vendredi 25 juin 2021

Horror Games : Ne te retourne pas ! & Attention, collège zombie !

 Quand le virtuel s’invite dans la vraie vie.




Aujourd’hui, on se fait peur. Horror Games : c’est sous ce titre anglais inquiétant que les éditions playBac viennent de publier début juin les deux premiers livres d’une série prometteuse, écrite par l’autrice N. M. Zimmermann et destinée aux pré-adolescent•es adeptes du grand frisson. Les deux récits, sous-titrés respectivement Ne te retourne pas !  et Attention, collège zombie ! mettent en scène des ados saisis dans leurs biotopes, soit : principalement le jeu vidéo et accessoirement la vie en famille et au collège. Si les deux histoires peuvent se lire de façon totalement indépendante, c’est un même jeu qui est au centre, baptisé Mythomonsters, jeu qui réserve quelques surprises à ses participants. Des mauvaises surprises, bien sûr.

L’autrice a en effet choisi de rendre poreuse la frontière qui sépare normalement le monde virtuel de la réalité quotidienne. D’ailleurs, l’investissement et l’immersion des joueurs sont tels qu’il n’est pas entièrement invraisemblable que les personnages du jeu, en retour, fassent tôt ou tard irruption dans leurs vies voire en prennent le contrôle, d’une manière ou d’une autre. 

C’est cette perspective glaçante qui se réalise dans Ne te retourne pas ! Enzo et ses trois camarades, Alice, Naël et Jennifer qui jouent en réseau sur Mythomonsters déclenchent un « événement spécial » sous forme d’un ultimatum lancé par le jeu lui-même : les quatre amis ont 48 h pour rattraper une Érinye, une redoutable déesse de la vengeance, qui s’en est échappée. C’est Enzo qui va mesurer progressivement les conséquences terribles de cette sortie intempestive en constatant que ses trois ami•es disparaissent les un•es après les autres du collège. Comme s’iels n’avaient jamais existé. Comme si le réel lui-même s’était détraqué.

Dans la deuxième histoire, deux jumeaux, Zoé et Sébastien font leur rentrée dans un nouveau collège où l’ambiance est d’emblée très étrange. Il semble que tous les élèves y passent leur journée à jouer à Mythomonsters et que les professeurs aient déjà renoncé à faire cours préférant diffuser des films, comme certains le font parfois, mais seulement en fin d’année scolaire. Par touches successives, les deux jeunes héros prennent conscience de l’emprise anormale du jeu sur les élèves, les enseignants et même l’administration. Aussi  quand Sébastien semble à son tour hypnotisé par son écran, Zoé sait qu’elle va devoir trouver le moyen de rompre le charme maléfique qui a envouté le collège tout entier. D’autant qu’elle découvre qu’une armée de zombies s’apprête à l’envahir. Pourra-t-elle y faire face seule, maintenant que son frère semble lui aussi hors service ?

Par glissements progressifs, Zimmermann construit pour ses personnages une réalité alternative et angoissante, entraînant au passage son lecteur dans une aventure en lisière du fantastique et de l’horreur. Abusez du virtuel, il en restera toujours quelque chose dans la réalité… Nul doute que les amateurs du genre vont en redemander tant l’autrice sait rendre ses univers de fiction aussi attractifs qu’effrayants.

Pour écouter cette chronique (extrait lu à 03:26) :


Horror Games, une série de N. M. Zimmermann – playBac – 2021 (123 pages et 125 pages, 8,90 €). À partir de 9 ans.



vendredi 18 juin 2021

Broadway Limited - 1. Un dîner avec Cary Grant


Chers lecteurs et lectrices, si vous ne savez pas quoi faire de l’été qui arrive, plongez-vous toutes affaires cessantes dans la trilogie new-yorkaise que Malika Ferdjoukh vient enfin d’achever, Broadway Limited. Soit quelque 1700 pages, dont je viendrai à bout sans peine dans les jours qui suivent mais dont je ne peux m’empêcher de vous parler dès aujourd’hui ayant lu le premier tome et sérieusement entamé le second.

Bienvenue donc dans la pension Giboulée, exclusivement réservée aux jeunes filles, mais où le jeune Jocelyn va être admis en vertu d’une dérogation qui fournirait à elle seule matière à roman. Céleste et Artemisia, les deux sœurs qui tiennent cet établissement d’une main de fer, ont eu une faiblesse inexplicable pour ce jeune Français débarqué chez elle par erreur sur la foi d’un prénom épicène jugé féminin par nos Américaines : est-ce parce qu’il vient de Paris, qu’il a 17 ans, qu’il est pianiste et plutôt beau gosse ou qu’il avait dans ses bagages un délicieux velouté d’asperges amoureusement préparé par sa mère  ? Le puritanisme a parfois ses faiblesses, outre-Atlantique. Vous en jugerez par vous-mêmes.

