vendredi 5 octobre 2018
Io - pour l'amour de Zeus
Clémentine Beauvais, qui vient de publier Brexit romance, nous offre quasi-simultanément chez l’éditeur Nathan, dans une collection qui revisite les « histoires noires de la mythologie », un autre petit bijou littéraire, Io, sous-titré « pour l’amour de Zeus ».
C’est l’histoire épouvantable d’une jolie mineure de 16 ans, séduite par Zeus, le maître volage et transformiste de l’Olympe, qui n’en est pas à son coup d’essai, et châtiée par Héra, l’épouse éternellement bafouée du susdit, qui condamne la pauvre Io à être changée en vache, puis poursuivie par un taon qui ne cesse de la piquer cruellement. Dans sa fuite éperdue, Io doit abandonner sa terre natale en franchissant le Bosphore. Elle fait le tour de la Méditerranée en galopant et aboutit, pauvre immigrante harassée, en Égypte. La vengeance d’Héra cessera-t-elle un jour de s’exercer ?
En s’emparant du mythe d’Io pour le réécrire, Clémentine Beauvais réussit un livre étonnamment moderne, coulant son écriture directe et précise dans la chaleur de l’été grec pour en rapporter un splendide portrait de jeune fille devenant femme. Ce « devenir femme » c’est un destin qui pourrait accabler Io mais dont elle transforme chaque moment, chaque étape, en manifestation de sa liberté d’aimer et de vivre. Clémentine Beauvais nous raconte cette histoire incroyable avec le naturel et l’allant d’un Giraudoux juvénile.
D’avoir fait Io la narratrice de sa propre histoire nous vaut de saisissantes scènes, vécues de l’intérieur, comme par exemple celle où Io se transforme en vache. Elle va s’éprouver au quotidien dans ce corps animal qu’elle fait sien, dans une forme de jouissance ruminante qui l’étonne à peine et qui ne rebutera pas Zeus, toujours amoureux d’elle. Lequel Zeus se sent malgré tout un peu responsable, sinon coupable, de ses ennuis. Ce Dieu jouisseur et cynique, ce mâle blanc occidental hétéronormé qui a fait d’Io une femme, n’est peut-être pas entièrement mauvais. En tout cas, Io ne peut s'empêcher de continuer à l'aimer.
Quant à Héra, elle n’est pas tant jalouse de sa jolie et jeune prêtresse qu’envieuse de la liberté que Io s’invente et affermit à chaque épreuve que la femme de Zeus lui inflige. Prise dans le casse-noix pervers du couple divin, Io va s’épanouir, contre toute attente, au fil d’un formidable roman d’apprentissage.
Clémentine Beauvais a révélé sur son blog qu’elle avait écrit ce petit livre de commande parallèlement à son Brexit romance. Dans les riches annexes qui présentent les sources multiples du mythe d’Io, elle nous apprend aussi qu’elle « baigne dans la mythologie grecque depuis son plus jeune âge car son père, à qui ce roman est dédié, lui racontait chaque soir une histoire avant d’aller dormir ». C’est donc bien avant de séduire Io que Zeus, le roi des dieux, avait enlevé la petite Clémentine sous les apparences de son papa, pour la conduire bien loin dans son Olympe anglais où elle séjourne désormais.
Écouter cette chronique (extrait lu à 3:08) :
Io, pour l’amour de Zeus – Clémentine Beauvais – Nathan, collection ‘Histoires noires de la mythologie’ (125 pages, dont 26 pages de dossier sur le mythe d’Io, 5,95 €)
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