Clémentine Beauvais, qui vient d’avoir 25 ans
et dont ce n’est pas le premier livre, nous balance dans l’estomac un récit
2.0, sec comme un texto et malin comme un Kiki. Publié par Sarbacane.
« Il y a un corps dans la cour »,
incipit-elle son roman d’apprentissage.
Pas n’importe quelle cour : celle d’un des
meilleurs lycées de France, parisien bien sûr, Henri IV, « Hache Quatre » pour
les intimes, c'est-à-dire pour ceux qui ont le privilège d’y grandir et d’y
souffrir, de la 6ème aux prestigieuses CPGE, antichambres des Grandes Écoles.
Pas n’importe quel corps non plus. Mais il
faudra attendre pour savoir qui a chu de la tour Clovis : élève, professeur,
voire proviseur ? La narratrice maintient le suspense. Drôle de narratrice
d’ailleurs, qui n’avouera pas son nom. Sans doute y a-t-il quelque chose de
Clémentine en elle, raison de cet incognito qui oblige l’auteure à nombre de
contorsions : « Elle a répété plus fort : mon prénom » (sic !)
En tombant de haut, quelqu’un vient de faire
sauter le puzzle de sa vie. Elle va essayer d’en rassembler les morceaux
pour nous aider à le reconstituer, à petits coups d’analepses. Il va être
beaucoup question d’images, le titre ne ment pas : d’image de soi, d’image que
l’on donne aux autres, que les autres fabriquent de vous, qu’ils diffusent,
qu’ils détruisent, qui se conservent quand même, auxquelles on voudrait
échapper (mais on ne peut pas). Sage comme une image ? Oui, à devenir folle.
Pour un peu, dans ce monde, on ne serait « plus une personne, mais une image ».
Société du spectacle, annonçait le prophète Debord.
Le constat est désenchanté mais pas
désespéré. « On ne s’aime pas les uns les autres ». Dès la Seconde pourtant, on
couche, avec quelques précautions, on se facebooke, on se sextote. Il semble
que seules comptent les filles : des jumelles, Iseult et Léopoldine - qui font
la couverture et la tirent (un peu) à elles - et Annabelle, sorte de Jiminy
Cricket de la narratrice, plus importante qu’il n’y paraît de prime abord. Les
garçons font plutôt pâle figure et jouent à la périphérie du récit, de Tim, le
bogosse incontournable de ces demoiselles, qui ne supportera pas d’être « jeté
», à Aurélien, l’intello à lunettes, sans intérêt apparent, et qui en tout cas,
face à l’événement, n’aura pas la « trempe requise ». Ce sont les garçons qui
sont des Kleenex dans cet univers compétitif où les filles sont devenues
définitivement les meilleures, comme l’assène Annabelle dans un violent
réquisitoire contre le système. « Vous êtes nuls, votre avenir est nul, vos
vies seront nulles une fois que vous aurez vos diplômes élitistes à la con pour
pouvoir défiler sur les Champs-Elysées en faisant pleurnicher Mamie devant sa
télé […] »
Le salut ne vient guère des adultes. Ni des
parents qui ont tout misé sur cette couveuse de génies, ni des professeurs, ni
de l’administration du lycée. La galerie des enseignants va de la prof
d’histoire complètement déconnectée des événements qui agitent son
établissement au prof d’anglais, « fucking bastard » ne songeant qu’à casser
les élèves, en passant par le prof de physique-chimie qui essaiera de faire
comprendre que lui aussi a été ado en ces mêmes lieux et qu’il a eu lui aussi
les mêmes désillusions... Pour ses efforts de compréhension, il sera étiqueté «
pathétique » en sortie de cours. Moindre mâle.
A l’issue de ce jour le plus long, la
narratrice, véritable héroïne du roman, aura grandi, vieilli, mûri au point
d’entrevoir le premier d’une vie autre, où, peut-être, elle ne sera plus le «
petit chien » de sa meilleure amie.
Comme des images - Clémentine Beauvais - Sarbacane Exprim - 2014 (204 pages, 14,90 €)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire