« Sauveur & Fils » : sur la page de couverture, on croit lire, au-dessus d’une drôle de boule de poils, l’enseigne d’une entreprise artisanale soudée par la filiation et on entre directement… au cœur de la consultation d’un psychologue clinicien, Sauveur Saint-Yves. Comme pour chacun des volumes de la série, l’action est précisément située dans le temps, entre le 4 janvier le 7 février 2016 pour celui-ci, et dans l’espace puisque notre psychologue, né en Martinique, exerce à Orléans au 12 rue des Murlins. Le fils, lui, se nomme Lazare et du haut de ses 8 ans, il a profité un jour d’une porte entrebâillée pour entrevoir le métier de son papa. Et c’est donc Marie-Aude Murail, l’autrice orléanaise récemment promue officier de la Légion d’honneur, qui, à nouveau, ouvre en grand la porte du cabinet pour ses lecteurs et lectrices.
Il lui aura fallu deux années et quelque 1200 pages pour boucler en quatre tomes et autant de « saisons » cette étrange aventure immobile d’espionnage. Bouclée, vraiment ? Dans la quatrième saison, publiée ce 17 janvier, la vie de chaque personnage reste en suspens, à charge pour le lecteur d’imaginer les destins que l’autrice a quand même pris le soin d’esquisser d’un trait plus ferme dans cette (peut-être) ultime volume.
Côté cour, les patients, jeunes et moins jeunes ont cheminé au fil des séances, apparaissant et disparaissant dans l’espace de parole qui leur était offert. Dans cette espace, les pathologies sont devenues des histoires presque comme les autres et ont trouvé une forme d’apaisement voire de résolution qui étonne autant celui qui écoute que celui qui parle. L’autrice a avoué récemment qu’elle avait des préférences parmi les jeunes patients de Sauveur, qu’elle a, pour cette raison, maintenus à flot au long des quatre saisons. Ella, celle qui aurait dû naître Elliott, est de ceux-là. Et on ne s’étonnera pas que sa vocation se précise dans la dernière saison, tant Marie-Aude Murail s’est projetée en elle.
Côté jardin, la vie privée de Sauveur, menacée dans le premier tome, s’enrichit et s’amplifie au fil des saisons, au risque de déborder l’intéressé, d’autant que celui-ci peine à maintenir étanche la frontière entre ses patients et sa vie personnelle. La transgression de Lazare écoutant aux portes les séances n’est-elle pas le plus clair symptôme de cette difficulté ? Par cette frontière poreuse s’est glissé un jour Gabin, un ado en mal d’une mère schizophrène et bientôt internée, puis Samuel que Sauveur, après quelques séances, revoit en ville autour d’une pizza, au mépris de toute déontologie. Son bon cœur n’a pas davantage résisté devant Jovo, un vieux légionnaire SDF qui s’incruste aussi chez lui.
Et quel lieu de rencontre plus riche qu’une sortie d’école ? (école où, soit dit en passant, notre autrice s’aventure parfois pour observer Mme Dumayet, la maitresse de Lazare et de Paul). Les enfants se lient, les parents se saluent, puis on s’invite, on passe se prendre, on se raccompagne. Le veuf avec enfant du début n’est pas indifférent à Louise, la maman de Paul, meilleur copain de Lazare. Elle, est fraîchement divorcée, lui, est un veuf bien attirant, quelque chose se noue, lesté toutefois du passé de chacun. Pour Louise, la séparation est trop fraîche et constater chaque jour que son ex est un jeune con immature ne restaure pas ipso facto son ego ; quant à Sauveur, la première saison a révélé quel poids de culpabilité pesait tant sur ses propres origines que sur la mort de sa femme et ce poids ne semble guère s’alléger au fil des semaines.
Chaque saison de cette tétralogie peut être lue séparément. Mais bien évidemment on saisira mieux l’évolution de chaque personnage en respectant l’ordre de publication. Si vous découvrez d’abord la saison 4, ne manquez pas de remonter le cours du temps, pour mieux le redescendre. D'autant que la saison 1 est parue en poche le 16 mai 2018. Marie-Aude Murail a une ambition secrète mais qu’elle a déjà avouée : celle d’être lue, bien sûr, mais aussi et surtout celle d’être relue...
Pour réécouter cette chronique (extrait lu à 3:54) :
Sauveur & Fils, saison 4 - Marie-Aude Murail - l’école des loisirs (300 pages, 17 €).
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