Litté'Jeune
Tout (ou presque) sur la littérature jeunesse
mercredi 16 octobre 2024
Francœur - À nous la vie d'artiste !
dimanche 6 octobre 2024
La dernière fois qu'on s'est aimés
Dans le bus magique de Marie Boulic
« Elle » est assise dans son autobus, le nez plongé dans Melville, quand, levant la tête, elle voit « Lui » monter, ce qui lui occasionne d'emblée, page une, « une petite descente d'organes », comme dirait son amie Scarlett. Pourquoi tant d'émotion pour une histoire pliée, finie, terminée depuis dix-huit mois ? Commence alors un drôle de duel, entre « elle » et « lui » que Charlie - « elle » s'appelle Charlie – aurait pu intituler « Coincée dans un bus avec mon ex » si elle en avait fait un roman. L'ex, « Lui », s'appelle Raphaël et comme il ne l'a pas aperçue d'emblée, il finit par s'asseoir en face d'elle, par hasard on va dire (mais on sait bien ce qu'il faut penser du hasard).
Marie Boulic met en scène ces retrouvailles forcées par glissements progressifs, passant de deux monologues intérieurs à l'échange, inévitable, inéluctable et embarrassant au possible. Narratrice ô combien omnisciente, elle se place à tour de rôle dans la tête de chacun, s'amusant à les voir reprendre langue intime l'un avec l'autre dans cet espace ô combien collectif qu'est un autobus aux heures de pointe. Drôle de huis-clos ouvert sur le monde où le passé va devoir se reconjuguer au présent parce que ces deux-là n'ont jamais cessé de s'aimer malgré la chose violente qui les a séparés.
Cette chose-là est au milieu d' « Eux », une autre focale qu'emploie l'autrice qui nous fait entrer peu à peu dans ce qui a précédé cette rencontre impromptue, la séparation, si proche si lointaine, le coup de foudre initial, en intercalant dans ce face à face, des analepses qui nous font découvrir les premiers pas du couple. Ce qui lui permet d'offrir à son récit deux styles bien différents : celui des vers libres, qui accueillent le maelstrom des émotions, des mots qui brûlent au-dedans, des cassures du langage quand celui-ci, après avoir hésité, s'élance dans la parole pour enflammer le bus ; celui de la prose plus sage qui raconte, explique, sorte de petit chœur antique portatif qui nous ramène aux origines du couple et de ce qui l'a fait et défait.
La dernière fois qu'on s'est aimés aurait pu s'appeler La place vide, signalée page 188, cette place où aucun des deux ne peut ni ne veut s'asseoir, car c'est la place de la « chose » qui est entre eux et qui les a déchirés. Dans le titre, « dernière » sonne comme « dernière irrévocable », comme si le théâtre de la vie pouvait fermer définitivement ! Mais non ! Car la dernière fois qu'on s'est aimés, c'était tellement bien, qu'on n'a rien oublié et même, qu'on va recommencer. Encore frissonnants...
En cette rentrée littéraire, le roman de Marie Boulic ne serait-il pas le plus beau plaidoyer qui soit en faveur du réarmement amoureux ?
La dernière fois qu'on s'est aimés - Marie Boulic - septembre 2024 - Sarbacane (231 pages, 15,50 €)
NB : En trois romans, Nos étés sauvages, Le chant du bois ( Grand prix SGDL du roman jeunesse 2024) et maintenant La dernière fois qu'on s'est aimés, Marie Boulic s'est imposée dans la LJ comme une nouvelle voix qui "ne chante pas pour passer le temps".
vendredi 5 juillet 2024
Géographie de la peur
J'ai découvert Claire Castillon avec son roman Les longueurs, que je vous avais présenté ici même en octobre 2022 et qui avait reçu quelques jours plus tard le prix Vendredi. La croisant la semaine dernière dans le cadre du Livrodrome qui stationnait à Lons-le-Saunier, j'ai acheté son nouveau livre, intitulé Géographie de la peur.
