vendredi 23 mars 2018

On a chopé la puberté

Qui a peur des Pipelettes ?




Nous souvenons-nous encore des conditions dans lesquelles nous avons franchi les étapes de la puberté ? Le cours de notre vie adulte semble avoir effacé les traces de ce passage. Mais si nous faisions un petit effort, que retrouverions-nous ? Des « jeux interdits » avec une petite voisine ou un petit voisin l’été de nos dix ans, les premiers émois de notre corps, de l’étonnement voire de l’effroi, la consultation en cachette du Larousse médical des parents, des petites conversations entre ami•e•s guère éclairantes, le silence plus ou moins gêné des parents sur ces « questions », les règles qui arrivent sans crier gare…

Les temps ont-ils changé ? En apparence, oui. L’information est accessible à tous dès le plus jeune âge, d’autant que l’école se charge désormais officiellement, dans le cadre des parcours éducatifs de santé, d’une « éducation à la sexualité ». Dans les faits, ce qui se passe au collège ou au lycée sur ses sujets est sans doute peu de chose au regard de ce qui se déverse sur les jeunes en provenance des médias et singulièrement d’Internet.

Dans ce contexte, le rôle que jouent les magazines et les publications pour la jeunesse reste essentiel. Et justement, en ce début d’année; les éditions Milan ont publié deux documents relatifs à la puberté. D’abord un hors-série du magazine Julie, assez plaisant et bien documenté, intitulé « Tout ce que tu dois savoir sur la puberté » et qui sera lu aussi avec profit par les garçons :



Ensuite un petit livre de 77 pages qui se veut plus détendu sur le même sujet, annonçant clairement la couleur. « On a chopé la puberté », c’est son titre, entend démontrer avec humour que ce passage, parfois difficile, n’est pas, contrairement aux apparences, une maladie… C’est de ce livre que je veux vous parler.

Les autrices et singulièrement Anne Guillard qui cosigne ce livre, ont pris un parti humoristique pour déminer et dédramatiser, en deux parties, les différentes évolutions du corps - « ce qui se passe dans ton corps » - et de l’esprit – « ce qui se passe dans ta tête » - qu’entraîne la puberté. A cet effet, Anne Guillard a mis les quatre « Pipelettes » qu’elle a créées il y a une dizaine d’années, et qui sont bien connues des lectrices du magazine Julie, au service  de cette cause informative. Marie-Hélène, Agnès, Anne et Anne ayant chacune son caractère, les autrices ont su déployer toutes les interrogations et remarques possibles, des plus ingénues aux plus farfelues, des plus complexées aux plus affranchies (du moins en apparence). 

Ce livre n’a pas la prétention d’être un guide exhaustif ou « scientifique ». C’est évidemment par antiphrase que la quatrième de couverture le présente comme « le livre sur la puberté le mieux documenté au monde pour les 9-13 ans ». C’est un livre destiné a priori aux filles mais les garçons pourront sans doute le lire avec profit, d’autant qu’en fin de livre un « dossier top secret spécial garçons » leur dévoile ce que les Pipelettes pensent d’eux, voire fantasment à leur propos.

Ce livre utile et sympathique n’était pas destiné à rester dans les annales de la littérature jeunesse. Pourtant, il s’y est inscrit définitivement depuis que son éditeur a décidé d’en stopper l’exploitation à cause d’une pétition qui dénonçait le caractère « sexiste » de deux ou trois passages isolés de leur contexte narratif. Pour la première fois, donc, un livre pour la jeunesse s’est vu banni par la vox populi, soit 140 000 personnes dont aucune ou presque ne l’avait lu, et ce sans attendre que la Justice se prononce sur une éventuelle interdiction. Cette nouvelle forme de censure exercée par le truchement des réseaux sociaux qui ont par ailleurs déversé des tombereaux d’insultes sexistes sur les trois malheureuses créatrices est particulièrement grave. L’éditeur Milan, à l’heure où j’écris ces lignes n’a pas su y résister, ni défendre ses autrices comme il aurait dû le faire. Comme l’a écrit l’auteure jeunesse Marie-Aude Murail dans une lettre adressée au journal Le Monde le 13 mars, « les pétitionnaires ont en apparence gagné, crient victoire et recommenceront. ».

Vous trouverez tous les détails sur cette affaire dans le billet que je lui ai consacré, Vers une police populaire du livre et des créateurs ? sur mon blog hébergé par le journal La Vie. 

Mais en attendant, vous rendrez service à la liberté d’expression en commandant ce livre à votre libraire favori ou en écrivant à l’éditeur Milan. Et, le cas échéant, en en discutant aussi librement avec vos enfants ou petits-enfants.

Écouter cette chronique (extrait lu à 4:19) :


On a chopé la puberté - Anne Guillard, Séverine Clochard et Mélissa Conté - Milan (77 pages, 11,90 €)


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