Nous sommes en 1948. Toutes les jeunes filles de la pension rêvent, qui d’être comédienne ou chanteuse, qui de devenir danseuse. Elles  voient déjà leur nom en haut de l’affiche, là où scintillent pour l’heure ceux de Clark Gable  et Fred Astaire, Cary Grant et Grace Kelly, Sarah Vaughan et James Stewart. Mais en ces années d’après-guerre, l’Amérique est aussi la proie d’une chasse aux sorcières qui poursuit le moindre petit soupçon de sympathie pour le communisme. Dans les milieux artistiques, être traduit devant la redoutée commission de la Chambre des représentants chargée de cette campagne d’épuration, peut signifier la fin brutale d’une carrière au théâtre, au cinéma ou dans la chanson, sur la foi souvent d’une simple dénonciation anonyme.

Elles ont nom ou pseudo Manhattan, Chic, Page, Hadley, Etchika et Ursula et, nous prévient la 4ème de couverture, sont éminemment « turbulentes, éblouissantes, hardies et étourdissantes ». Notre petit poussin français va-t-il se faire croquer tout cru par l’une d’entre elles ou par toutes à la fois? Ou bien nos Américaines seront-elles trop occupées à se tailler une place dans un monde artistique plutôt impitoyable pour s’attaquer à Jocelyn ? Vous l’apprendrez rapidement. 

Malika Ferdjoukh dresse un portrait trépidant de la Grosse Pomme. Surtout, elle suit Jocelyn et chacune des jeunes filles dans leur exploration de la vie qui commence, pour elles et lui, dans ce moment de grâce absolue où tout semble possible. Parce que l’une pense avoir retrouvé son père qui l’a abandonnée il y a fort longtemps, parce que l’autre est tombée éperdument amoureuse d’un militaire dans le train qui l’amenait à New-York et qu’elle a perdu son adresse, parce que chacune a une histoire particulière et semble prête à tomber en amour à chaque instant, le récit de notre autrice électrise le lecteur. Malika Ferdjoukh ne manque pas non plus de faire rimer amour et humour, pour grimer les peurs et les chagrins, sur fond d’une rage commune : réussir. Le premier tome - sous-titré Un dîner avec Cary Grant - s’achève dans la fièvre de Noël, qui ferait presque fondre la neige qui s’est abattue sur la ville. À lire de 12 à 102 ans !

Pour écouter cette chronique (extrait lu à 03:26 ) :



Broadway Limited – une trilogie new-yorkaise – Malika Ferdjoukh – l’école des loisirs – 2015-2021 (1735 pages)

vendredi 4 juin 2021

La capucine



Avec La capucine, son dernier roman paru, Marie Desplechin a remis sur le métier le portrait d’une époque qu’elle affectionne particulièrement : la fin du XIXe siècle français, à travers le personnage de Louise, une jeune fille de 13 ans qui travaille –durement – parmi les maraîchers de Bobigny, terre humide et fertile qui alimente « le ventre de Paris », immortalisé par Émile Zola.

L’autrice nous avait déjà donné Lucie, dans Satin grenadine puis Séraphine dans le livre éponyme. Pour ce troisième opus, elle nous offre encore un beau portrait d’adolescente, même si en 1885, l’adolescence n’existe guère : pour les filles de ce siècle finissant, l’enfance semble basculer directement dans l’âge adulte.

Comment Louise a atterri au milieu des champs de salades, de choux et de carottes de ce qu’on n’appelle pas encore la banlieue parisienne est conté en quelques pages. Placée à 11 ans chez un maraîcher qui l’exploite sans vergogne, elle se prend de passion pour ce métier. La nature l’a dotée heureusement d’une solide constitution et les hasards de la vie d’un génie tutélaire, Bernadette, la reine du confit. Bernadette se prend aussi pour la réincarnation de Victor Hugo et va se faire une réputation usurpée de médium chez les bourgeois, où elle a réussi à placer Clémence, la mère de Louise.

Chaque matin, avant l’aube, il faut charger de légumes le tombereau, qui, tiré par Bonasson, un vieux cheval qui connaît la route par cœur, va emmener le maître somnolent jusqu’aux Halles, à dix kilomètres de là, dans ce cœur où tout Paris vient trouver de quoi se nourrir. Gaston qui est veuf, a un fils, Albert, qui est un bon à rien doublé d’un fainéant. Il va vite se rendre compte que Louise est une travailleuse infatigable, qui aime son métier et le fait bien. Au fond, s’il arrivait à la marier à son drôle, cela ferait bien son affaire, au final.

Mais c’est sans compter avec le caractère de Louise, métisse à la crinière indomptable qu’Albert a surnommée la Scarole. Lassée par les brimades du fils et les exigences du père, Louise va fuguer pour retrouver sa mère chez les d’Argenton où celle-ci est domestique, au risque de se perdre dans Paris, elle qui ne connaît que le chemin qui la mène aux Halles.

Marie Desplechin nous plonge dans un monde effervescent où tout est en train de s’inventer : le socialisme, le féminisme et où l’on chante Dansons la capucine sur l’air de la Carmagnole révolutionnaire. Ses personnages vivent intensément dans cette époque où tout se transforme et s’accélère, et qui ressemble, par bien des aspects, à la nôtre. Le courage en plus.

Pour écouter cette chronique (extrait lu à 02:50) :

La capucine (Les filles du siècle) – Marie Desplechin – l’école des loisirs – 2020 (220 pages, 15 €)


Le Soleil, la Lune et toi.

  Si vous pensez que la Terre est plate et si votre femme croit que le Soleil tourne autour d'elle (la Terre), et surtout si vous avez d...