samedi 21 mars 2009

Les Monts de l'Éléphant

Le secret d'un rire




« Il faut que je te raconte l'histoire de Promesse. » Il faut parfois toute une vie pour être prêt à entendre une histoire. C'est la leçon de Jean-François Chabas. Mais lui a décidé de nous faire gagner du temps. Après tout, il suffit peut-être d'un livre : c'est à cette conviction-là qu'on reconnaît le véritable écrivain. Alors, à partir de la page 148, coincés dans un ascenseur avec Henri de Lespagne et Sok Kateka, respectivement veilleur de nuit et femme de ménage dans une tour des Bords de Seine, nous comprendrons simplement qu'on ne peut plus avoir honte des choses de son corps quand on a pu échapper à l'innommable.

Cette « promesse » de la première page vaut bien le long détour, surprenant de prime abord, par lequel Henri nous conte la chronique d'une déconfiture familiale au cœur du XVIème arrondissement de Paris. C'est avec un détachement lunaire doublé d'un humour ravageur que notre Hurluberlu - c'est le surnom que lui a donné son frère aîné - nous fait assister à la lente implosion de sa famille, vue à hauteur d'enfant puis d'adolescent. Du petit frère Paul, qui s'obstine en vain à vouloir être Mozart, à Sébastien, qu'Henri ne retrouvera qu'au terme d'une longue errance, du père, affligé d'un étrange trouble psychique à « Madame Argenterie », la mère obsédée par ses petites cuillères, c'est une galerie d'êtres fracassés d'être à côté d'eux-mêmes que nous dépeint le narrateur. En émerge la figure lumineuse de Charlotte, sa « petite grande sœur », la seule noble, celle qui aurait voulu tout sauver.



Le plus étrange, c'est que pendant cette digression dramatique qui nous prépare à l'insoutenable qu'on ne devra plus oublier, on rit, intensément, à chaque page ou presque. D'une écriture à la fois souple et tendue, sans la moindre « mauvaise graisse » littéraire, Chabas mène à un train d'enfer sa course à l'abîme et à la rédemption. Il confirme si besoin était que tout bon roman pour la jeunesse est un roman d'apprentissage. Et que la littérature dite « de jeunesse », la vraie, échappe décidément aux classements des éditeurs, des libraires et des bibliothécaires. Car elle devient sous nos yeux, dans son universelle visée, le meilleur de nos Lettres.

Les Monts de l'Éléphant - Jean-François Chabas - l'école des loisirs (161 pages, 9,70 €)

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