vendredi 10 mai 2019

Le prix de chaque jour


Laurie est en vacances avec sa mère dans une vallée alpine détrempée. Le mois d’août semble s’étirer sans fin, repoussant la rentrée vers un horizon incertain. Laurie s’ennuie, Laurie veut revoir ses amies, Laurie veut surtout revoir Milo, qui l’attend, pense-t-elle, espère-t-elle. Elle convainc sa mère d’anticiper leur retour. Mais le trajet se transforme brutalement en un long détour par la case hôpital. Accident, traumatisme crânien et chirurgie ratée. Le nerf facial droit a été touché, « froissé » selon la version la plus rassurante. Laurie ne sourit plus que d’un côté et c’est un long cauchemar face à son miroir que les paroles mi-gênées mi-encourageantes des infirmières et des médecins ne parviennent pas à dissiper. Il faut attendre, disent-ils, une sorte de miracle, finit par penser Laurie, qui tire un rideau de cheveux sur la moitié de son visage.

Que va dire Milo quand il va me voir avec ma gueule cassée ? Au fait, où est-il, Milo, il n’a pas l’air pressé de me revoir ? Quand Laurie apprend que la seule question qu’a posée son chéri c’est : « est-ce que Laurie est défigurée ? », elle l’efface instantanément de sa mémoire. Du moins elle essaye.

Mireille Disdero, l’autrice, nous installe dans la tête de Laurie blessée, que nous ne quittons plus d’une minute. Heureusement il y a Frédéric, le frère aîné de son amie Claudia, un jeune interne, « regard bleu et sourire indélébile ». C’est lui qui va embarquer Laurie dans des sorties interdites, au nez et à la barbe de l’hôpital. Lui faire revoir la mer, la faire se baigner dans une robe de son ex, Fred est prêt à tout pour distraire Laurie de la défaite cruelle de son image.

Frédéric est un ami de toujours, Frédéric est le grand frère de sa meilleure amie. Laurie n’a que seize ans et Fred vingt-trois, mais devant tant de prévenance, de sollicitude, quelque chose se met à trembler entre eux deux, comme la lumière sait trembler en été. Pour le moment, ni l’un ni l’autre ne veut le savoir. Attendre, là aussi.

Et puis Laurie découvre un jour Jeannette au 6ème étage de son hôpital. Juste une vieille dame qui se meurt ? Oui, mais beaucoup plus aussi. Entre le désespoir qui fissure Laurie jour après jour et la vie qui continue à sourdre de Jeannette s’établit un échange un peu miraculeux suspendu aux attentes croisées d’une patiente et d’une impatiente. L’une reçoit chaque minute de vie qui vient, l’autre est pressée de pouvoir sourire comme avant. Jeannette va démontrer à Laurie qu’il ne sert à rien de mettre sa vie entre parenthèses. Et Frédéric, encore lui, va offrir à Jeannette, avec la complicité de Laurie, une ultime escapade en mer, en guise de dernier pied de nez à la mort.

On sait que l’adolescence est en temps normal une proie rêvée de la dictature de l’apparence. Pour Laurie, qui se soumet tous les matins et tous les soirs au verdict de son miroir, le combat semble perdu d’avance. Mais Mireille Disdero ne l’a pas voulue vaincue et tend à son héroïne des mains qu’elle saura saisir.

Écouter cette chronique (extrait lu à 3:00) :



Le prix de chaque jour – Mireille Disdero – le muscadier – 2019 (152 pages, 12,50 €)

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