Bien des nuances autour de ce moment délicat et impérieux, attendu et redouté, lorsque filles et garçons sortent définitivement de l'enfance. |
Quelle bonne idée que ce
recueil de nouvelles écrites à parité stricte par 8 auteurs et 8 autrices
jeunesse, et coordonné par Manu Causse et Séverine Vidal ! Tous ont su
restituer les peurs, les émotions et le si vif désir éprouvés par les
adolescent.e.s lors de leur « première fois ». On aura compris qu’il
ne s’agit ici ni du premier tour de manège, ni même de la première cigarette
fumée en cachette.
C’était une
bonne idée car entre les manuels de SVT assortis de manipulations de
préservatif sous l’égide de l’infirmière scolaire et les images gavantes de
YouPorn, il y a assurément place pour des récits initiatiques racontant sans
fards et sans complaisance ce passage obligé vers l’âge adulte. Bien des romans
pour la jeunesse l’évoquent, mais pas avec cette concentration et cette
intensité. Dans ce livre, qu’on pourrait qualifier de « spécialisé »,
on ne pense qu’à ÇA, comme 100 % des ados à partir d’un certain âge !
Dans sa
préface, Alain Héril, psychanalyste, rappelle une évidence : « la
première relation sexuelle marque une sortie définitive de l’enfance ».
Soulignant que l’âge moyen du premier rapport n’a guère varié depuis trente ans
– 16 ans et trois mois pour les garçons, 16 ans et 6 mois pour les filles – il
prend soin aussi de souligner qu’il n’y a pas – et c’est heureux - de mode
d’emploi universel de la chose…
A quel point
chaque expérience est singulière, côté fille comme côté garçon, les 16
histoires en fournissent la plus parfaite des illustrations. Chaque auteur.e a
choisi un angle original, parfois même une forme audacieuse, à l’instar de
Clémentine Beauvais qui imagine une discussion entièrement par sms, coupures de
réseau incluses, entre deux amies, l’une, en camping dans un trou perdu, qui
raconte son « expérience » à l’autre, dévorée par l’impatience de
savoir ce que sa copine a vécu. C’est constamment comique et très sérieux à la
fois. Antoine Dole, lui, a construit une vraie nouvelle avec sa chute,
« la goutte de lumière » finale, chère à Barbey d’Aurevilly, qui fait
relire instantanément toute l’histoire depuis le début. Il y a des premières
fois en rêve sinon de rêve, d’autres manigancées à trois et qui finissent à
deux, il y a un miroir qui raconte, il y a une première fois qui tourne en
prochaine fois, des initiatrices providentielles pour garçons timides, clichés de la suédoise blonde avec accent ou de la grande
sœur de la copine, etc.
On saura gré
à ces jeunes écrivaines et écrivains non seulement d’avoir appelé un chat un
chat, sans périphrase pudibonde, mais encore d’avoir enchâssé leurs jeunes chats
et chattes dans de vraies rencontres, fussent-elles un peu foireuses, notamment
celles qui se déroulent à la faveur de soirées lycéennes, abondamment enfumées
et alcoolisées pour noyer le poisson. Sur le sujet, on les créditera aussi d’avoir raconté des
histoires sans nous raconter d’histoires : la première fois est une
aventure intensément désirée ET une épreuve redoutée. Elle ouvre pour la vie
entière une boîte de Pandore, celle de la libido, de ses joies et de ses
errances. Elle peut se passer assez mal, sans vrai consentement côté fille –
mais on pourrait parler aussi de la pression de conformisme macho qui s’exerce
sur les garçons. A quoi consentent-t-ils, eux aussi ? Un ou deux récits ont ici valeur de conte d’avertissement, en
particulier Mon beau miroir, d’Emmanuelle
Urien. C’est pourquoi chaque jeune lecteur et lectrice pourra en tirer des
leçons utiles, même si sa première fois à lui ou à elle, avec toute sa force et
toute sa singularité, viendra à coup sûr les balayer.
Quant aux
lecteurs adultes – tout ce qui se passe ici est évidemment hors de leur regard
et de leur juridiction - ces récits réactiveront sûrement leurs souvenirs et
leur feront peut-être reconsidérer la manière dont leur propre première fois a
pu éclairer ou assombrir, en tout cas colorer encore aujourd’hui, la suite de
leur vie sexuelle et amoureuse.
16 nuances de première fois, coordonné par Manu Causse et
Séverine Vidal propose, dans l’ordre d’apparition des textes de : Clémentine Beauvais, Benoît Broyart, Hélène Rice, Arnaud Tiercelin, Antoine Dole,
Emmanuelle Urien, Axl Cendres, Manu Causse, Rachel Corenblit, Cécile Chartre,
Driss Lange, Taï-Marc Le Thanh, Gilles Abier, Sandrine Beau, Chrysostome Gourio
et Séverine Vidal. Ce livre est publié aux éditions Eyrolles (190 pages, 14,90
€)
En podcast sur RCF Loiret :
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