vendredi 28 septembre 2018

Dancers



Il y a, on le sait, parmi les écrivains pour la jeunesse, une proportion non négligeable et naturelle d’enseignants. Côtoyer à longueur d’année des enfants ou des adolescents ne leur donne pas d’emblée une supériorité littéraire sur leurs confrères et consœurs, mais elle leur procure sûrement une familiarité et une empathie particulières avec leur public. J’en vois la preuve administrée une nouvelle fois par Jean-Philippe Blondel, qui écrit aussi pour les adultes, et qui est professeur d’anglais dans un lycée près de Troyes. Je vous avais présenté son précédent roman, Le groupe, qui nous proposait de vivre de l’intérieur un atelier d’écriture dans un lycée.
 

Il revient en cette rentrée littéraire avec Dancers qui raconte de mars à juin la vie d’un trio d’adolescents, une fille et deux garçons, Anaïs, Adrien et Sanjeewa. Les itinéraires de chacun, bien différents, les conduisent tous les trois au même cours de danse, leur passion commune. Ils vont s’y mesurer les uns aux autres, s’aimer, se confronter, se séparer pour se retrouver dans une ultime synthèse, quand la danse aura su transcender, par la perfection et l’authenticité du seul mouvement, les balbutiements et les conventions de leurs premiers émois amicaux et amoureux. 

Si Adrien, Anaïs et Sanjeewa dansent et s’ils se retrouvent un beau jour dans le même cours, c’est sûrement pour guérir. Et s’ils ne savent pas exactement de quoi, ils vont l’apprendre au fil des mois, l’un par l’autre, Anaïs par Adrien puis par Sanjeewa, Adrien par Sanjeewa pour parvenir à ce miracle d’équilibre, un amour équilatéral, quand la danse aura su effacer tous les malentendus, loin de ces « mots [qui, le constatera Anaïs] sont parfois des bombes qui brisent les relations, les amitiés, les amours. »

Le trio formé par les trois adolescents m'a rappelé irrésistiblement Chloé, Bastien et Neville de 3000 façons de dire je t’aime, le roman de Marie-Aude Murail. Sauf qu'ici c’est la danse et non le théâtre, les corps avant les mots. Dans le théâtre, il s’agit de mettre les corps, leur forme et leur énergie, au service des mots. La danse, c’est le régime du muet, qui s’affranchit des mots pour dire autrement, avec d’autres signes, des choses qui vont d’ailleurs bien au-delà des possibilités de la langue. Du coup, aussi, c'est un peu plus compliqué à (d)écrire. Là où Murail pouvait laisser son narrateur dans l'ombre d'un "nous" au service d'un répertoire théâtral chargé à la fois de déguiser et de révéler les sentiments adolescents, Jean-Philippe Blondel opte pour un récit à focalisation multiple, très intérieur à des corps dont il faut épouser tantôt les mouvements tantôt les émois. C’est donc à tour de rôle qu’Adrien, Anaïs et Sanjeewa racontent leur histoire personnelle et commune.

Blondel fait vibrer intensément ces jeunes gens, « animés de sentiments contradictoires » comme parviendra à l’exprimer le mutique Adrien, mais ayant tous les trois trouvé dans la danse une certaine façon d’affronter la douleur d’exister, découverte propre à ce moment de la vie. En refermant ce livre, j’ai repensé aux mots de Claude Nougaro chantant La danse, mots qui valent aussi pour l'adolescence : « la danse est une cage où l’on apprend l’oiseau. »

Écouter cette chronique (extrait lu à 2: 52) :


Dancers - Jean-Philippe Blondel - Actes Sud junior - 163 pages, 13,90 €.

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