Comme j'ai oublié de lire le deuxième volet, Jusqu'ici, tout va bien, oubli que je vais me dépêcher de réparer. Pourquoi hésite-t-on à tout lire d'un auteur qu'on a aimé une fois ? Par peur d'être déçu ? Si on aime, n'est-ce pas pour toute la vie ?

Je vais me répéter mais la traductrice, Caroline Guilleminot, a su rendre avec une précision millimétrique un récit sous understatement permanent, vous savez ce style fait de litotes, d'euphémismes, qui dit les choses sans les dire tout en les disant et qui vous cueille régulièrement au détour d'une ligne, au moment où vous ne vous y attendez pas, d'un rire ou d'un sanglot, quand il ne vous fiche pas carrément la trouille.

Pour écouter cette chronique (extrait lu à 03:27) :



Sans crier gareGary D. Schmidt – traduit de l'anglais (États-Unis) par Caroline Guilleminot – Medium+ de l'école des loisirs (462 pages, 19 €)


vendredi 19 avril 2024

Les Mille vies d'Ismaël



 C'est un peu étrange de penser qu'on est au bout de sa vie alors même qu'on ne l'a pas encore commencée. C'est pourtant le sentiment qu'éprouve Ismaël, 15 ans, quand il se fait exclure temporairement de son collège, dans l'attente d'un conseil de discipline qui pourrait bien décider de l'en éjecter définitivement, juste avant le Brevet.

Sa mère, qui n'en peut plus de lui, l'expédie chez un oncle qui habite Lyon et qui, surprise, lui obtient un stage en cuisine dans un p'tit bouchon, comme on nomme là-bas les restaurants qui perpétuent les traditions des « Mères » de la cuisine lyonnaise.

Le Baron perché est dirigé par un Chef, Francis, qui tient sa petite équipe d'une main de fer : Ismaël n'était pas préparé à intégrer un véritable commando mais il en découvre rapidement l'effervescence et contre toute attente, ça lui plaît. Ce qui lui plaît aussi et surtout c'est Céleste, la fille aux yeux verts dont il tombe amoureux le premier jour, même s'il ne le sait pas encore, même s'il est à mille lieux de croire qu'il pourrait intéresser une fille comme elle, lui le métis en surpoids et en dreadlocks, toujours planté devant son ennemi n° 1 : le Frigo.

C'est qu'Ismaël porte un lourd secret, vieux de cinq ans, qui a mis son père en prison et sa vie en pause. Il n'arrive plus à avancer, ne fait que des conneries. La cuisine du Baron perché va le remettre en route.

On travaille beaucoup dans la restauration, avec une intensité qui culmine au moment du coup de feu et qu'on n'imagine pas, quand on est un client assis dans l'ambiance feutrée de la salle.

L'autrice des Mille vies d'Ismaël, Raphaëlle Calande, nous fait pénétrer au cœur de ce travail d'équipe, une chaîne dont tous les maillons sont solidaires, dans la réussite comme dans l'adversité : Nicolas, Djibril, Katal et Céleste, en cuisine, Malika et Quentin au service et Francis, le chef d'orchestre. Avec eux, grâce à eux, Ismaël va s'ouvrir mille vies. 

Logé chez son oncle et sa tante, Ismaël côtoie aussi leurs enfants, ses cousins et cousines, Juliette, Andréa et Lukas l'autiste, qu'il va apprendre à mieux connaître.

L'autrice nous fait aussi pénétrer dans le monde nocturne des graffeurs qui hantent les toits de Lyon, les squats, pour y laisser l'empreinte de leur passage et leur « blaze », cette signature colorée et inimitable inscrite, sur des surfaces a priori inaccessibles au commun des mortels. C'est un monde parfois dangereux, où des groupes racistes d'extrême-droite tentent de faire régner leur loi à coups de battes et de couteaux...

Si un roman mérite d'être qualifié d'apprentissage, c'est bien celui-là. La remise en route et l'éclosion d'Ismaël en sont l'épicentre, mais, autour de lui, Raphaëlle Calande brosse le portrait attachant de toute une jeunesse qui cherche sa voix et sa voie, sous le regard  d'adultes toujours prêts à leur refaire confiance, malgré les erreurs et les bêtises. Peut-être parce que ces adultes n'ont pas complètement oublié les leurs et qu'ils sont encore capables, eux aussi, d'en faire...

Pour écouter cette chronique (extrait lu à  03:04) :


Les Mille vies d'Ismaël et quelques saveurs en plusRaphaëlle Calande – X' Sarbacane (349 pages,  17,50 €)


vendredi 12 avril 2024

Le Soleil, la Lune et toi.

 


Si vous pensez que la Terre est plate et si votre femme croit que le Soleil tourne autour d'elle (la Terre), et surtout si vous avez des enfants, je ne peux que vous conseiller la lecture (urgente) de ces deux livres qui pourront vous faire découvrir quelques rudiments d'astronomie.

Evidemment, l'album consacré au Soleil est nettement plus lumineux et aurait tendance à éclipser (ah, ah !) son jumeau, qui parle de la Lune. Mais les deux ont été écrits par Cléa Dieudonné qui fait toute la lumière sur ces deux astres qui nous sont aussi familiers qu'inconnus.

Par exemple, saviez-vous... Non, je ne vais pas commencer à vous poser des questions qui pourraient vous mettre en difficulté et auxquelles moi-même je n'aurais pas su répondre avant d'avoir lu et relu ces deux beaux albums cartonnés qui ne redoutent pas les petites mains hésitantes.

Vous apprendrez quand même que le Soleil n'est pas né dans un chou, que les huit planètes qui tournent autour de lui sont distribuées autour d'une ceinture d'astéroïde. En deçà, il fait un peu chaud, au-delà il fait très froid. La Terre est du côté chaud mais son atmosphère nous a évité jusqu'ici de griller.

Avec la Lune, notre plus beau satellite - les autres sont artificiels, c'est toute la ferraille que nous envoyons en orbite depuis soixante ans et quelque - vous découvrirez ce qu'est la force d'attraction, pourquoi elle change de forme, du premier au dernier quartier, toussa toussa.

En bref Cléa Dieudonné m'a fait faire d'utiles révisions d'astronomie et je vais pouvoir continuer à chanter "Le Soleil a rendez-vous avec la Lune ♫"

Pour écouter cette chronique :



Le Soleil et toi - La Lune et toi - Cléa Dieudonné - albums cartonnés à partir de 5 ans, accompagné - L'Agrume - 2024 (64 pages, 14 €)


vendredi 5 avril 2024

Wendigo

 


Une autrice peut en cacher une autre. Dans sa première vie, Emmanuelle Bayamack-Tam est professeur de lettres dans un lycée de banlieue. Elle a publié sous ce nom de plume plusieurs romans chez P.O.L. Sous le pseudonyme de Rebecca Lighieri, elle a écrit aussi Éden, roman pour la jeunesse publié en 2019 par l'école des loisirs et elle a récidivé en 2023 avec Wendigo, chez le même éditeur.
« Wendigo », c'est le nom secret que s'est donné Ivo, le frère de Selma. C'est aussi celui d'une créature fantastique, mi-humaine mi-animale issue de la mythologie des Algonquins du Canada. Quand l'histoire commence, Selma ne le sait pas encore et vit une vie de collégienne apparemment sans histoire, dans une bonne petite famille de la classe moyenne supérieure, avec deux parents professeurs en faculté. Selma a 14 ans et Ivo un an de plus. Et c'est Selma qui raconte son histoire. Et plus précisément l'histoire d'Ivo  à laquelle elle va être irrésistiblement mêlée.
Car Ivo, à quinze ans, est un garçon étrange, pas très causant, mais plutôt populaire et respecté au collège. Et comme il est beau gosse, il plaît aux filles, qui ne semblent pas l'intéresser plus que ça. Rapidement, Selma s'aperçoit que son frère mène une vie cachée, à l'insu de ses parents, qui sont trop occupés pour s'en apercevoir. Mais Selma sait par exemple qu'Ivo passe une bonne partie de ses nuits dehors, s'échappant discrètement de la maison par les branches d'un arbre qui caressent la fenêtre de sa chambre. Ivo est un garçon très physique, qui n'a pas froid aux yeux. Mais où va Ivo la nuit, que fait-il ? Mystère. 
Selma a une bonne copine, Rose, et un chat, Griffon. Pour l'heure, ça lui suffit. Mais un beau jour, une certaine Alice la contacte. Elle s'intéresse à son frère et lui suggère de s'entremettre auprès de lui. Ivo et Alice commencent une liaison. La famille d'Alice chasse, et Ivo demande à ses parents l'autorisation d'aller chasser avec elle le sanglier en Corse. Refus interloqué des parents. Qui sont intrigués aussi par le goût croissant de leur fils pour la viande, eux qui sont plutôt végétariens...
Par petites touches, Rebecca Lighieri  déplace lentement le récit de Selma vers un arrière-monde fantastique jusqu'ici invisible. Et puis un jour, Ivo révèle à Selma qu'il est en fait un thérian, capable de se transformer en animal. Et qu'il appartient à un groupe de thérians comme lui qui cherchent à comprendre les raisons de leurs nouveaux pouvoirs dus à des mutations qui semblent devoir frapper progressivement l'espèce humaine. D'où ses sorties nocturnes. 
La trame du monde est perturbée. Est-ce une réaction de Gaïa,  la terre-mère, face aux prédations que les humains exercent sur la nature et les ressources de la Terre ? Des forces contraires travaillent dans l'ombre et pourraient bien s'affronter au grand jour. Rebecca Lighieri nous entraîne irrésistiblement vers un combat qui va s'avérer dantesque, et dont Selma va être la spectatrice impuissante.

Pour écouter cette chronique (extrait lu à  02:54) :



Wendigo Rebecca Lighieri – Medium + de l'école des loisirs - 2023 (221 pages, 15 €)

Sans crier gare

  Aimez-vous les livres qui simultanément ou dans un ordre quelconque vous font peur, vous font pleurer et vous font rire tant et tant que v...