vendredi 9 mars 2018

Soixante-douze heures



En refermant ce livre une heure et demie après l’avoir ouvert, il m’est venu, je ne sais pourquoi, l’image d’un petit garçon qui met à l’eau le bateau en papier qu’il vient de fabriquer de ses mains et qui le regarde partir, frêle, au courant de la rivière, en rêvant à son voyage, à son destin.

Sauf qu’avec le récit de Marie-Sophie Vermot, le petit garçon est une jeune fille de dix-sept ans, Irène, et le bateau en papier est un petit garçon, Max, juste né  et lesté, faute de mieux, de trois prénoms.

Soixante-douze heures, c’est le titre de son nouveau roman, c’est aussi le délai que la loi laisse à une femme pour décider d’être ou non la mère de son enfant. La décision d’accoucher sous X, puisqu’il s’agit de cela, est souvent prise en amont de l’accouchement, mais un temps est laissé à l’accouchée avant de signer la déclaration d’abandon.

Marie-Sophie Vermot s’est glissée dans la tête d’Irène et lui a confié la narration de ces trois jours au cours desquels vont affluer tous les souvenirs de sa vie et singulièrement des neuf derniers mois qui ont fait exploser tous les secrets d’une famille bien sous tous rapports. Comme si cette nouvelle vie qui s’annonce avait valu pour tous ordalie, épreuve de vérité.

Lorsqu’Irène se résout à annoncer sa grossesse à ses parents, c’est qu’elle a déjà choisi de la dissimuler pour pouvoir la mener à son terme et remettre le destin de l’enfant à naître à des mains inconnues. Elle va évidemment se heurter aux siens et singulièrement à sa mère, mal-aimante. Enceinte par imprudence, refusant l’IVG, abandonnant son enfant à la naissance, Irène a tout faux au regard de la société : depuis sa famille bien sûr jusqu’à la boulangère du coin, en passant par ses condisciples du lycée. Seuls sa grand-mère, son frère Paul, son amie Nour restent à ses côtés, quoiqu’interloqués eux aussi par Irène dont le leitmotiv a toujours été : « On verra ».

Tout l’art de Marie-Sophie Vermot est de conduire le récit d’Irène comme une sorte de journal intime, ramassé sur ces trois jours passés en clinique, sans jamais donner prise à un jugement définitif sur l’adolescente. A cet effet, son comportement et ses états d’âme sont soigneusement décrits, mais jamais expliqués. Irène, c’est cette jeune fille qu’on voit sur la couverture du livre, repliée en position fœtale, la tête en bas, couvant cette révolution biologique qui s’est emparée de son corps à son insu et ne donnant prise à quiconque.

En lisant Soixante-douze heures, on pensera au film Juno. On pourra aussi comparer l’itinéraire d’Irène à celui de La fille du docteur Baudoin : Irène, comme Violaine, l’héroïne de Marie-Aude Murail, est fille de médecin, mais choisit, au contraire de Violaine, de mettre au monde. Aucune n’a tort, aucune n’a raison. Ces adolescentes nous mettent simplement face à la vie nue. Pro-choix versus pro-vie ? À elles deux, Murail et Vermot dynamitent cette fausse alternative au profit d’une réaffirmation de la singularité de chaque existence.

Ecouter cette chronique (extrait lu à 2:56) :
Soixante-douze heures – Marie-Sophie Vermot – Éditions Thierry Magnier (171 pages, 13 €)

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