Le retour du tendre ?
Une maison pas très bien tenue, avec quatre hommes pour trois générations : Papi qui guette, la journée durant mais non sans résultats, des signes de sa femme morte cinq ans avant ; Papa Jean, bafoué, boudeur buté, campant sur sa douleur de mari abandonné sans préavis ; deux garçons, Yves, le beau costaud qui ne pense qu’aux filles et Louis, le petit dernier, crevette qui n’a pas encore tout à fait avalé son chagrin de maman-partie.
Pour adoucir ce plan un peu lugubre, c’est l’île de Noirmoutier qui sert de décor, avec le soleil, les salines et l’océan. Jean, le père, est paludier et c’est le sel qui les fait vivre tous les quatre, chichement, âprement, fièrement, aux dépens parfois des touristes parisiens dont Louis et son grand-père ont l’art d’entortiller les portefeuilles, sur le marché local.
La famille trop-de-garçons est aussi honorablement connue par la maréchaussée de l’île sous l’appellation non contrôlée de « famille Dégâts ». Car les gars en question, sous la conduite d’Yves, maître d’œuvre de toutes les bêtises possibles, se retrouvent au poste plus souvent qu’à leur tour, en compagnie de quelques autres dont le copain Denis qui, pour son plus grand bonheur, est le fils bien identifié du gendarme en chef.
Au quotidien, l’atmosphère est parfois lourde, chez Les quatre gars de Claire Renaud. Comment faire autrement avec des garçons incapables d’exprimer ce qu’ils ressentent, au point de douter qu’ils puissent ressentir quoique ce soit ? Les cœurs sont entourés d’une croûte de sel, d’autant plus épaisse que le temps a passé : boys don’t cry.
Pour qu’il puisse arriver tout de même quelque chose, Claire Renaud a confié la narration de ce huis-clos trop mâle au plus jeune des quatre, Louis-Marie de son prénom entier. Peu à peu, comme une marée doucement montante, le tendre qui semblait définitivement enfoui dans les sables, loin au large, commence à ressourdre. Madame Mariette, l’institutrice de Louis, a tout le charme nécessaire pour incarner la figure maternelle enfuie. Sans le savoir, Louis la tire tous les dimanches par la bretelle de sa jolie robe jusqu’à l’étal dominical de son grand-père, comme un cheval de Troie de l’amour. Et de dimanche en dimanche, sans qu’elle le sache elle-même, les visites réitérées de Suzanne aux marchands de sel assiègent la colère et la tristesse de Jean, marri sans Marie, l’ex-femme honnie.
Pendant ce temps, Yves, le hâbleur couvert de minettes, tombe sur un os, une sèche Irène enfouie sur la plage dans ses livres et sous ses pull-overs, pas prête du tout à succomber à son charme irrésistible. Après deux claques aussi retentissantes que méritées, Yves va devoir apprendre l’art et la manière, sous la férule d’un auxiliaire inattendu : Cyrano de Bergerac, dont le panache et la verve donneront aussi au grand-père et au petit-fils l’idée d’une intrigue bien foireuse pour achever – ou ruiner définitivement - la conquête de Suzanne.
Claire Renaud campe ce microcosme insulaire avec tendresse et humour, contournant les écueils, taillant les épines, faisant fondre le sel pour atteindre les cœurs, mettant enfin tous ces mâles cavernicoles à l’apprentissage d’un monde inconnu d’eux : celui du sentiment.
Ecouter cette chronique (extrait lu à 3:08) :
Les quatre gars – Claire Renaud – Sarbacane, 2018 ( 229 pages, 15,50 €)
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