Claire Castillon nous entraîne cette fois-ci à l'intérieur de Maureen, une jeune fille de 18-19 ans, qui souffre d'un TAG – non, un TAG, ce n'est pas un graffiti tracé sur un mur, c'est l'acronyme pour « trouble anxieux généralisé ». Elle vit encore chez ses parents et a le plus grand mal à sortir de chez elle pour aller à la fac.
L'autrice a confié la narration à Maureen, qui se fait pour nous géographe de sa peur, nous entraînant dans les méandres de son esprit. Qui ne connaît pas aujourd'hui un ado qui n'arrive plus à se lever le matin pour aller au collège ou au lycée, un jeune auquel en désespoir de cause on a collé l'étiquette de « phobique scolaire » ? Ou bien quelqu'un qui a de soudaines et incompréhensibles « attaques de panique » dans la rue, dans un magasin ? Cette cause désespérée, l'héroïne de Claire Castillon nous la fait explorer, en compagnie de ses parents, de son frère Alex, de Jérôme son infatigable ami et de quelques camarades de classe qu'elle n'a pas encore totalement lassés avec ce qu'ils nomment tous son « truc ».
C'est que faute d'identifier une cause, faute d'entrer dans un catalogue de maladies répertoriées, le mal-être de Maureen, son « truc », reste inclassable. Elle nous répète à plusieurs reprises qu'elle est ainsi depuis dix-neuf mois, ce qui laisse penser au lecteur qu'un événement traumatique est à l'origine de son état mental et de ses malaises, que cet événement va nous être décrit, et qu'il nous fera comprendre quelque chose.
En attendant cette révélation, Maureen galère, n'arrivant plus à sortir de chez elle. L'autre pilier dans sa vie, en dehors de Jérôme, c'est son psy, le Dr Mary dont elle a dû concéder l'emploi à ses parents mais dont le leitmotiv - « et vous, qu'est-ce que vous en pensez ? » - ne suffit pas toujours à donner du sens aux séances et à la vie de sa patiente.
Au bout de quelques mois, un emploi d'hôtesse va fournir à Maureen cette sorte d'armure qui lui manquait pour affronter le monde qui l'entoure, qu'elle perçoit tout en aspérités et en reliefs menaçants. Alors qu'elle avait régulièrement, lors de ses crises, la sensation de se détacher intérieurement d'elle-même, ce qui la conduisait à une sorte de paralysie de son être, ses fonctions d'hôtesse lui permettent en quelque sorte de se dédoubler plus objectivement et de confier à un personnage, en uniforme, le soin d'affronter le monde extérieur à l'aide de comportements codifiés, par une sorte de pilotage automatique.
La caméra subjective de Claire Castillon entraîne le lecteur dans le vertige intérieur de Maureen, avec une force saisissante. L'incommunicable nous est communiqué pendant que l'entourage de la jeune femme semble rester à l'extérieur, incapable d'interpréter correctement les signaux désordonnés qu'elle lui envoie. Peu à peu pourtant se dessine un chemin, qu'on dirait de « résilience », peut-être parce qu'en dépit des maladresses des uns des autres, Maureen n'est pas rejetée et reste entourée. Du moins Claire Castillon a-t-elle voulu qu'il en soit ainsi et que Maureen puisse entrevoir la sortie de cette « cage invisible » dont elle a elle-même, comme elle le dit, « dessiné les contours afin de se protéger de son cerveau ». Par une boucle du récit, l'autrice suggère in fine que l'écriture aura été une voie de salut pour son héroïne, manière peut-être pour Claire Castillon de nous dire quelque chose d'elle-même.
Pour écouter cette chronique (extrait lu à 03:42) :
Géographie de la peur – Claire Castillon – collection Scripto, Gallimard Jeunesse (165 pages, 10,50 €)
vendredi 28 juin 2024
Le soleil est nouveau chaque jour
Ils avaient la tête en vrac à force de soirées fumette et alcool. Le monde tel qu'il était ne leur plaisait guère mais ils attendaient qu'il change. Et puis un beau jour, ils se sont décidés à conjuguer le verbe agir au présent. Ils ont répondu à un appel lancé sur Internet, ils ont traversé la France dans la vieille Clio de Fatou et ils se sont retrouvés perchés à quinze mètres de hauteur, dans des cabanes posées sur de vieux chênes promis à l'abattage, rejoignant un combat entamé par d'autres.
