vendredi 28 mai 2021

Si tu vois le wendigo



États-Unis, été 59. 

David, 13 ans, vit avec ses parents aux Arpents Verts, un ensemble résidentiel plutôt cossu de la classe moyenne des années 50, ces années d’insouciance pendant lesquelles les voitures sont devenues des paquebots à ailerons propulsés par de gros V8 gavés d’essence. Fils unique, David a heureusement un bon copain Bobby avec lequel il peut s’enfoncer dans la forêt toute proche, où s’est réfugié un vieux marginal, et rejouer en vrais cow-boys le siège de Fort Alamo. Les vacances commencent, le monde des adultes semble loin mais il va s’inviter brutalement ce soir de juillet. En rentrant de la forêt, les deux ados aperçoivent une femme qui marche nue sur le bitume, la bouche en sang, hagarde. De plus près, cette femme a un nom, Ruth Bannerman, et c’est une voisine de David. À la fois impressionnés et intimidés, les deux garçons s’approchent d’elle pour lui venir en aide. Ils ont à peine le temps de se présenter que le mari surgit avec un air de « circulez, y’a rien à voir, enveloppe sa femme dans une couverture et la ramène chez lui. 

Cette scène inaugurale va s’imprimer avec force et pour mille raisons dans l’esprit de David. Il pressent que Bannerman, un ancien héros du Débarquement de 1944, est un homme violent et que l’explication qu’il a donnée aux deux garçons : « elle est somnambule » et « elle se blesse » cache autre chose. Et quand un soir suivant, les lettres magnétiques sur son frigo s’assemblent inexplicablement pour former la phrase : « SHE NEEDS YOU », David se persuade que sa voisine a besoin de lui. Il ne sait pas encore sous quel prétexte il pourrait la revoir, seul à seule, ni comment il pourra l’aider. Mais il va trouver. Et, en la revoyant, tomber irrémédiablement amoureux, lui 13 ans, elle, la quarantaine.

L’auteur de Si tu vois le wendigo, Christophe Lambert nous entraîne alors dans un thriller mâtiné de fantastique. Car M. Bannerman est non seulement un mari maltraitant, mais aussi un joueur malchanceux et endetté. Pour lui faire face et surtout affronter les malfrats qui le menacent, lui et sa malheureuse épouse, David va recourir aux services d’une créature surnaturelle des bois, le wendigo, mi-humain, mi-animal, issu tout droit de la mythologie des Algonquins du Canada. Une qui semble bien connaître le wendigo, c’est Nelly, l’étrange petite sœur de Bobby, qui n’a pas froid aux yeux et semble trouver le surnaturel très naturel. L’auteur ne tire d’ailleurs pas le parti qu’on attendrait de cette jeune medium. Côté cœur, une amitié amoureuse aussi intense que platonique se développe entre David et Ruth qui vont se dévoiler mutuellement leurs jardins secrets. C’est cette amitié qui scellera leur alliance dans l’adversité, au moment décisif.

Christophe Lambert conjugue la mécanique du thriller, les mystères de la forêt américaine et les troubles puissants d’un ado façon blé en herbe pour fabriquer un roman dont on tourne volontiers les pages jusqu’à la dernière. On sera peut-être plus convaincu par les tourments actifs de David et les ennuis de M. Bannerman que par les interventions providentielles du wendigo, cannibale temporairement rangé dans le camp du Bien, et de son interprète, un lapin qui parle.

Pour écouter cette chronique (extrait lu à 03:22) :

Si tu vois le wendigo – Christophe Lambert – Syros – 2021 (332 pages, 16,95 €)

 

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