samedi 12 mars 2016

Shanoé


Louise a été touchée dès son plus jeune âge par la fée Électricité, qui ne lui a pas été très bénéfique. Au point de contraindre ses parents, en désespoir de cause, à venir s’enterrer dans un château délabré, situé dans un trou perdu qui, pour des raisons inexpliquées, est inaccessible à quelque onde que ce soit. Les spécialistes appellent ça une « zone blanche ». Délivrée des smartphones, de la WiFi, de toutes les nuisances éthérées et de leurs maux associés, Louise semble renaître. N’ayant pas grand-chose à faire, elle se met à écrire, sans qu’elle sache très bien ce qui la pousse à prendre le stylo. Comme inspiré par l’endroit, l’immense demeure, un récit étrange sort de sa plume de façon un peu automatique.

Par Louise, la zone blanche se peuple progressivement d’ombres venues du passé. Le grenier, la cave, une grange oubliée au fond du parc livrent peu à peu des objets et des vestiges qui veulent raconter l’histoire des anciens occupants. Pour s’en délivrer ? La plume de Louise a-t-elle le pouvoir d’exorciser le château ? Le père et la mère, l’un agent littéraire et l’autre artiste peintre, très occupés, virevoltent autour de leur fille, sans vraiment la voir, soulagés qu’elle revive, mais inquiets de l’isolement social où l’enferme sa maladie. Ils la sentent confusément s’éloigner d’eux et d’elle-même, quand l’arrivée impromptue d’un réalisateur américain et de son équipe de tournage bouleverse le château et ses occupants. La magie du cinéma se mêle à la magie des lieux, achevant de troubler les frontières entre les époques, entre le réel et la fiction, et réveillant les morts. Le roman s’emballe, crescendo et finit en tornade, aux sens propre et figuré.

Dans Shanoé, Lorris Murail marie la peur très contemporaine des ondes radio-électriques et les vieilles superstitions qui entourent les « gypsies » et leurs pouvoirs. Très bien écrites, les 334 pages se lisent d’une traite. La description de la tempête finale, surnaturelle, est dantesque. Est-ce à cause de la « focalisation zéro » du roman ? On a du mal à s’attacher à Louise, héroïne malgré elle, receveuse d’une histoire qui la dépasse, ballottée à la lisière du fantastique. Et l’épisode cinématographique ressemble à une greffe qui n’aurait pas pris, trop tardive et trop étrangère à ce que Louise aurait pu nous dire si sa voix n’avait pas été étouffée in fine par la clique prédatrice d’Hollywood.


Shanoé - Lorris Murail - Scrinéo (334 pages, 16,90 €)

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