L'enjeu : protéger un beau morceau de forêt de Lorraine, promis à la destruction par un projet d'entrepôt géant porté par une multinationale américaine et un maire d'une petite commune séduit par la promesse de quelques dizaines d'emplois plus ou moins précaires.
Leur seule chance de réussir : mobiliser la presse et l'opinion en faveur de leur cause avant que la police n'entreprenne de les déloger.
En écrivant Le soleil est nouveau chaque jour, Eric Pessan a composé une sorte de manuel du parfait petit zadiste, mais vu de l'intérieur, puisque c'est Thomas, l'un des protagonistes, qui raconte cette aventure collective. Il est arrivé de Nantes avec Fatou, Antoine et surtout Klara, une jeune réfugiée ukrainienne, avec laquelle il est en couple depuis quelques mois.
Ils ont prévu de tenir trois semaines, en emportant des vivres en conséquence. Thomas tient une sorte de journal de l'occupation, mais l'auteur a pris soin de casser une narration trop linéaire. Il décrit notamment l'évolution de Thomas dans son environnement familial, avec un père très engagé dans sa commune, qui est à l'évidence son modèle, quoique cet engagement n'ait laissé que la portion congrue à sa relation avec ses enfants, Thomas et sa sœur Julie.
Nous sommes à l'ère du portable, des réseaux, qui permettent de communiquer, de poster des films, des commentaires sur l'action entreprise sans qu'il soit nécessaire de redescendre à terre. C'est le soleil, ce soleil nouveau chaque jour selon le mot d'Héraclite*, qui recharge les téléphones.
Et bientôt l'action des seize jeunes gens, cinq filles et onze garçons, va être connue des journalistes et du grand public. L'intervention des gendarmes est guettée. Les jeunes comptent sur le fait qu'un assaut serait trop dangereux et à l'évidence ce n'est pas cette option qui est prise. Du moins au début.
Les jeunes activistes vont vite mesurer la versatilité des médias qui ne se nourrissent que de nouveautés. Ils vont essayer néanmoins d'entretenir leur intérêt en variant interviews, récits. Obtiendront-ils gain de cause, en l'occurrence l'arrêt du projet ? Et la cohésion du groupe, celle des couples - celui que forme Thomas et Klara - résisteront-elles à l'usure du temps, aux conditions atmosphériques, à la pression policière ?
Vous le saurez en lisant le livre d'Éric Pessan qui nous livre là un passionnant roman d'apprentissage, la radiographie d'un engagement et une leçon de politique donnée par la jeune génération. Indispensable en ces temps de fièvre démocratique.
Pour écouter cette chronique (extrait lu à 02:58) :
Le soleil est nouveau chaque jour – Éric Pessan – Médium+ de l'école des loisirs (186 pages, 14 €)
* fragment 88 dans l'édition de Marcel Conche aux PUF
vendredi 21 juin 2024
Quatre albums
Je ne vous parle pas assez souvent d'albums pour tout-petits, vous savez, ces livres qu'on leur lit le soir avant qu'ils ne s'endorment ou quand ils viennent vous voir dans la journée en vous disant d'un ton geignard « j'm'ennuiiiie ». Eh bien, aujourd'hui, j'ai décidé de me rattraper en vous proposant quatre livres bien différents, démontrant si besoin était la variété des propositions des éditeurs.
Pourquoi ne pas commencer par ce « beau bouquet » composé par Lucie Brunellière ? L'argument en est simple. Un petit garçon se promène dans son jardin, chez sa voisine, à la campagne, il traverse une forêt, arrive au bord de la mer, et finit même par escalader une montagne pour vous présenter un superbe bouquet de fleurs qui veut tout simplement dire « je t'aime ». A l'arrivée, vous aurez mis un nom sur dix-neuf fleurs – si j'ai bien compté – et après les avoir rencontrées une à une vous pourrez inviter votre jeune lecteur (ou lectrice) à les reconnaître dans le bouquet final. Quitte à revenir en arrière pour retrouver l'endroit où telle ou telle a été cueillie, et son nom. C'est un album grand format, paisible, aéré, utile et le dessin est aussi précis que la couleur est chaude. C'est un album pour se souvenir des fleurs et oublier la pluie !
