Prix Vendredi 2019
Oyez, oyez, bonnes gens de France, voici un livre tout à fait moderne en costume d’époque, en l’occurrence la médiévale, qui conte dans une langue de jadis l’étonnante histoire de Mirella, une fillette presque jeune femme qui n’eut pas froid aux yeux face aux hommes, aux rats, à la peste et à la Mort en personne.
Vous connaissez sans doute l’histoire du joueur de flûte d’Hamelin, vieille légende d’un attrapeur de rats dont les frères Grimm firent un de leurs plus célèbres contes. Je vous ai d’ailleurs présenté il y a presque un an l’adaptation qu’en réalisa Clémentine Beauvais avec son album Ameline, joueuse de flûte, illustré par Antoine Desprez.
Cette fois, Flore Vesco entend bien toiletter complètement cette légende et raconter à sa manière la véritable histoire aussi tragique mais beaucoup plus guillerette des enfants d’Hamelin.
Quoique fort moyenâgeuse, la ville d'Hamelin, dont le bourgmestre n’a pas inventé l’eau chaude, s’est dotée de l’eau courante. Dès leur plus jeune âge et en toute saison, les petits orphelins de la ville courent en effet de la rivière aux maisons et retour, portant sur leurs épaules de lourds seaux d’eau qui approvisionnent les habitants du lieu. Le tout contre médiocre logis et mauvaise pitance, mais Mirella, qui fait partie de cette équipe plutôt garçonneuse, assume cette corvée depuis sa plus tendre enfance avec un entrain communicatif, qu’elle parvient même à mettre en chansons.
L’été caniculaire où les rats commencent à envahir la ville et apportent bientôt avec eux la peste et la mort est aussi celui où la jeune Mirella dans sa quinzième année commence à intéresser les hommes de tout poil. Elle a beau cacher ses formes naissantes sous des haillons et son abondante chevelure rousse sous un large foulard bien serré, sa beauté dont elle ignore tout, de cette ignorance dont les filles de ce temps-là doivent faire rapidement un savoir de survie, lui vaut bientôt des rencontres aussi bonnes que mauvaises. Comment la petite orpheline effacée va devenir la sorcière bénéfique de Hamelin, c’est ce que conte ce formidable roman d’apprentissage qui nouera le destin de Mirella à ses origines inconnues mais bientôt dévoilées.
Le talent de Flore Vesco éclate dans ce roman comme la féminité de Mirella. On rit, on tremble, on a peur, mais on sait au fond de soi que la petite héroïne va devenir une géante de cœur et d’esprit et mater comme en se jouant les rats, la peste, les hommes et la Faucheuse. Telle une tornade de vie, la timide Mirella des débuts finit par tout emporter sur son passage. Et nous avec elle.
Flore Vesco a réinventé pour nous une langue médiévale savoureuse qui claque à chaque page comme un étendard joyeux, donnant aux aventures de Mirella ce goût fort en bouche de l’amour de lire qui nous entraîne à sa suite, aussi irrésistible qu'une flûte d'opérette. Attention ! Sans l’afficher le moins du monde, ce roman est féministe en diable : c’est-à-dire qu’il risque de donner envie à toutes les petites filles de devenir des femmes un peu sorcières et à tous les petits garçons de regretter ne pas pouvoir en être, ni maintenant ni plus tard…
Écouter cette chronique (extrait lu à 3:10) :
L’estrange malaventure de Mirella – Flore Vesco – l’école des loisirs – 2019 (223 pages, 15,50 €)
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