vendredi 30 septembre 2022

Les histoires, ça ne devrait jamais finir


Lorsque Maria Zumaï, l'autrice-mystère de la célébrissime trilogie des Mondes invisibles annonce via son éditeur qu'elle n’écrira pas le tome 4, la communauté de ses jeunes adeptes crie, hurle et pleure son désarroi à gros bouillons de posts, textos et autres manifestions numériques familières à cette génération. Lucien est de celle-ci, lui qui avait dix ans quand le tome 1 est sorti, douze pour le tome 2 et quatorze pour le tome 3. Et aujourd'hui, 16.  Lucien qui ne s'est toujours pas remis, quatre ans après, de la mort de Max, son meilleur et unique ami avec lequel il a partagé jusqu'au dernier jour sa passion pour la saga de Maria Zumaï. Les histoires d'amitié, ça ne devrait jamais finir.

En fait, Lucien a deux vies. Dans la vie civile, c'est-à-dire  présentement le lycée et l'internat, il n'est que Lucien, un solitaire qui est de son propre aveu « franchement nul pour se faire des amis ». Heureusement, il est tombé sur Albert, un colocataire à fixettes lui-aussi, pas dérangeant donc. Car en dehors de l'internat, il y a l'internet, où Lucien a choisi d’être « Zora, l'une des autrices de fanfictions de Maria Zumaï les plus lues et les plus commentées ». Une fille, tiens donc. Une vedette du Net, en tout cas. Raison pour laquelle Lucien se sent mieux dans sa seconde vie.

Évidemment tant que son genre d'adoption n'est connu que de lui, Lucien peut entretenir la fiction de Zora auprès de Xena et Yuna, ses meilleures amies virtuelles. Mais quand les deux plus une présumées filles décident de se rencontrer dans la vraie vie pour démasquer Maria Zumaï et la convaincre d'écrire le tome 4, les choses vont se compliquer pour Lucien.

Mieux que ne le ferait une étude sociologique, l'autrice Esmé Planchon nous plonge dans le type de communauté qui se crée  aujourd'hui en littérature jeunesse autour d'une œuvre à succès (comme il y en a aussi autour des jeux vidéo). Il s'agit généralement d'une saga romanesque en plusieurs tomes, dont Harry Potter constitue toujours le modèle de référence, jusqu'ici inégalé. L'autrice a soigneusement reconstitué le décor – en l'occurrence la série fantastique des Mondes invisibles créée de toutes pièces - les outils et les usages d'un « fandom » et de ses membres. Les messages enthousiastes, les attentes fébriles de réponses, les manques à vivre comblés par l'écriture en ligne, les échanges passionnés en duo ou en multi, rien ne manque au tableau saisissant de cette génération qui a basculé dans d’imaginaires vies parallèles et pour qui la vertu semble être d'augmenter le virtuel.

En menant l'enquête dans la vie dite réelle, Lucien alias Zora, de fausses pistes en vraies rencontres découvrira-t-iel qui se cache  derrière son autrice fétiche ? Il se pourrait aussi que lui soit révélé le rapport qu'il entretient avec son double féminin, en retrouvant sur son chemin, aussi surpris que lui et un peu gêné, le grand frère de Yuna. Il arrive que le hasard fasse bien les choses. N'est-ce pas une bonne raison pour y croire ?

Pour écouter cette chronique (extrait lu à 03:09 ) :

Les histoires, ça ne devrait jamais finir - Esmé Planchon - Bayard - 2022 (388 pages, 13,90 €) 
















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