vendredi 13 décembre 2019

Tuer Van Gogh

Dernier été à Auvers-sur-Oise




A l’été 1890, Vincent Van Gogh est à Auvers-sur-Oise à une trentaine de kilomètres de Paris. Il vient de passer deux années tumultueuses en Provence où il a frôlé la folie et a dû même être interné quelque temps. Il a trente-sept ans, il est dans une période de prodigieuse créativité, protégé par le Docteur Gachet qui veille sur lui à la demande de Théo, le frère de Vincent, galeriste à Paris. À Auvers, le peintre vit dans une petite pension de famille. Il ne sait pas qu’il vit là ses derniers jours.

Il rencontre deux jeunes frères, Gaston et René Secrétan, dont la fraternité rappelle peut-être à Vincent celle qui l’unit à Théo. Gaston a vingt ans, il dessine et peint, admire Vincent qui va le prendre sous son aile. René, obsédé par Buffalo Bill dont il a vu le Wild West Show à l’Exposition universelle, se prend pour une terreur de l’Ouest et, accompagné de sa bande, garçons et filles légères, tire à la carabine sur tout ce qui bouge. Sans doute est-il jaloux de l’ascendant que Vincent prend sur son frère, de l’admiration que celui-ci voue au peintre qui est au sommet de son art. Les deux garçons n’ont pas beaucoup de soucis d’argent, ce qui n’est pas le cas de Vincent, heureusement soutenu par Théo.

Dans son livre Tuer Van Gogh, Sophie Chérer reconstitue par la force de la fiction, l’été écourté de Vincent. En décrivant la relation qui se noue entre le maître et le disciple, l’autrice nous fait ressentir l’exigence artistique du premier qu’il essaie de transmettre au second, improvisé jeune élève. Vincent devine que Gaston est doué mais aussi qu’il est velléitaire, peu travailleur. Il sait que la force de l’art peut l'aspirer, comme il l’a été lui-même  mais que Gaston doit pour cela s’arracher aux facilités qui l’entravent, notamment à ce frère pas très intéressant qui tourne autour d’eux avec sa bande. Les filles ne sont pas les dernières à être fascinées par Vincent, le rouquin « au regard bleu, avec un rayon d’or au milieu ».

A chacun des chapitres de son livre, Sophie Chérer a donné le nom d’une couleur, d’une nuance de la palette explorée par elle pour nous faire entrer dans la tête du peintre. Car c’est bien un portrait de Van Gogh vivant pour créer que nous livre l’autrice, à l’image de l’Autoportrait au chapeau de paille qui sert de couverture à son livre. Ce faisant, elle délivre Vincent du mythe de l'artiste maudit qui a longtemps collé à « l'homme à l'oreille coupée ». Et c’est sans doute ce portrait-là, si lumineux, qui est plus important encore que le récit revisité des circonstances de la mort du peintre.

Car Tuer Van Gogh est aussi le résultat d'une enquête de l'autrice. Des études, des témoignages tardifs de René Secrétan, au bord de l’aveu, ont en effet remis en cause ces dernières années la thèse admise au départ du suicide de Vincent. Sophie Chérer, s’appuyant sur de solides archives qu’elle énumère en annexe à son livre, construit une histoire alternative des derniers jours du peintre, donnant à son enquête les teintes convaincantes du vraisemblable.

Écouter cette chronique (extrait lu à 3:07) :

 Tuer Van Gogh - Sophie Chérer - l'école des loisirs (271 pages, 15,50 €)

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