Un beau bouquet est publié aux éditions de L'agrume, sous la signature de Lucie Brunellière (44 pages, 16,50 €)
Aimez-vous l'Afrique ? Alors je vous propose de vous embarquer dans le taxi-brousse de Papa Diop. L'éditeur Syros a eu la bonne idée de rééditer dans un même volume l'histoire racontée par Christian Epanya à deux époques de la vie de Papa Diop. C'est Sène, le neveu qui expliquen d'abord comment et pourquoi son oncle a eu tant de succès en se lançant dans l'achat et l'exploitation d'un mini-bus sur la route entre Dakar et Saint-Louis, soit près de 260 km. L'auteur-illustrateur dépeint un Sénégal haut en couleurs à travers une série de scènes vivantes, toutes plus pittoresques les unes que les autres, qu'il s'agisse d'une fête nocturne, d'une périlleuse traversée à la saison des pluies, d'un mariage ou d'un enterrement. Papa Diop et son taxi-brousse sont toujours prêts à servir la communauté. Le taxi-brousse aurait coulé une retraite paisible au musée de l'automobile de Dakar si le jeune Sène devenu grand et gardien du musée en question n'avait eu l'idée d'aller saluer son oncle, lui aussi à la retraite. S'ensuit une nouvelle expédition du souvenir, à bord du taxi-brousse ranimé pour l'occasion. L'auteur illustrateur explique que le personnage de Papa Diop figure le Sénégalais moyen évoluant « dans un coin du monde où l'accueil et la joie de vivre sont élevés au rang de religion. »
Papa Diop et son taxi-brousse est un album grand format écrit et illustré par Christian Epanya et paru chez Syros (64 p, 15 €). A noter que deux QR codes permettent d'accéder gratuitement au livre audio, raconté par Thierno Diallo et accompagné par une musique instrumentale africaine.
Le troisième album que je voulais vous présenter est l'œuvre de l'illustratrice Juliette Armagnac, également autrice pour ce livre. Album bilingue, il s'inspire d'une comptine occitane destinée à endormir les enfants et intitulée SÒM, SÒM, qui signifie, « sommeil, sommeil ». C'est l'histoire d'un petit garçon qui voit le soir tomber et sent une présence diffuse dans la maison, quelque chose qui s'approche de lui et à laquelle il résiste comme il peut jusqu'au moment où elle s'empare de lui et l'entraîne dans un long voyage : le sommeil. De la chaise au lit, le décor se transforme, se fait onirique, aspire le petit garçon qui s'envole dans les bras de Morphée. De menaçant qu'il était le sommeil est devenu voyage dans les airs : comment ne pas s'y abandonner ? D'un dessin précis, réaliste, Juliette Armagnac campe un enfant solitaire aux prises avec ses émotions au seuil de la nuit qui vient. Et c'est aussi juste qu'apaisant, au plus près de ce mystérieux passage de la veille au sommeil qu'il s'agit d'apprivoiser pour repousser les fantômes qui l'accompagnent si souvent.
SÒM, SÒM, de Juliette Armagnac est paru aux éditions Arphivolis à Prayssas, dans le Lot et Garonne. C'est aussi un livre-atelier, accompagné de silhouettes à découper, à poser sur un cercle phosphorescent avec d'autres objets qui pourront composer la scène d'un rêve à venir, une vision rassurante sur laquelle s'endormir (26 pages, 19,50 €, dès 3 ans)
C'est samedi dernier, au salon de Champcevinel près de Périgueux, que j'ai rencontré Juliette Armagnac. Non loin d'elle, ZAD dédicaçait aussi les livres et les albums qu'elle a créés en compagnie de Didier Jean. Didier Jean et ZAD, voilà un fameux tandem d'auteur-illustratrice et je n'ai pas résisté à un album dont le titre m'a tout à fait paru de saison : « L'agneau qui ne voulait pas être un mouton ».
