Sur la couverture, dessinée par Tom Haugomat, deux adolescents éclairent de leur lampe-torche les parois d’une caverne, où gisent des livres, empilés, sans doute abandonnés là par quelque civilisation engloutie. Une jeune fille qui les a précédés lit déjà, accroupie, éclairée par une lampe frontale – ou par un troisième œil, qui sait ?
Et c’est bien à une exploration que nous convient Tom et Nathan Lévêque, deux frères jumeaux que leurs parents ont eu la bonne idée de conduire au Salon du livre de Montreuil en 2008. Ils avaient alors 11 ans. Aujourd’hui, l’un est libraire et l’autre éditeur, et à force de lire, de critiquer des livres, de ratisser les allées des Salons, ils ont réussi à convoquer à leurs côtés dans leur guide de la littérature ado une somme de contributeurs et contributrices qui fait de leur livre une aventure collective originale qui emporte non seulement la sympathie mais aussi l’intérêt. Ce double capital se lit d’ailleurs dans les 760 noms de celles et ceux qui ont financé leur entreprise, cités à la fin.
Intitulé En quête d’un grand peut-être, titre énigmatique, le guide s’ouvre sur un historique. La genèse d’une littérature spécifique pour la jeunesse est brièvement synthétisée pour déterminer quelles conditions ont présidé à l’apparition d’une branche spécifiquement destinée aux ados, et de son excroissance plus récente en direction des jeunes adultes (le « young adult » en angliche). Un lectorat et un marché dynamiques se sont constitués, aux limites fluctuantes, marqués bien évidemment par le phénomène Harry Potter, qui fait l’objet d’un focus de 5 pages. L’adolescence est sûrement un de ces grands peut-être. En 2004, un colloque à Cerisy s’intitulait déjà « Littérature de jeunesse, incertaines frontières ».
Ces frontières mouvantes sont explorées à travers deux portraits d’éditrice, Cécile Térouanne, chez Hachette et Sylvie Gracia, passée des ados du Rouergue aux adultes de L’Iconoclaste. L’autrice Clémentine Beauvais, quant à elle, répond dans un court article aux adultes qui s’étonnent d’avoir pu aimer un livre destiné aux adolescents…
Un guide se doit de sacrifier à la liste des « 100 incontournables ». C’est nécessairement une liste du moment mais Noël approche et si vous n’avez pas d’idées pour vos ados, vous pourrez piocher dedans les yeux fermés.
Un chapitre s’attache à démontrer en quoi la littérature ado est une littérature complète, capable d’aborder tous les thèmes de la littérature générale et ne mérite plus d’être taxée de sous-littérature, même si le phénomène de surproduction, mentionné, a pu desservir son image
Un dernier chapitre s’interroge sur les chemins de la littérature ado. Qu’est-ce qui fait que ces chemins sont empruntés ou au contraire qu’ils rebutent les lecteurs potentiels ? Sont évoqués tour à tour le rôle de la prescription, le caractère plus ou moins attractif d’une couverture, la place que tiennent désormais les blogs, les vlogs et les réseaux sociaux, dans un marketing viral que les éditeurs aimeraient bien contrôler davantage.
Il faut enfin souligner une chose : ce guide est agréable à lire, par sa maquette soignée, par l’alternance de chapitres didactiques et de portraits représentatifs de toute la gamme des acteurs de la chaîne du livre jeunesse, des auteurs et autrices aux éditeurs et éditrices, en passant par les journalistes, les bibliothécaires, les libraires.
Cerise sur le gâteau, les frères Lévêque ont réussi à faire écrire 10 nouvelles inédites sur le thème du « peut-être », ce qui donne un bon échantillon d’auteurs et d’autrices contemporaines pour la jeunesse. Tom et Nathan en ont écrit chacun une. Même en se mettant dans la balance, ils n’ont pas réussi tout à fait à obtenir la parité… Pure taquinerie de ma part, parce qu’ils ont fait le choix de promouvoir dans leur guide une langue non-genrée et inclusive, qui alourdit l’écriture mais, heureusement pas, la lecture.
À ce propos d’ailleurs, il reste - peut-être – au terme de ce parcours très complet dans la littérature ado, un point aveugle qui aurait mérité d’être éclairé par leurs lampes de poche de garçons inclusifs : pourquoi les lecteurs ados sont majoritairement des lectrices, pourquoi les blogueurs sont le plus souvent des blogueuses, pourquoi les auteurs pour la jeunesse sont plus souvent des autrices ? Réponse - peut-être - dans une nouvelle édition ?
En quête d’un grand peut-être (guide de littérature ado) - Tom et Nathan Lévêque - Éditions du Grand Peut-Être - 2020 (223 pages, 17,50 €)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire