vendredi 26 février 2021

La faille



Il fait anormalement chaud cet été-là à Viskow, petite ville du littoral écossais. C’est le début des vacances et Mairead Kereban est dans sa treizième année. Elle a toujours connu la toux persistante d’Olbac son père, Lisa sa mère a perdu ses cheveux et elle, elle a de sérieux acouphènes. D’ailleurs, on lui fait passer régulièrement des visites médicales. À part ça, tout est normal. Enfin presque. La plage est bien tentante par cette canicule exceptionnelle, pourtant la baignade est interdite, depuis toujours. Il y a une grande usine au bout de la digue, qui produisait de l’électricité, mais qui semble être à l’arrêt, désaffectée. Il n’y a plus qu’une boutique dans le village, qui s’est progressivement vidée de ses habitants.

Heureusement pour Mairead, il y a Trent, un garçon qui est arrivé récemment avec sa petite sœur et leur père, un monsieur très occupé qui travaille dans une multinationale et qui s’absente fréquemment. Les parents de Mairead ont été très étonnés de les voir s’installer dans ce bout du monde délaissé. Mairead et Trent ont un banc où ils ont pris l’habitude de se retrouver et de se poser des questions métaphysiques du style « tu crois à la vie après la mort ? » C’est doux et tranquille, et puis, pour passer l’été, s’ennuyer à deux, c’est mieux que tout seul.

Mais c’est d’autres questions plus concrètes posées par un certain Ravenale, enquêteur ou journaliste, on ne sait pas trop, qui vont intriguer Mairead et la réveiller de ses 12 années de sommeil. Il y a décidément un mystère dans ce village, autour de cette usine et de tous ces gens qui sont partis. Les parents de Mairead ont l’air de ne rien savoir, ou détournent la conversation, gênés. Alors Mairead va enquêter, avec l’aide de Trent. Et peut-être découvrira-t-elle qui est ce grand jeune homme pris en photo avec elle, quand elle avait 2 ans ?

Pour son premier roman, Laëtitia Casado, plante un décor subtilement oppressant qui déteint progressivement sur son héroïne. De quels graves événements ce décor a-t-il été le théâtre, c’est ce que Mairead va découvrir, au prix de quelques expéditions risquées, les premières à l’insu de ses parents. L’idée d’une vérité à trouver, la certitude croissante qu’on lui cache des choses depuis douze ans, pour la protéger malgré elle, vont l’aider à s’émanciper de la bulle familiale, avec la complicité de Trent. C’est au bout du récit que Mairead comprendra ce qui s’est passé à Viskow peu après sa naissance. Le lecteur ou la lectrice, eux, auront pris un peu d’avance sur la jeune fille, car ils auront découvert parallèlement, dans le journal d’un certain Archie, employé à la sécurité de l’usine, que celle-ci était en fait une centrale nucléaire.

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Pour écouter cette chronique (extrait lu à 02:41) :


La faille – Laëtitia Casado – 2020 – Le Muscadier (191 pages, 13,50 €)


vendredi 19 février 2021

Soleil jusqu'à la fin




Pour faire un bon récit d’apprentissage, on connaît la recette : prendre un enfant avec de fortes capacités de résilience, supprimer père et mère dès les premières pages – les pères c’est facile, le boulot est déjà fait, en général, ils sont partis depuis longtemps - et lancer le gamin ou la gamine dans la vie sans autre forme d’avertissement. L’aventure peut commencer.

Mélanie Georgelin s’est souvenu visiblement de ces ingrédients en écrivant Soleil jusqu’à la fin. Bien sûr, on ne peut pas tuer tout le monde au départ, il y a toujours un proche parent qui traîne dans les parages. Pour Amaya, qui est restée prostrée huit jours à côté de sa mère morte jusqu’à ce que les policiers la trouvent, il y a Tante Theresa. Mais Tante Theresa va s’avérer être un plan B foireux. Elle est gentille mais trop encombrée d’elle-même et de ses cinq fils pour s’occuper d’Amaya. Page 17, Tante Theresa dépose donc Amaya sur le trottoir d’une MECS qui a bien voulu prendre en charge sa nièce. Bienvenue aux Coucous. L’aventure peut re-commencer, après ce faux départ nécessaire.

Amaya n’arrive pas seule aux Coucous. Elle traîne derrière elle sa fidèle Soledad, une poupée de chiffon assez bavarde, alter ego d’Amaya, qui la réconforte ou l’engueule selon le moment et l’humeur. Mais me direz-vous, qu’est-ce qu’une MECS ? MECS,  c’est l’acronyme de Maison d’enfant à caractère spécial, destinée à l’accueil temporaire des mineurs en difficultés. Et on peut considérer qu’Amaya, orpheline de fraiche date, après avoir tenté sa tante, est effectivement sérieusement en difficulté et relève des Coucous. C’est un vieux type tout racorni – c’est Amaya qui parle – qui l’accueille : Cactus. Cactus se rend compte tout de suite que ça ne va pas être facile avec Amaya. Mais il en a vu d’autres, et pour l’heure, il a déjà Tom, qui a passé des années dans un lit à barreaux avant qu’on s’aperçoive qu’il était devenu un peu grand, Pepito, bébé secoué par son père qui s’est retrouvé dans un fauteuil roulant et qui marche à l’oxygène, Djibril, 16 ans et toutes ses dents mais il ne sait pas comment il a réussi à les conserver, Svetlana prostituée à 14 ans, Danaé violée par son père et filmée par sa mère, Ruby née de père inconnu et de mère toxico, etc.… Donc, oui, Amaya, un peu rugueuse de prime abord, n’impressionne pas Cactus. Et Amaya va trouver sa place, aidée par Soledad qui ne la quitte pas d’une semelle et n’a pas non plus sa langue dans sa poche. Tout va bien, d’autant qu’il y a Billie, la plus chouette éducatrice de la Terre. Tout va bien jusqu’au jour où tout va mal, très mal, à un point qu’on ne racontera pas ici.

Le roman bascule alors et change d’horizon. Amaya est exfiltrée des Coucous, direction la montagne, chez Pierre et Madeleine, un vieux couple sans enfants mais rompu à l’accueil de ceux qu’on dit difficiles. Vont-ils réussir à apprivoiser Amaya et l’aider à se reconstruire après le nouveau drame des Coucous ? C’est l’enjeu de la deuxième partie du roman de Mélanie Georgelin. On suit avec attendrissement les efforts de Madeleine et surtout de Pierrot, moins à l’aise avec cette fille qui semble le rejeter. Heureusement, le titre ne ment pas : c’est soleil jusqu’à la fin, même si Amaya devra quitter ceux qu'elle aurait bien adoptés, au final.

Racontant l’histoire d’Amaya du point de vue de la jeune fille, lui prêtant souvent sa voix, presque trop parfois, Mélanie Georgelin dresse le tableau tantôt pathétique tantôt rassérénant d’une enfance en danger perpétuel qui grandit malgré tout. Pour une Amaya qui va s’en sortir, combien resteront à la porte de la vie ? La réponse est entre les mains de tous ces Cactus et de toutes ces Billie, de tous ces Pierrot et ces Madeleine qui œuvrent tous les jours en silence à l’accueil et à l’éducation des enfants meurtris mais toujours en vie.

Pour écouter cette chronique (extrait lu à 03:52) :


Soleil jusqu’à la fin – Mélanie Georgelin – Sarbacane – 2021 (277 pages – 16 €)


vendredi 12 février 2021

Isabelle/Porculus



Connaissez-vous Arnold Lobel ? Si vous avez eu des enfants ou des petits-enfants dans les années 70, peut-être leur avez-vous lu et relu plusieurs soirs d’affilée les Sept histoires de souris ? Et vous qui étiez ce petit garçon ou cette petite fille à la même époque, peut-être vous souvenez-vous de la jument Isabelle et du cochon Porculus ? 

Arnold Lobel est un illustrateur américain que l’autrice Sophie Chérer présente ainsi : « Arnold Lobel vivait à Brooklyn avec sa femme Anita, dessinatrice comme lui, et leurs deux enfants. Arnold Lobel ressemblait au Papa Souris de Sept histoires de souris : lunettes carrées, une moustache noire et drue, un regard bon et malicieux, et surtout l'aptitude perpétuelle à dénicher en toute chose ce qu'elle contient de poétique et de drôle. Arnold Lobel ressemblait aussi au petit éléphant d' « Oncle éléphant ». Il avait été élevé par sa grand-mère très aimante. En vieillissant, elle s'était mise à perdre la tête. Devenu grand, Arnold avait souffert de ne plus pouvoir communiquer avec elle comme avant, et c'est alors qu'il avait écrit Oncle éléphant, pour immortaliser la relation idéale, rêvée, entre un adulte et un enfant. Arnold Lobel est mort à 54 ans, en 1987. » Fin de citation.

L’école des loisirs qui a conservé fidèlement les œuvres de Lobel à son catalogue, vient de rééditer Isabelle et Porculus, dans la traduction d’Adolphe Chagot, en deux beaux albums reliés, sous une couverture solide et rassurante.

Les deux histoires, celle de la jument Isabelle et celle du cochon Porculus, se déroulent chez un couple de paysans d’opérette, le fermier et sa femme. Si le fermier, avec sa salopette rouge, son chapeau de paille et ses souliers à lacets ressemble assez peu à l’image qu’on peut se faire d’un agriculteur, la femme du fermier est encore plus éloignée des stéréotypes du milieu, quand Lobel la campe dans son intérieur petit-bourgeois, buvant du thé et écoutant la radio, toujours prête à convoquer chez elle sa kyrielle de copines chic de la ville, en robes et chapeaux.

C’est d’ailleurs à ses idées excentriques qu’Isabelle et Porculus vont devoir leurs aventures. Quand la jument se met en tête de devenir une dame, la femme du fermier l’y encourage et l’emmène faire les magasins pour l’habiller de la tête aux pieds. Mais à chasser le naturel, il revient au galop, c’est le cas de le dire. Isabelle ne supportera pas longtemps l’accoutrement dont elle a été affublée.