Soit un troupeau de moutons qui vivait paisiblement sur un pré, au bord d'une falaise. La couverture de l'album, montrant la gueule ouverte d'un énorme loup ne laissait rien présager de bon. Et de fait nuit après nuit, le loup vient se servir : un mouton malade, puis un mouton noir, puis une brebis et ses petits. Le troupeau ne réagit guère, lâchement résigné aux prédations répétées du loup. Seulement quand le loup s'attaque au bélier du troupeau, rien ne va plus. Privé de son chef, les moutons décident de réagir et c'est un petit agneau qui va servir d'appât et... de piège. Vont-ils réussir à se débarrasser du loup ? La fable de cet album, sélectionné par l'Education nationale et parrainé par Amnesty international, est transparente. Et pour ceux qui n'auraient pas compris, l'album se conclut par le texte d'un pasteur protestant écrit au lendemain de la deuxième guerre mondiale :
L'agneau qui ne voulait pas être un mouton est un album écrit par Didier Jean et illustré par ZAD, paru chez Syros (40 pages, 7,50 €).
Pour écouter cette chronique :
vendredi 14 juin 2024
Le pays de sable
Avec Le pays de sable, l'école des loisirs vient d'éditer la sixième des Histoires naturelles de Xavier-Laurent Petit. Comme le souligne la présentation de l'éditeur, chacun de ces livres est « à la croisée de la fiction et du documentaire », sortes d'aventures écologiques auxquelles ses jeunes personnages sont confrontés, à la rencontre d'une nature tantôt accueillante tantôt sauvage, qui paraît souvent menacée.
Je vous avais présenté ici même, il y a déjà cinq ans, Les loups du clair de Lune, qui se passait en Tasmanie, la grande île au sud-est de l'Australie. Le pays de sable où Xavier-Laurent Petit nous entraîne cette fois, c'est le Sahara mauritanien.
Khadija revient au pays après quinze années d'absence. Elle a fait ses études en France, est devenue médecin, s'est mariée, mais son fils Yani n'a jamais rencontré son grand-père Hassen Ibn Alhamazen que tout le monde appelle dans son pays Mossi, qui veut dire « Maître »
Yani a dix ans, il est très impressionné par ce grand-père, qui très vite veut l'emmener en expédition dans le désert. Évidemment, Mossi tiendrait à partir seul avec son petit-fils, il a tant de choses à rattraper avec lui. Et puis, il est question d'une initiation, entre hommes, à la vie du désert. Khadija, qui en connaît les dangers, va-t-elle laisser Yani partir sans elle ?
Une fois cette question résolue, Yani se retrouve embarqué au cœur du désert où il va découvrir le métier de son grand-père : chamelier et la vie par 50° C, la soif, la faim, les étoiles qui guident les caravanes la nuit..
Yani va s'apercevoir à son corps défendant que le désert n'est jamais entièrement désert et surtout qu'il n'est pas peuplé que de gens recommandables...
Mossi met à l'épreuve son petit-fils comme s'il voulait en faire son successeur et l'ajouter à la lignée familiale des chameliers, de père en fils. Ce n'est pas tout à fait le projet de Yani ni de sa mère, mais en quelques jours, Yani va faire des découvertes fondamentales qui lui serviront toute sa vie. Mise à l'épreuve elle aussi par son père, Khadija n'aura de cesse de lui démontrer qu'elle a conservé en elle ses enseignements, répétant, comme une antienne filiale : « Abba, je n'ai rien oublié ».
Xavier-Laurent Petit dépayse radicalement son jeune héros et nous avec lui, nous offrant un superbe roman d'apprentissage et une leçon de dépouillement de soi.
