On pourrait croire qu’il y a chez l’éditeur Sarbacane une arrière-cuisine où quelque Grand Schtroumpf concocte le fond de sauce des livres qui en sortent, tant ils ont tous ce petit parfum reconnaissable, fait d’humour vache, d’insolence désespérée et de beaucoup d’amours de toutes sortes. Bien sûr, personne n’a reconnu ici le bonnet rouge de Tibo Bérard…
La semaine dernière, je vous parlais du livre d’Emilie Chazerand, La fourmi rouge, justement. Rappelez-vous. Son anti-héroïne, Vania, faisait une entrée tonitruante au lycée où elle allait être poursuivie toute son année de Seconde par un mystérieux message tombé de nulle part sur son ordinateur, la mettant au défi de cesser enfin d’être le « brouillon terne et médiocre » d’elle-même.
Cette semaine, Djiraël aborde, lui, la Terminale. Djiraël, c’est le héros d’Insa Sané qui, dans Les cancres de Rousseau nous dépeint une bande de potes bagarreurs et insolents, malins et vivants, qui s’apprêtent à prendre le pouvoir au lycée, au grand dam de l’administration qui préférerait voir élus comme représentants de l’établissement des jeunes gens et jeunes filles mieux sous tous rapports. Mais, hélas pour le CPE du lycée Jean-Jacques Rousseau de Sarcelles, la popularité ne se décrète pas.
Notre auteur emmène donc Djiraël, Sacha, Rania, Doumam et les autres de la rentrée jusqu’au Bac, ce Bac redouté et attendu, même par des présumés cancres, parce qu’il reste tout de même le passeport pour une autre vie. Terminale ! Tout le monde descend, annonçait naguère Susie Morgenstern. Ce Bac qu’on vivra comme un épilogue, des épreuves aux résultats, avec « la peur au ventre », tout dur qu’on soit.
Entre ces deux moments, Djiraël vit la vie d’un grand ado de banlieue : entre Rania, la fille qui t’aime depuis toujours et en qui tu ne vois qu'une amie, Tatiana, la fille que tu aimes et qui ne te « calcule » même pas, cécités croisées, et les virées au cœur de Paris, les petites combines pour se faire de l'argent, un rival menaçant qu’il faudra finir par réduire car on ne peut pas se laisser marcher dessus dans une cité où tout se sait à la vitesse de la rumeur amplifiée par les réseaux, la vie de famille avec une maman qui fait régner tant bien que mal sa loi pour suppléer à celle d’un papa à éclipses, partagé entre l’Afrique et la France. « J’ai toujours eu plus peur d’elle que de Papa », avoue Djiraël. « Maman, c’est une Amazone ». Sa « daronne » chiante et bien-aimée.
En fait de loi, Insa Sané en évoque quatre, comme autant de trames de son livre. La loi de Jules Ferry, scolaire, est la première, omniprésente l’année du Bac. Insa Sané dresse au passage un beau portrait d’enseignant, Monsieur Fèvre, le seul à reconnaître et à considérer l’intelligence vivante de ces élèves pas dans le moule et pas toujours dans les clous. Il y a aussi la loi de la tanière, qui interdit à Djiraël, par la voix de son père, d’être un médiocre en France, lui l’Africain surdoué sur lequel ses parents ont tout misé. La loi de la rue, enfin, où il ne faut rien céder, et son corollaire, la loi du talion.
Avec Les cancres de Rousseau, Insa Sané n’en est pas à son coup d’essai puisqu’il a l’ambition d’écrire une Comédie urbaine comme jadis Balzac a écrit sa Comédie humaine. Rien que ça ! Plusieurs de ses livres sont déjà sur les étagères des libraires et l’auteur a d’autres cordes à son arc, de musicien, de slameur, qu’on découvrira par exemple sur YouTube.
Si l’on sort maintenant de la métaphore culinaire pour lorgner du côté des champs de course aux prix et des pur-sang de librairies, n’y aurait-il pas désormais, avec Insa Sané et quelques autres déjà recensé·e·s ici, comme un début d’écurie Sarbacane, en passe d’occuper une place de choix dans la littérature pour la jeunesse d’expression française ? Son entraîneur, le Grand Schtroumpf sus-nommé, y travaille, apparemment.
Écouter ici cette chronique (extrait lu à 2:54) :
Les cancres de Rousseau - Insa Sané - Sarbacane, 2017 (331 pages, 16 €)
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