Quant à Porculus, c’est encore à une initiative intempestive de la femme du fermier que l’on doit son histoire. Lorsque celle-ci décide de faire subir à la ferme une opération propreté intégrale, jusqu’à supprimer la boue dans laquelle s’ébat joyeusement le cochon, le pauvre Porculus va s’enfuir pour tenter de retrouver son élément naturel. Cette fugue compose le cœur du récit.

Dans les deux histoires, la narration obéit au même principe : une boucle rassurante qui, à l’issue de leur aventure, ramène les deux animaux à leur point de départ. Après avoir été un moment déstabilisés et pour ainsi dire dénaturés - la jument Isabelle par ses vêtements, le cochon Porculus par son expérience mouvementée de la ville - les deux animaux retrouvent leur vie d’avant. On n’est jamais si bien que chez papa-maman pourrait être la morale un tantinet conservatrice de ces deux contes. Mais ces albums, vifs et gais, offrent à tous les âges plusieurs niveaux de lecture et d’identification, tant pour les adultes qui le liront à voix haute que pour les jeunes enfants, filles ou garçons, qui se projetteront aisément dans Isabelle ou Porculus et leurs envies passagères du monde adulte et de ses promesses de liberté.

Pour écouter cette chronique (extrait d'Isabelle lu à 03:42) :


Isabelle – Arnold Lobel – l’école des loisirs – album (66 pages, 12 €)

Porculus – Arnold Lobel – l’école des loisirs – album (68 pages, 12 €)


vendredi 5 février 2021

Angie !

 




Marie-Aude Murail et son frère Lorris n’avaient pas écrit ensemble pour la jeunesse depuis les années 2000, quand ils nous racontaient Golem (2002) à trois avec leur sœur Elvire , alias Moka, et puis, à deux, L’expérienceur (2003), deux romans récemment réédités.

Et voici que l’école des loisirs vient de publier mercredi Angie !,  un roman policier que les deux écrivains, à nouveau associés, ont voulu situer au Havre, leur ville natale, où leur enfance et leurs premiers jeux en commun se sont inventés.

Augustin Maupetit est capitaine à la brigade locale des Stupéfiants. Une course-poursuite en moto parmi les conteneurs de Port 2000 l’envoie brutalement dans le décor et il se retrouve cloué dans un fauteuil roulant pour une durée indéterminée, au troisième étage sans ascenseur de sa résidence. Qui va bien pouvoir descendre faire pisser sa plus fidèle compagne, j’ai nommé Capitaine, une chienne malinoise qui le seconde de son flair infaillible dans toutes ses enquêtes ?

La solution s’appelle Angie Tourniquet, 12 ans, sa voisine de palier qui vit avec sa mère Emma, infirmière à domicile dans le quartier ouvrier des Neiges. Nous sommes en mars 2020, la France vient d’être confinée pour cause de Covid, Angie la collégienne est censée faire l’école à la maison, mais elle va surtout s’incruster chez Augustin et devenir rapidement l’auxiliaire indispensable du policier. Ceci au grand dam de sa mère qui, circonstance aggravante, n’est pas totalement indifférente, elle non plus, au charme rugueux de son voisin, qu’elle découvre grâce au confinement.

Voulant retrouver à tout prix celui qui l’a balancé de sa Yamaha, Augustin, apparemment réduit à l’impuissance, va devoir mener ses investigations par personnes interposées avec des méthodes pas totalement orthodoxes, que sa commissaire Alice Verne, conquête d’un soir et néanmoins supérieure hiérarchique aura le plus grand mal à canaliser.

La mort atroce d’un jeune docker, dont le grand-père est un patient d’Emma, l’implication probable d’un riche importateur de café dans le trafic de cocaïne havrais, qui va faire ressurgir une vieille affaire criminelle mal résolue douze ans auparavant, vont entraîner Augustin, mais aussi Angie et Emma dans une enquête aux multiples ramifications, face à des trafiquants prêts à tout, enlèvements et assassinats inclus, pour protéger leurs filières criminelles.

Alors que la ville portuaire vit à l’heure nouvelle du coronavirus et du confinement, Marie-Aude et Lorris Murail brossent une comédie policière au temps présent, âpre et tendre, sombre et réjouissante. Leurs personnages sont intensément vivants, la trame du récit est serrée, deux marques de fabrique des Murail. Et ainsi, Angie ! est sans doute l’un des premiers grands romans jeunesse à rendre compte de la période si étrange que nous traversons depuis bientôt un an. 

Pour écouter cette chronique (extrait lu à  03:05) :


Angie ! – Marie-Aude et Lorris Murail – 2021 – l’école des loisirs (443 pages, 17 €)

Les étincelles invisibles

  Nous sommes à Juniper, un petit village écossais proche d’Edimbourg. Adeline, dite Addie, a 11 ans et deux sœurs jumelles plus grandes, Ni...