Pour écouter cette chronique (extrait lu à 02:28) :
Le pays de sable (Histoires naturelles) – Xavier-Laurent Petit – Neuf de l'école des loisirs (203 pages, 12 €)
vendredi 7 juin 2024
Demain n'aura pas lieu
« Et vous, que feriez-vous s'il vous restait trois jours à vivre ? » Dans les remerciements qui servent de postface à son roman, Iuna Allioux explique que c'est cette question posée pendant une conversation entre amis qui a mis en route l'écriture de ce qui est devenu Demain n'aura pas lieu. Précisons tout de suite, car cette question pourrait être sujette à bien des interprétations, que l'héroïne du roman n'est pas condamnée par quelque maladie ou par une sentence de mort qui lui aurait été signifiée. Non, plus simplement, c'est le monde vivant qui va disparaître, grillé par notre soleil, ce bon vieux soleil qui aura été si longtemps notre bienfaiteur. Et la météo semble formelle : il gonfle, les astrophysiciens l'ont confirmé, et c'est pour dans trois jours. Il fait si chaud, de plus en plus chaud, qu'on ne peut pas douter, pour une fois, que cette prévision se réalise. Le suspense n'est pas là.
Asumi est une jeune adolescente née au Japon et venue en France à l'âge de sept ans avec sa mère, prénommée Gin. Maxence est son meilleur ami depuis leur première rencontre à l'école. Asumi a un autre ami très cher, un ryukin, nommé Dak-Ho, un poisson qui vit dans un grand bassin où elle aime le rejoindre, sous l'eau. Dernier trait d'Asumi : elle s'évanouit souvent et ces évanouissements sont en général précédés, accompagnés, suivis de séquences oniriques où elle semble revivre des événements du passé dont elle n'a pas la clé. Elle pourrait faire sienne cette phrase tirée d'une lettre écrite à Rodin par Camille Claudel : « il y a toujours quelque chose d'absent qui me tourmente ».
La première absente, c'est sa mère qui dans cette période cruciale prend l'avion pour le Japon, laissant sa fille seule à Paris. Son travail l'appelle impérativement à Tokyo. Alors que chacun n'a qu'une hâte, c'est de se rapprocher des siens, hâte qui sature tous les moyens de transport, Gin est partie. Asumi ressent douloureusement ce départ. Heureusement, il y a Bo-Wang le restaurateur ami, Maxime et sa famille et Dak-Ho, le ryukin. Et surtout il y a Ji Eunji, un écrivain coréen dont Asumi est tombée amoureuse, de cet amour de tête que la distance nourrit et exténue à la fois. Elle lui a écrit, il lui a répondu et sa réponse est pour Asumi le plus précieux des viatiques. Quand elle apprend qu'il est en France, à Paris, elle fait tout pour le rencontrer. Y parviendra-t-elle ?
Curieusement, ce roman qui met en scène les trois derniers jours de l'humanité ne ressemble pas à un film-catastrophe ou apocalyptique, qui pourrait nourrir légitimement quelque éco-anxiété. Tout se passe comme si les destinées individuelles devenaient moins tragiques d'être prises dans une même fatalité, la fin collective de l'humanité. Parce qu'aussi à la faveur des événements qui se précipitent, des révélations sur son histoire personnelle vont lever les secrets qui entravaient Asumi et l'autoriser enfin à aimer et à être aimée. Juste avant la fin du monde.
Pour écouter cette chronique (extrait lu à 03:00) :
Demain n'aura pas lieu – Iuna Allioux – Sarbacane – (196 pages, 15 €)
Francœur - À nous la vie d'artiste !
Comment devient-on artiste ? Vous avez 12 ans et vous écrivez, tantôt des poèmes, tantôt ce que votre mère appelle « tes petits romans » ;...
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Un miracle de littérature Clémentine Beauvais avait au moins mille mauvaises raisons de ne pas écrire ce livre consacré à la vie de Marguer...
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Ils avaient la tête en vrac à force de soirées fumette et alcool. Le monde tel qu'il était ne leur plaisait guère mais ils attendaient...
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Comment parler aux enfants de la grave maladie qui s'est invitée dans la famille, en l'occurrence le cancer de maman ? Pascale Bo...