vendredi 20 janvier 2023

Derrière le rideau



Nous sommes quelque part en Provence, en 1937. Yaël vient d'avoir 8 ans et ses parents ont organisé une réception en son honneur. C'est elle qui raconte et qui nous présente sa famille. Ses grands-parents maternels sont là aussi, alors qu'on ne les voit pas souvent. Il faut dire qu'entre eux, ils appellent leur gendre "le goy", un surnom que Yaël saisit au vol et dont elle ignore le sens. Elle l'apprendra en questionnant sa mère quelque temps après. Mais c'est un autre secret, d'alcôve celui-là, qu'elle devine ce même jour au cours d'une partie de cache-cache dans la maison avec Émilie sa sœur et Julien son cousin : elle surprend son père caché, avec une jeune femme blonde, derrière le rideau de la chambre d'amis, ce rideau qui donne son nom à cette bande dessinée écrite et illustrée par Sara del Giudice.

Et le temps passe, inexorablement. 1938, la mère meurt, 1939 le père se remarie avec Ophélie, qui n'est autre que la blonde que Yaël a entrevue deux années auparavant. Mais surtout, pour nous qui savons l'Histoire, un compte à rebours s'est déclenché et la guerre approche à l'insu de Yaël et de sa sœur Émilie.

L'autrice-illustratrice nous conte alors l'impact de la guerre sur la vie familiale, vu par une enfant qui découvre peu à peu sa judéité à travers les persécutions dont vont être victimes tous les Juifs de France. Le père est mobilisé puis revient, mais paraît aussi défait que la France vient de l'être. Puis un jour, alors qu'il s'est absenté, des gendarmes se présentent à son domicile. C'est Mme Simon, la fidèle gouvernante, qui les reçoit. Yaël a l'idée de se cacher avec sa sœur derrière le fameux rideau de la chambre d'amis. Seront-elles découvertes par les gendarmes venus les arrêter ?

Cette BD de Sara del Giudice, qui expose à nouveau ce moment tragique pour l'humanité et pour notre pays, sans pathos inutile, est exceptionnellement maîtrisée pour une première œuvre. Le dessin, clair et délicat, s'est mis à hauteur d'enfant, comme le récit. Les couleurs, aux dominantes sépia, renvoient avec mélancolie à ce temps pas si lointain qu'il faut continuer à raconter, inlassablement, aux jeunes générations. C'est sans doute pour celles-ci que l'autrice a ajouté un dossier d'une dizaine de pages, qui restitue le contexte de cette histoire particulière prise dans l'Histoire de France.

Il y a beaucoup de belles scènes où la jeune Yaël interroge le monde des adultes du haut de son enfance. J'en retiens une, un ultime dialogue avec sa mère. C'est Yaël qui est venue l'interroger dans sa chambre :

- Maman, tu ressens de la nostalgie pour ton avenir ?

Sa mère la reprend :

- Mais, ma chérie, la nostalgie, c'est un sentiment qu'on éprouve envers quelque chose de passé.

Yaël argumente avec l'inconsciente cruauté des enfants :

- Je pensais que c'était ce qu'on éprouve en songeant à quelque chose qu'on n'a plus.

Sa mère se rend alors à la définition de sa fille :

- Eh bien, si c'est comme ça, oui, j'éprouve de la nostalgie pour mon avenir.

Pour écouter cette chronique :



Derrière le rideau - Sara del Giudice - BD traduite de l'italien par Miriam Papo - Dargaud (140 pages, 19 €) 

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