vendredi 26 octobre 2018

Ueno Park



L’année dernière, Antoine Dole nous avait donné le sombre Naissance des cœurs de pierre. En cette rentrée, il nous offre une sorte de carnet de voyage au Japon :  huit portraits saisissants d'adolescent•e•s japonais•e•s au temps d'hanami, la floraison des cerisiers.

Il y a Ayumi, la jeune hikikomori qui, cloîtrée dans sa chambre depuis deux ans, se décide à sortir de chez elle lorsqu’une fleur séchée de cerisier, qu’elle avait glissée dans un cahier à la mort de son grand-père, s’en échappe, comme une invitation.

Sora, lui, s’est maquillé pour disparaître derrière une apparence qu’on dirait féminine mais qui retrouve une tradition des grands acteurs du théâtre japonais d’autrefois. Son ami Shigeru l’attend pour le photographier, photos qui rejoindront le compte Instagram de Sora, où celui-ci s’offre à ses admirateurs.

Et il y a Fuko la jeune leucémique qui glisse dans son fauteuil roulant poussée par sa grande sœur. Elle vit peut-être, elle, son dernier printemps mais voudrait justement laisser à sa sœur le souvenir d’un sourire parmi les fleurs.

Et puis encore Natsuki, qui a vendu sa culotte 4000 yens à un homme d'une cinquantaine d'années qui l'a abordée dans un petit chemin près de son école et qui, depuis, pratique le Enjo kōsai avec quelques amies, à l'insu de ses parents. 

Et Haruto, Daïsuké, Aïri, Nozomu, comme autant de monades solitaires propulsées dans la foule tokyoïte.
  
Antoine Dole nous propose un échantillon total de la jeunesse japonaise confrontée au carcan d’une société aux apparences modernes et pourtant secrètement figée.

Sans se connaître, ces jeunes gens, qui, écrit l’auteur, "survivent dans le silence des choses", s'acheminent tous vers les arbres en fleurs d'Ueno Park, au cœur de Tokyo, chacun coincé dans son histoire et ses tourments. Que viennent-ils y chercher ? Se rencontreront-ils ? Vont-ils trouver une forme d'apaisement en honorant, bon gré mal gré, cette tradition printanière de la société japonaise ? Ce rituel va-t-il les configurer à une société qui, sinon, ne leur fera aucun cadeau ? Ou ce moment rose pâle va-t-il mettre à nu leurs révoltes intimes et jusqu'ici muettes, comme autant de pétales écarlates ? 

Chacun de ces personnages, en apparence si éloignés de notre monde, prend vie devant nous et nous saisit dans une sorte d’urgence qui nous touche. Le temps des cerisiers en fleur pourrait-il suspendre nos détresses intimes en nous renvoyant nous aussi vers la vie et son obstinée renaissance ? 

Écouter cette chronique (extrait lu à 2:28)

Ueno Park – Antoine Dole – Actes Sud junior (119 pages – 13,50 €)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Les Mille vies d'Ismaël

 C'est un peu étrange de penser qu'on est au bout de sa vie alors même qu'on ne l'a pas encore commencée. C'est pourtant...