Pour sa quatrième édition, les jurés du prix Vendredi, ont désigné cette semaine comme lauréat Vincent Mondiot, pour son livre au titre provocateur : Les derniers des branleurs, paru chez Actes Sud junior.
Ce n’est évidemment pas la première fois qu’un auteur évoque l’univers du lycée et singulièrement l’ambiance de la Terminale avec au bout le baccalauréat, cet examen qui a tenu jusqu’ici une telle place dans l’imaginaire des adolescents et de leurs parents. Cette place mythique du bac, le président Giscard d’Estaing qui vient de mourir, l’avait encore rehaussée indirectement au rang de totem en abaissant la majorité à 18 ans, faisant coïncider pour la plupart des élèves la fin des études secondaires avec l’accès à l’âge des responsabilités présumées adultes. Le Covid aura finalement eu raison du totem (et de VGE), en contraignant l’Education nationale à enterrer le principe d’un examen final coûteux pour le remplacer par un contrôle continu des connaissances. Après la communion solennelle et le service militaire, exit une des dernières épreuves initiatiques qui jalonnaient le parcours adolescent. Il reste le permis de conduire.
Vincent Mondiot a écrit son roman juste avant cette disparition opportuniste du bac. II a choisi un trio bien particulier, deux garçons et une fille, pour prendre à son tour la température lycéenne. Minh Tuan, Gaspard et Chloé passent leur temps à sécher des cours, à partager des joints et à s’incruster dans des fêtes où personne ne les invite plus, tant ils ont su asseoir leur sale réputation. Le fait d’être plus ou moins les parias du lycée et de considérer que leurs condisciples sont globalement des bouffons a plutôt tendance à renforcer leur cohésion au quotidien – tous pour un et seuls contre tous - quotidien qui est l’horizon le plus lointain que les trois puissent envisager.
Au fil de l’année scolaire, l’auteur nous dévoile peu à peu les origines du mal-être personnel, familial, social, de ce trio « destroy ». Chloé, qui est tourmentée silencieusement par son asexualité, crache des crapauds comme la fée disgraciée du conte de Perrault, Gaspard est hanté par sa grande sœur, Minh Tuan est moitié viet. En fait, ces trois ados ne sont que la moitié d'eux-mêmes. Est-ce pour cette raison que, tels les Trois mousquetaires, ils vont assimiler très vite une quatrième comparse, Tina, une jeune réfugiée congolaise ? L’arrivée de Tina va certes perturber l’équilibre du trio mais, peut-être, combler secrètement chacun·e. Pourtant, Tina, a priori, n’a pas le même agenda que les trois glandeurs. Elle travaille, elle est plutôt douée et veut avoir son bac. Saura-t-elle leur résister, infléchir leur comportement, c’est l’un des enjeux du roman.
Le vocabulaire des trois adolescent·es n’est guère varié et très ordurier, proche d'un syndrome de la Tourette. En la matière, Chloé n'est pas la dernière. Il faut imaginer que chaque injure est une sorte de « je t’aime » travesti et malheureux, pour l’heure la seule manifestation possible de l’énergie vitale de ces ados artificiellement déprimés, qui manquent de mots et s’ennuient dans un système qu’ils rejettent et qui le leur rend bien.
Comme ils sont en Terminale, Vincent Mondiot va quand même devoir les emmener jusqu’aux épreuves du bac 2020, du moins telles qu’elles auraient dû se dérouler et dont ce roman sera peut-être le dernier témoin. Le chemin est long et la réussite à l’examen de plus en plus improbable au fur et à mesure que l’échéance se rapproche.
L’auteur a ponctué son roman de mots dans la marge, définitions ironiques, explications en contrepoint, commentaires politiques voire excroissances du récit, qui lui donnent une drôle d’allure, parfois universitaire, toujours bourgeonnante, suggérant l’existence d’histoires et de vies parallèles à celles qu’il décrit, auxquelles nous aurions échappé. Remords d'intrigues ou de personnages abandonnés en route, manières aussi de signifier, façon Magritte, « ceci n'est pas une fiction » ?
Décrivant le malaise adolescent face au monde contemporain, il brosse aussi au passage le beau portrait d’une enseignante, Élise Danverre. « Chloé la déteste » parce qu'elle sait que « tous les mecs ont décidé qu'il s'agissait de la prof la plus bonne de l'établissement » et... qu'ils ont raison. Mme Danverre est surtout la seule adulte du lycée à ne pas désespérer du trio parce que, sans vouloir l'avouer à personne, elle comprend et partage en partie ce qui mine ces trois-là, chose qu’elle soigne pour son compte à coup de Doliprane.
Pour écouter cette chronique (extrait lu à 03:20) :
Les derniers des branleurs – Vincent Mondiot – Actes Sud junior (455 pages - 16,80 €)
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